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L’OTAN, pour quoi ?

Par Gabriel Galice • Internationale • Dimanche 10/07/2016 • 0 commentaires  • Lu 2227 fois • Version imprimable


Le sommet de l’OTAN qui s’ouvre à Varsovie commence par un déluge d’approximations et de contre-vérités, comme très souvent s’agissant de la Russie. La Russie est pointée comme l’adversaire menaçant. La guerre de l’information bat son plein. Quelques rappels s’imposent.

En mourant, l’ancien Premier ministre français Michel Rocard laisse un testament politique qui, sur ce point, apporte un éclairage utile au débat. « Cela remonte à 1991. Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, annonce au monde qu’il met fin au Pacte de Varsovie. La suppression du Pacte de Varsovie pose la question de l’utilité du Pacte atlantique. Et là, l’Occident commet une erreur tragique. Eltsine ne reçoit aucune réponse. Rien. Silence absolu. Six mois plus tard, le président américain réagit, au nom de l’OTAN, mais sans avoir consulté aucun de ses membres, pour dire en substance aux Russes : « C’est bien d’avoir abandonné le communisme et le Pacte de Varsovie ; mais vous restez russes et, par conséquent, nous restons méfiants et nous allons donc étendre le Pacte atlantique jusqu’à vos frontières, et même incorporer d’anciennes républiques de l’Union soviétique, les trois pays baltes. » L’insulte. La gifle. La menace. Vladimir Poutine l’a vécu comme une humiliation. »

Bien d’autres témoignages corroborent cette vérité historique, tant malmenée, depuis des décennies, par les « occidentalistes » et autres faucons, persuadés de leur suprématie et de leur bon droit. Ancien Secrétaire général du Quai d’Orsay, l’Ambassadeur de France Francis Gutmann écrit : « Washington, soutenu par les Européens, ne cesse de prendre ou de favoriser des mesures susceptibles d’être interprétées par Moscou comme autant de provocations. Ce sont le soutien à grand bruit et à grands frais de pays de l’ex Union soviétique aux frontières de la Russie, la proposition d’accueillir certains d’entre eux au sein de l’OTAN (mais une OTAN pour quoi faire ?), la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, l’affaire – à ses débuts – du bouclier anti-missiles, etc. Madame Condeleeza Rice était même allée naguère jusqu’à déclarer que les Etats-Unis ne laisseraient pas les Russes faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN. Cette déclaration est assez surprenante car elle revient à dire à un assiégé – ou qui craint de l’être – qu’il ne doit pas s’opposer au renforcement de son siège. (…) L’intérêt de l’Europe est de s’entendre avec la Russie plutôt que de participer à son encerclement. (…) L’Europe a besoin d’une Russie nouvelle forte et stable. » (Livre Changer de politique - Une autre politique étrangère pour un monde différent ? 2011) La Russie est européenne jusqu’à l’Oral, l’Eurasie est notre continent commun.

La Géorgie et l’Ukraine servent de prétextes pour dénoncer la posture « agressive » de la Russie. Or, dans les deux cas, la Russie a répondu à des coups de force, militaire dans le premier cas, économique et politique dans le second.

Peu suspect d’angélisme pacifiste, Henry Kissinger met en garde, depuis plusieurs années, contre la stratégie du chaos chère aux néoconservateurs (certains, en France, en Allemagne et ailleurs, se disant « de gauche ») des deux rives de l’Atlantique. Son entretien avec Der Spiegel, administre une leçon de prudente diplomatie http://www.spiegel.de/international/world/interview-with-henry-kissinger-on-state-of-global-politics-a-1002073.html L’ancien Secrétaire d’Etat déclare notamment : « Europe and America did not understand the impact of these events, starting with the negociation about Ukraine’s economic relations with the European Union and culminating in the demonstration in Kiev. All these, and their impact, should have been the subject of dialogue with Russia. This does not mean the Russian response was appropriate.” Au chaos, Kissinger préfère le discernement, la perspicacité (Insight). Denrée rare.

 

Les éclats de voix, les plumes acrimonieuses, précèdent souvent, accompagnent toujours les bruits de botte. Le récent rapport britannique sur la guerre d’Irak nous instruit http://www.iraqinquiry.org.uk The Guardian considère que les Britanniques n’ont pas tiré les enseignements de l’expédition irakienne https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/jul/08/chilcot-report-proves-british-love-hindsight-iraq-afghanistan-syria-david-cameron A quand la prochaine « intervention » ?

Il conviendrait d’ouvrir un débat serein, contradictoire, sur l’OTAN, ses visées, son utilité, ses conséquences, ses alternatives. A l’heure ou Varsovie entonne des accents belliqueux, ne devrait-on pas faire entendre à Genève une tonalité de paix ? Lors de sa conférence des 8 et 9 novembre à Genève, le GIPRI se penchera sur la question : « Quelle paix pour quel ordre du monde ? » Nous en appelons aux chercheuses, aux chercheurs, aux femmes et aux hommes soucieux de pluralisme et de paix.

*Gabriel Galice est Président de l’Institut International de Recherches sur la Paix à Genève (GIPRI) Son dernier livre est Lettres helvètes 2010-2014.


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