Personnellement je trouve que le résultat de La France insoumise est remarquable. Je n'espérais pas mieux.
Pour qu'elle figurât au second tour de ce damné scrutin présidentiel, il aurait fallu que Hamon, dans les derniers jours de sa campagne et devant son peu de succès, invitât ses partisans à voter Mélenchon, sans rien cacher pour autant de ses divergences (sur l'Europe, sur la Constituante), comme l'avaient fait antérieurement les dirigeants communistes (quoique à contre coeur). et en en appelant à l'unité de la gauche - cet appel à l'unité dont les socialistes ont largement abusé quand elle était à leur avantage. Cela lui aurait évité une défaite humiliante, qu'il va payer cher, et aurait rouvert une perspective.
Mais cela n'aurait pas, je pense, bouleversé la donne. En effet dans une finale Macron-Mélenchon (si ce dernier avait dépassé le score du FN et peut-être même viré en tête), Mélenchon aurait sans doute perdu, les électeurs FN s'abstenant en nombre et tous les "oligarques et médiacrates" (pour reprendre les termes de Mélenchon) faisant feu de tout bois en faveur de leur héros. Donc je n'ai pas trop de regrets.
Ma deuxième considération est que, factuellement, les électeurs dits de gauche sont plus minoritaires que jamais dans ce pays : Mélenchon + Hamon, cela ne fait que 26% dans le pays. Certes Mélenchon est arrivé en tête à Marseille, Lille, Grenoble, Montpellier et dans nombre de grandes villes, mais la France rurale et périphérique a voté massivement FN. Il y aura beaucoup de chemin à faire pour la reconquérir. Ce qui me frappe aussi est que énormément d'hésitants ont voté Macron, croyant bien faire et étant si mal informés. Mélenchon a pris ses désirs pour la réalité en assurant que le peuple français était l'un des plus instruits et éduqués. Pensons plutôt à tous ces gens qui n'ont pas trouvé 5 minutes pour lire attentivement les programmes, tant ils étaient bousculés par leur vie quotidienne, et qui n'avaient pas les moyens d'y déchiffrer le vrai du faux, le dit du non-dit. Ils n'ont pas compris que Macron était l'apôtre du libre-échange et de l'ubérisation, de l'allègement de la réglementation bancaire, de la suppression de l'ISF pour les actionnaires, de l'abolition complète de la hiérarchie des normes sociales, du contrôle accru des chômeurs, de la réduction des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires etc. Ce n'est pas leur faute, et une bonne campagne ne pouvait suffire pour leur ouvrir les yeux.
Ma troisième considération est que environ la moitié des électeurs ont voté contre l'Europe de "Bruxelles" (si l'on additionne Le FN, la France insoumise, Dupont-Aignan, Asselineau et Cheminade on obtient 45,8%, contre 44% si l'on additionne Macron+Fillon. Il faut ajouter Hamon aux europhiles pour dépasser de très peu les 50%). Autant dire que, dans les instances européennes, on a senti passer le vent du boulet. Alors voilà, paraît-il, comment ils entendent "relancer la construction européenne" : un socle de droits sociaux, mais facultatif, un SMIC européen, mais par pays (ce qui ne change rien), un "renforcement de la zone euro", qui en fera la chasse gardée des droites européennes, une défense commune, qui n'est pas moins inquiétante. Autrement dit de beaux jours devant eux pour les souverainistes. Reste à savoir lesquels.
Enfin deux mots sur l'Allemagne. J'ai été frappés par les opinions exprimées par des intellectuels allemands de renom. dans le Monde du 20 avril. Habermas d'abord, qui voit bien que le gouvernement allemand a des responsabilités dans la crise européenne, mais qui continue à croire que Bruxelles n'y est pour rien et compte sur Macron pour opérer une recomposition des forces politiques en France. On ne peut qu'être frappé par une telle confusion mentale, preuve que l'agir communicationnel n'est pas la bonne méthode pour ouvrir les yeux. Ensuite un certain Peter Sloterdijk, qui voit dans le populisme une tare française, qu'il fait remonter à Sieyes et à sa défense du Tiers Etat contre les deux autres ordres (ce qui lui permet, au passage, un contresens total sur La Marseillaise et son "sang impur", que l'auteur de l'article croit être celui des nobles, alors qu'il est celui du peuple, prêt à verser son sang!). Cette méconnaissance totale de l'esprit de la Révolution française (que n'a-t-il lu Kant!) le conduit logiquement à condamner toute opposition droite-gauche au profit d'un "compromis historique avec les fortunés" et à vanter les mérites de la social-démocratie. Il propose de réhabiliter Hollande et voit en Macron le sauveur. Car, sinon, "La France se transformerait en un grand Venezuela". Si je me suis attardé sur ce monsieur, c'est qu'il reflète bien, me semble-t-il une opinion dominante en Allemagne (ce serait à des spécialistes de la confirmer ou de l'infirmer). Je suis frappé par ce que dit, dans un autre article, un sociologue allemand, Wolfgang Streek) : "en Allemagne celui qui se refus à entonner le cantique de la citoyenneté mondiale est prestement excommunié". Et de plaindre, tout en les admirant, les Français obligés de choisir, entre "une marionnette de l'industrie financière et une prédicatrice de la haine". Alors, oui, il sera difficile de s'entendre avec cette Allemagne là, si fière de sa soi disant "économie sociale de marché".
Un dernier mot : le 7 mai, je voterai blanc, sans aucun état d'âme.
J'ai lu d'abord le texte Déjouer le piège Macron et Lepen, analyse très intéressante et que je partage, et ensuite l'article de Toni Andreani avec lequel aussi je suis en accord. Excepté sur un point : je le trouve particulièrement bienvellant avec les électeurs. Nous sommes tous happés par le quotidien et susceptibles d'être manipulés, de manquer de temps pour aller voir les programmes etc. C'est vrai. Mais je pense qu'on ne peut pas éternellement dédouaner les citoyens que nous sommes de notre part de responsabilité. Il ne s'agit pas de sentiment de culpabilité, mais de responsabilité et cette responsabilité nous renvoie à la liberté. Fondamentalement, rien, absolument rien ne nous empêche de penser avec notre tête et de nous mettre en cohérence avec ce qui nous meut au plus profond de notre être. Rien, si ce n'est n'est, et effectivement c'est loin d'être rien, cette emprise que nous laissons s'agrandir jour après jour sur nos vies, par ce système lié à la superficiallité, au consumérisme effréné et à l'argent.
Je regardais hier le magnifique documentaire de Raoul Peck sur la question raciale aux États Unis, Je ne suis pas votre nègre (ARTE) méditation d'un homme noir sur sa condition, construit exclusivement à partir des mots de James Baldwin, penseur majeur de la question raciale aux USA. Et j'ai relevé cette phrase, laquelle il me semble peut s'appliquer à ce que chacun d'entre nous vit au travers de ces élections, mais de façon plus large nous renvoie à notre propre cohérence, notre authenticité. La voici :
On ne peut pas changer tout ce qu'on affronte, mais on ne peut pas changer si on ne l'affronte pas.
Donc, que nous tous affrontions un peu ce que nous refusons, pour beaucoup de raison, valables ou non, d'affronter si nous voulons un peu changer le monde.