Plus près de nous, par-delà les remises en cause du jacobinisme montagnard par François Furet et ses amis, c'est sur la guerre de Vendée que se polarise l'offensive.
En effet, depuis bientôt trente ans, est menée la dénonciation de la "politique génocidaire" républicaine. Après "le Génocide franco-français" de Reynald Secher, publié en 1986 aux PUF, (avec un avant-propos de poids de Pierre Chaunu), Reynald Secher et Jean-Joël Brégeon ont poursuivi en 1987 par la réédition commentée d'une brochure de Babeuf : "La guerre de Vendée et le système de dépopulation - Gracchus Babeuf", Paris, Taillandier. Deux ouvrages qui firent quelque bruit en pleine préparation du Bicentenaire, et suscitèrent une importante polémique... On lira notamment avec profit les mises au point à chaud de Claude Mazauric, ainsi que son recueil de "Textes choisis de Gracchus Babeuf", Le Temps des Cerises, 2009. Et l'on complètera utilement par Philippe Riviale, "Gracchus Babeuf, Robespierre et les tyrans", l'Harmattan, 2011.
L'offensive a repris avec deux rééditions : "Le Génocide franco-français", Perrrin, 2006, "La guerre de Vendée et le système de dépopulation", 2008, Éditions du Cerf (spécialisées dans les textes religieux), avec une préface de Stéphane Courtois qui, à la dénonciation du "génocide" et du "mémoricide", ajoute (on ne s'en étonnera pas) la stigmatisation du communisme contemporain, qu'il inscrit dans le droit fil de la Terreur robespierriste.
Les retombées publiques sont importantes. En 2007, des députés UMP avaient déposé une proposition de loi en faveur de la reconnaissance du "génocide vendéen". En ce début d'année, un député MPF a fait la même proposition. En réponse, le Parti de Gauche défend la mémoire de Robespierre ; J.L. Mélenchon vient d'interpeller le président de France Télévision après la diffusion du documentaire Robespierre : bourreau de la Vendée, dont il récuse le contenu.
Il est toujours quelque peu pervers de discuter, le cul bien tranquillement sur sa chaise, de la légitimité ou de l'illégitimité de décisions et de conduites aussi sanglantes, mais cependant, il paraît plus que discutable d'appliquer le terme de génocide (extermination de toute une population définie par un commun qualificatif) à la politique menée par la Convention dans l'Ouest insurgé.
Pour autant, il serait parfaitement contre-productif, d'évacuer deux faits :
- l'impitoyable répression de masse dont furent victimes les populations, y compris femmes et enfants, dans le tragique conflit qui opposa les insurgés vendéens (au sens large) aux armées de la République. Il serait vain à ce sujet de s'en tenir à des comptes qui se veulent équilibrés : "Une terrible guerre civile entre les républicains et les contre-révolutionnaires qui a tué d'un côté autant que de l'autre" (L'Humanité, 24 janvier 2013).
- la cinglante condamnation de cette répression par celui que les générations ultérieures considèreront comme le « père du communisme », Gracchus Babeuf, dans la brochure parue au début de l'an III (automne 1794) : "Du système de dépopulation ou la vie et les crimes de Carrier", imprimerie de Franklin, Paris, rue de Cléry. (Il s'agit de l'ouvrage réédité par Raynald Secher, puis par Philippe Riviale). Babeuf pourfendeur de la répression républicaine en Vendée ! Voilà qui ne peut que susciter l'enthousiame des sites royalistes sur Internet !
Ce "système de dépopulation", que Babeuf attribue à l'Incorruptible, aurait consisté en d'abondantes saignées guerrières infligées à la Nation, afin de pouvoir enfin réaliser les promesses du Contrat social : le pays était trop peuplé pour envisager, en l'état, le partage égal des richesses dont rêvaient les Sans Culottes.
Mais, en cet automne "thermidorien" de 1794, Babeuf écrit et publie trois mois après le renversement de Robespierre, dont il fut l'adversaire. On sait qu'à côté des "modérés" de la Plaine, les "terroristes" retour de mission (dont Robespierre n'avait jamais approuvé ni les visées ni les méthodes), - les Barras, Fréron, Tallien, Carrier, Fouché - ont eu un rôle majeur dans la chute de l'Incorruptible. Ces anciens "terroristes" pensèrent faire oublier leurs actes en focalisant sur un bouc émissaire, Carrier, "bourreau de Nantes et de la Vendée". Fouché (l'homme de la sanglante répression de Lyon) avait gardé des contacts avec les démocrates de la Montagne populaire ; il demanda au publiciste Babeuf d'écrire sa brochure stigmatisant Carrier (jugé en novembre, Carrier est guillotiné en décembre 1794).
Le texte de Babeuf sera vite oublié, cependant que l'auteur revenait sur sa condamnation de Robespierre et s'engageait dans l'entreprise de la Conjuration des Égaux, qui se terminera par sa condamnation et son exécution le 27 mai 1797.
Il n'est pas question dans les quelques lignes de ce billet d'ajouter quoi que ce soit aux travaux des historiens, tant dans le dépouillement factuel des guerres de Vendée, que dans l'analyse des motivations des insurgés. Il n'est pas non plus question d'ajouter ici une étude au crédit de la Révolution, magistralement défendue par tant d'historiens à qui va toute ma sympathie.
Je me permets de déplacer le problème, ou plutôt les problèmes.
- Le premier est celui des résistances populaires à une révolution bourgeoise (refus de la conscription, protestation contre l'accaparement des biens nationaux, refus de la déchristianisation...). je dis bien "résistances" car il y eut par exemple des Vendées méridionales.
Je mets de côté pour le moment la question délicate du passage ultérieur du blanc au rouge dans certaines de ces Vendées.
- Le second problème, qui reste vraiment à approfondir, est celui de l'origine idéologique de ces "terroristes". Certes, les influences philosophiques et littéraires sont évidentes. Mais, à la différence des militants d'aujourd'hui, ils ne pouvaient se réclamer d'une quelconque filiation politique : les partis n'existaient pas avant 1789. Tout était à inventer en la matière...
- Le troisième problème est celui de la violence totale, implacable, et souvent sadique mise en œuvre, au nom de la Cause. Certes, en ce qui concerne l'armée des volontaires Sans Culottes, on peut la replacer, sans l'excuser, dans le contexte obsidional d'une République attaquée de tous côtés, de l'extérieur et de l'intérieur. Certes encore, en ce qui concerne l'armée de métier également engagée en Vendée (et sans grande sympathie pour l'armée des Sans Culottes), on peut facilement la renvoyer à la tradition immémoriale de toute soldatesque. Mais ici, il est impossible d’éluder la couverture, voire la recommandation officielle de telles exactions. En fait, si l'on veut bien ne pas isoler la guerre de Vendée de ce qui va suivre, les méthodes mises en œuvre dans l'Ouest seront aussi, à peine deux ans après, celles de l'armée républicaine de Bonaparte en Piémont et en Lombardie, à l'égard d'une paysannerie réfractaire. Pour ne pas parler de ce qui se jouera en Espagne. Personnellement d'ailleurs, je considère la conquête de l'Algérie sous la Monarchie de Juillet comme le dernier prolongement des guerres de la Révolution et de l'Empire, plus que comme une entreprise coloniale au sens ultérieur du terme (il n'y avait pas d’enjeux économiques directs, sinon le fameux non remboursement de la dette). Dans cette expansion nationaliste de la France, proclamée porteuse des Lumières civilsatrices, les méthodes employées seront les mêmes ; n'oublions pas que Bugeaud, qui se rendit tristement célèbre en la matière, avait fait ses armes dans l'armée impériale. Toutes ces guerres reçurent l'aval de l'opinion, y compris, en ce qui concerne l'Algérie, celui des "patriotes" républicains des années 1830-1840.
En ce sens, pour aller vite, et n'en déplaise à Stéphane Courtois, la répression de l'insurrection vendéenne est peut-être à classer dans les prémices de ce que sera l'impitoyable machine de guerre étatique et bourgeoise française...