Certaines mesures prises au nom du combat contre le terrorisme sont d’une gravité extrême.
èLa possibilité d’interdire tout rassemblement sur la voie publique, ou toute manifestation pour « raisons de sécurité ».
Les conséquences sont palpables immédiatement. Par exemple les « marches pour le climat » -quoi qu’on en pense, là n’est pas la question- prévues par les ONG environnementales durant la COP 21 à Paris ont été annulées par le gouvernement. Toute manifestation sociale ou politique peut ainsi être bonnement et simplement interdite.
èLes perquisitions administratives à l’écart de tout magistrat sont renforcées.
Le préfet, représentant direct du gouvernement peut faire entrer en action les forces de police hors de tout contrôle judiciaire.
èLa loi prévoit la possibilité de « dissoudre les associations ou groupements de fait qui participent, facilitent ou incitent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ».
Est donc laissée dans le flou la notion « d’atteinte grave à l’ordre public » ce qui permet de faire peser une menace générale sur toute organisation qui pourrait appeler à se manifester contre la politique mise en œuvre, dans un domaine ou un autre, par la puissance publique. Se retranchant derrière l’existence de « mosquées salafistes » pour justifier cette mesure très large, Manuel Valls a reçu le soutien public de Marion Maréchal Le Pen qui y voit une bonne décision… Mais pourquoi avoir fait inscrire cette mesure dans la loi alors que déjà la « dissolution » est prévue « en cas d’urgence » par la législation[1], sinon pour réaffirmer le pouvoir de l’exécutif sur l’exercice de la vie démocratique.
èL’assignation à résidence décidée par le ministre de l’intérieur, sans intervention du juge, voit ses conditions renforcées.
L’explication de texte par Manuel Valls concernant l’assignation à résidence est explicite : « elle ne doit pas viser uniquement les activités dangereuses avérées, c'est-à-dire quand il est trop tard, mais aussi les menaces fondées sur des présomptions sérieuses ». De quelles menaces s’agit-il ? Qui peut être menacé ? Les syndicats de magistrats –y compris classés dans le camp sécuritaire- s’inquiètent[2].
èLa possibilité pour les policiers de porter leur arme hors de leurs heures de service.
Les risques de bavures dans le contexte d’insécurité sociale actuelle, notamment dans les milieux de la jeunesse, les risques de vols d’armes, de danger collectif que porte cette mesure sont balayés avant même d’avoir été évoqués… Mais il y a plus. « Le pacte de sécurité doit s’imposer au pacte de responsabilité » a déclaré François Hollande pour annoncer la création de 5000 postes de policiers supplémentaires. Mais ce qui est possible et jugé nécessaire dans la police devrait aujourd’hui s’imposer dans l’ensemble des services publics, pièce maitresse pour combattre le fondamentalisme en France, contre la volonté de l’Union Européenne…
èLa déchéance de nationalité.
Mesure issue de l’extrême droite, reprise dans un premier temps par la droite, proposée in fine par le parti socialiste. Un français binational, quel que soit son mode d’acquisition de la nationalité –naissance ou naturalisation- pourrait perdre sa nationalité française. Mesure d’une absurdité totale au regard de l’objectif affiché. Croire qu’il suffit de menacer un « terroriste » de lui ôter sa carte d’identité pour obtenir un mea culpa relève de la plaisanterie. Mais elle est surtout emblématique pour ce qu’elle met en cause. Ne figurant pas dans la loi, cette mesure devrait faire l’objet d’une révision de la constitution[3]. Dans quel but ? Sinon pour se saisir d’une question idéologique, profondément symbolique, ralliant de l’extrême droite à la gauche, afin d’aboutir à un fort durcissement de la constitution.
èLa mise sous contrôle d’internet.
Le ministre de l’intérieur pourra « prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne ». Une mesure inscrite dans la loi sur l’état d’urgence alors qu’elle existe déjà. Là encore il s’agit de renforcer les pouvoirs de l’exécutif[4].
La 5ème république bonapartiste issue du coup d’état de 1958 a été taillée sur mesure pour le général De Gaulle. Sous les coups des forces sociales depuis son instauration, elle s’est affaiblie comme forme de domination du capital sur toute la société. Grève des mineurs de 1963, grève générale de 1968, défaite du parti bonapartiste aux différentes élections… Elle a été traversée par tous les scandales qui ont fait son renom. Scandales financiers, mafieux, liant la droite à la gauche, tous les partis de gouvernements qui se sont succédé à sa tête. La 5ème république à la tête de laquelle se retrouve François Hollande à la suite de Nicolas Sarkozy est chancelante, à bout de souffle.
Dans ce contexte, l’état d’urgence vient tenter de ripoliner une cinquième république en crise permanente. Il s’agit de renforcer les pouvoirs de l’exécutif dans les principaux domaines qui concernent l’ensemble de la société. Et par le renforcement de ces pouvoirs, il s’agit pour le capital de tenter d’adapter sa forme de domination pour prévenir toute contestation et emporter tout affrontement. C’est ainsi que la volonté d’inscrire tout ou partie de ces mesures exceptionnelles dans la constitution prend un sens politique qui dépasse la question des attentats et des islamistes fondamentalistes. François Hollande et son gouvernement s’inspirent des moments fondateurs de la cinquième république. C’est en effet en 1958, pour créer la 5ème république, que pour la dernière fois la France s’est attelée à un chantier institutionnel en « état d’urgence ».
Dans le domaine des mobilisations, des manifestations publiques, des communications, des libertés d’expression et de mouvement, … les notions sont tellement larges qu’elles peuvent s’appliquer tant aux « terroristes » qu’aux organisations, associations, citoyens baptisés pour les besoins d’intérêts particuliers « dangers pour l’ordre public ». L’état d’urgence qui fait peser une menace sur les libertés publiques menace également la démocratie et l’exercice des libertés démocratiques.
Derrière les appels à l’union nationale entre toutes les forces de droite et de gauche, c’est une refondation sécuritaire et autoritaire que tente le gouvernement de François Hollande avec une loi de trois mois qui risque fort une fois promulguée de s’installer bien plus longtemps dans la vie publique. En effet, quand le président de la république déclare que « la guerre contre le terrorisme durera beaucoup plus de trois mois », il prépare déjà le terrain à une prolongation sine die de cet état d’urgence que nul n’osera lever au risque d’être condamné pour laxisme et angélisme. Ce qui aujourd’hui se prépare au nom de la peur et de la colère est l’instauration d’un état aux pouvoirs considérablement renforcés au centre duquel l’appareil policier doit occuper une place prépondérante.
L’arsenal mis en place devrait permettre à toute force politique accédant au pouvoir d’en faire l’usage qu’elle souhaitera. Le danger qui pèse sur les libertés démocratiques jugé exagéré aujourd’hui prend de fait une réalité indiscutable dés lors que la loi entre en vigueur.
A première vue, sous le coup de l’émotion, du traumatisme, de la douleur, du deuil, les décisions politiques de François Hollande et le consensus général sur « l’état d’urgence » sont majoritairement acceptés. L’argument utilisé au point de départ par l’extrême droite –« pourquoi s’opposer à plus de sécurité si on n’a rien à se reprocher »- semble avoir fait son chemin.
Cet argument sur la question des libertés et de la sécurité s’appuie sur une individualisation d’une situation qui n’a de sens que si elle prise dans sa globalité pour le corps social dans son ensemble. Il pourrait être interdit demain de revendiquer, de s’exprimer collectivement, dés lors que l’ordre public serait affecté. Plus exactement dés lors que l’exécutif déciderait que l’ordre public pourrait se trouver affecté. Les récents mouvements en solidarité avec les licenciés d’air France par exemple auraient pu tomber sous le coup de la loi…. Pour les fondamentalistes défenseurs des puits de pétroles d’où ils tirent leurs profits, c’est une première victoire. La loi du capital dont ils sont un des bras armés se trouve renforcée.
Mais la victoire est double. Lorsqu’ils sont venus assassiner à Paris, ils ont visé les symboles de notre liberté. Celle de s’attabler pour boire en des lieux où l’alcool est libre, celle de se retrouver pour écouter de la musique, celle d’aller au stade, la liberté de vivre tout simplement, de profiter de la douceur d’une ultime soirée automnale … Ce sont ces libertés élémentaires qu’ils ont voulu assassiner, ces libertés insupportables à leurs yeux car elles incarnent la LIBERTE. La barbarie subie le 13 novembre, dans laquelle plus de 120 jeunes, hommes, femmes ou enfants ont perdu la vie, a voulu affronter et défaire notre cadre commun, celui qui fait historiquement de la France le pays des droits de l’homme, le pays des libertés publiques, de la laïcité. Mais avec des lois sécuritaires redoublées, avec l’état d’urgence qui restreint à son tour nos libertés, avec la demande formulée de renoncer à des libertés individuelles c’est une part de l’objectif qu’ils recherchaient qui est atteint.
En réalité, le combat la tête haute contre la barbarie qui s’est imposée à Paris nécessite le retrait de l’état d’urgence, l’abandon de toutes les restrictions de nos libertés individuelles et collectives.
[1] Selon Jeanne Sulzer, responsable juridique d’Amnesty international France, « il est toujours préoccupant de prévoir des champs plus larges alors que le droit actuel est suffisant ».
[2] Selon Virginie Duval présidente de l’Union Syndicale des Magistrats, il s’agit d’un « net durcissement de la loi de 1955, avec « une définition retenue aujourd’hui trop large ».
[3] Selon le constitutionaliste Dominique Roursseau, « le conseil constitutionnel ne s’opposerait pas à une loi qui élargirait les conditions de la déchéance »
[4] « On concentre encore plus les pouvoirs de censure dans les mains de l’exécutif » déclare Adrienne Charmet-Alix chargée de l’association la quadrature du Net.
Cf : association pour une constitunte
Le Journal du Dimanche du 22 novembre évoque une timide remontée du Président dans les sondages malgré les appels à l’ Unité Nationale. Tout ça pour ça :
Etat d’urgence prolongé, interruption du congres des 36 000 maires, réunion solennelle du Congres de la République, déploiement spectaculaire de toutes les polices, rencontres internationales, déclaration de guerres…
Car enfin ! Avec des centaines de morts et de blessés, le Peuple Français subit dans sa chair un second crime d’état. A qui ces crimes profitent ?
Le gouvernement, et lui seul à la tête de l’Etat, définit les moyens, les objectifs des services de renseignement et en analyse les résultats. Il agit en conséquence au jour le jour. Il est le seul responsable. Il doit agir et protéger. Il doit rendre des comptes à la représentation nationale et aux Français.
A qui ces crimes horribles profitent-ils ? Comment les éviter ? Faudrait-il refuser ce debat aux électeurs, à la France ?
Les élus du peuple de toutes importances et de toutes tendances devraient-ils cesser de contrôler le gouvernement et taire leurs légitimes désaccords sur la manière dont l’Etat est géré et la France gouvernée ?
Le peuple a été visé et cruellement atteint. Il a le droit de savoir et de délibérer, directement ou par le biais de ses élus. Il appartient à ces dernier de se réunir et de refuser le monopole d’état de la parole publique.
Moins que jamais, les budgets de la Nation doivent être votés au son du canon ! Les élus, le Peuple, doivent savoir : pourquoi la guerre ? Pour qui et avec qui ?
Car plus que jamais le Président et les partis qui le soutiennent sont massivement minoritaires. Ce sont tous les partis qui sont atteints par l’abstention ou le refus de vote.
Ainsi, aux récentes élections régionales en Alsace une fusion des départements au sein d’une euro-region a été massivement refusée par les électeurs.
Ainsi, en permettant au Président et aux sommets de l’Etat d’agir sans le Peuple, voire contre lui, la constitution actuelle les privent de son soutien et d’influence sur les faits, la Paix et la Guerre. Il est urgent de rendre le pouvoir au Peuple par l’élection d’une Assemblée Constituante souveraine pour reconstituer la nécessaire volonté collective.