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« Angela, rends-nous les clés du coffre ! »

Lettre bernoise n°53

Par Gabriel Galice •  • Mercredi 08/05/2013 • 6 commentaires  • Lu 2396 fois • Version imprimable


Mon cher Klaus,

Le pugilat verbal qui agite la scène européenne autour de la prépotence allemande tient du théâtre d’ombres, tant les faux-semblants surabondent.

M’est avis que les Germains, (je les pratique assidûment), défendent longanimement leurs intérêts tandis que leurs voisins tergiversent, se fourvoient. La chute de Mur conduisant à l’unification, le Traité de Maastricht et la création de l’€ ont, qu’on le veuille ou non, installé la suprématie allemande en Europe. Les Allemands ont préparé les événements, mettant à profit la conjoncture historique pour atteindre des objectifs dûment réfléchis. Les propos du Ministre plénipotentiaire Detlef Weigel sont passablement confondants : « Peut-être l’Allemagne est-elle devenue un peu plus « française » et garde davantage à l’esprit ses propres intérêts. Tout comme la France est peut-être devenue un peu plus « allemande » suite à la crise financière puisqu’elle entend désormais assainir ses finances publiques au prix de grands efforts. » Comment nous faire accroire que l’Allemagne ait jamais sacrifié ses intérêts fondamentaux ? Quand elle a fait des concessions tactiques (en payant la PAC par exemple), c’étaient celles du vaincu attendant son heure. Que les incrédules lisent donc le protocole additionnel allemand au Traité de Rome. C’est un joyau de rouerie pour justifier par la bande la sous-traitance industrielle clandestine en RDA, en proclamant haut et fort sa candeur. Déjà, l’Allemagne mettait en oeuvre une sous-traitance bon marché à l’Est pour monter chez elle des produits finis « Made in Germany ».

La reconnaissance unilatérale de la Croatie (son vieil allié) a entraîné le ralliement français et l’implosion yougoslave. De bons auteurs (Soutou) nous instruisent d’un processus longtemps prémédité. Les Allemands invoquent l’inflation ayant conduit au nazisme pour justifier leur obsessionnelle politique déflationniste, taisant que Stresemann avait efficacement rétabli la situation. Du coup, l’€ est une copie du DM et le siège de la BCE est à Francfort, capitale financière de l’Allemagne. La BCE a pour seule mission la lutte contre l’inflation alors que le FED étasunienne a aussi pour mandat de combattre le chômage. C’est encore Hitler qui sert de prétexte pour empêcher tout référendum et imposer au peuple allemand des traités européens dont les dirigeants admettent qu’ils les lui ont, dictatorialement, imposés. Bref, les dirigeants allemands, mon cher Klaus, méritent à la fois notre admiration et notre attention. Et le peuple allemand, dupé, consentant, notre commisération.

Les fautifs ne sont pas tant les Allemands qui promeuvent leurs vues, que ceux, par sottise et pusillanimité, qui ont confié à l’Allemagne les clés du coffre (se dit, là-bas « Panzerschrank », armoire blindée, ou « Tresor » ), les règles du jeu et le cours des choses. L’Allemagne tire sa puissance de ses talents propres et des médiocrités de ses partenaires. Piteusement, le Premier ministre français cajole ses cousins germains en twittant frénétiquement en allemand. Mieux vaut en rire, mon cher Klaus, pour ne pas en pleurer (Tucholsky).

Tout soudain, comme ramenés brutalement à la réalité, nos ingénus voudraient reprendre les clés du coffre des mains de Merkel.

L’économiste Wilhelm Hankel (prônant des monnaies nationales aux côtés de l’€) ou l’ancien ministre des finances Oskar Lafontaine (souhaitant la restauration du SME), qui ne saurait être tenu pour « antigermanique», en appelle à une politique financière et monétaire radicalement différente.

Après les Grecs, les Espagnols vitupèrent contre le diktat conjoint de l’Allemagne et de l’Union. Sur le site Truthout, on égratigne vivement la conduite de l’Allemagne vis-à-vis de l’Espagne http://www.truth-out.org/opinion/item/16076-the-german-establishments-imposition-of-austerity-on-spain-recapitulates-fascist-history

Bref, à l’égard de l’Allemagne, François II le mou poursuit les divagations de François I, dit Mythe errant,  et de Nicolas I Ie fréné-tic. N’est pas de Gaulle ou Jaurès qui veut. Les mandarins issus de la promotion Voltaire de l’ENA se montrent dignes héritiers de l’amuseur du Roi de Prusse. La germanophilie, mon cher Klaus, n’interdit pas le discernement. Le patriotisme des uns suppose celui des autres, les nationalismes seuls sont incompatibles. Je sais la confusion courante.

Parangon de robustesse, l’impératrice Merkel est un mélange de Thatcher et de Bismarck. Elle plaît au peuple allemand qui, sauf cataclysme, va la reconduire à la tête du pays et, conséquemment, de l’Europe.

Bien nous en a pris, à nous autres Helvètes, de garder nos distances avec cette Europe-là.  

Je t’assure, mon cher Klaus, de mon indéfectible amitié.

Ton Guillaume tel que tu le lis : ébahi.

Berne, le 8 mai 2013

 


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Commentaires

Un IV ième Reich ou rien! par Pereira Nunes le Jeudi 09/05/2013 à 14:55

Rafael Poch nous livre une réfléxion sur "L'Allemagne dans la Grande Inégalité" non déporvue d'interêt sur le
site
http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1608


Re: Un IV ième Reich ou rien! par Gabriel Galice le Jeudi 09/05/2013 à 16:58

 Muchas gracias.
J'ai écrit un chapitre sur l'Allemagne dans mon livre "DU PEUPLE-NATION - Essai sur le milieu national de peuples d'Europe" (Lyon, Mario Mella 2002). Plusieurs de nos vues se recoupent.
Cordialmente


Made in Germany par Pereira Nunes le Samedi 11/05/2013 à 01:08

Guillaume Duval vient d'écrire "Made in Germany".. Aparamment c'st à lire absolument.
Amitiés,
Antonio


Re: Made in Germany par Gabriel Galice le Lundi 13/05/2013 à 09:53

 L'article de Duval dans Alternatives économiques, sur la riposte à founir à l'Allemagne, me semble bien faible.

Il faut du courage et, pour certains, une bonne dose d'autocritique, pour sortir du carcan de l'euro.

Amicalement.


Allemagne... par Anonyme le Mardi 14/05/2013 à 19:26

La crise, ce prétexte pour baisser le coût du travail, mais pas celui du capital
 
Michel Santi, économiste*
 

(...) Les réformes Hartz ont fabriqué des mendiants sociaux


Réformes sinistres initiées en ce 16 août 2002 où un groupe d'experts dirigés par le directeur des ressources humaines de Volkswagen, Peter Hartz, présentait au chancelier allemand Gerhard Schröder, ses propositions relatives aux réformes du marché du travail. Dix ans plus tard, la société allemande se retrouve profondément transformée par ces réformes. En effet, une étude de l'OCDE, publiée à fin 2012, conclut à un accroissement spectaculaire de l'inégalité des revenus en Allemagne et, ce, davantage que dans n'importe quel autre pays membre de cette organisation. Ayant très finement manœuvré, la commission Hartz a réussi à créer dans son pays un marché du travail subsidiaire - ou parallèle - dominé par des salaires bas et non soumis aux droits sociaux. De fait, ces réformes privent les chômeurs allemands de tous leurs droits aux allocations chômage. Ils sont dès lors réduits à l'état de mendiants sociaux ! Ainsi, ce n'est qu'après une année entière de chômage que le travailleur est en droit de demander une misérable allocation mensuelle de 347 euros par mois, à la seule condition toutefois d'avoir préalablement épuisé son épargne et à la condition expresse que son conjoint soit incapable de subvenir à ses besoins. Pourquoi ne pas évoquer également l'obligation lui étant imposée d'accepter n'importe quel emploi, indépendamment de ses qualifications et de ses revenus antérieurs ?

Hartz est donc tout à la fois un piège et la meilleure voie pour la pauvreté, ou comment accéder à un état de précarité absolue inconcevable et intolérable dans un pays riche comme l'Allemagne. Une étude réalisée par l'Association à l'aide sociale paritaire allemande dévoile effectivement que les trois-quarts des personnes touchées par ces lois restent à jamais tributaires de Hartz. Sachant que, par ailleurs, la simple menace de tomber dans Hartz contraint les chômeurs à accepter des emplois à salaire bas, à temps partiel, dénués de toute sécurité, de droits à la retraite et autres allocations. Le dogme allemand du travailleur « low cost » est donc né de ces réformes... Et, de fait, seuls 29 millions d'Allemands (sur près de 42 millions de travailleurs) disposent aujourd'hui d'emplois soumis au régime de la sécurité sociale, pendant que quelque 5,5 millions d'entre eux travaillent à temps partiel, et que plus de 4 millions gagnent moins de 7 euros de l'heure ! Le secteur allemand des bas salaires tire par le fond tous les salaires du secteur industriel en agissant comme une sorte de levier infernal. Le travailleur y subit des conditions similaires à celles encore en vigueur dans le Tiers-monde et dans les pays émergents.(...)


Re: Allemagne... par Gabriel Galice le Mercredi 15/05/2013 à 14:00

 Absolument d'accord.

En Allemagne, la droite de marché poursuite la logique de la gauche de marché, initiée par Schröder.
En France, c'est l'invserse.
Nous avons échappé à DSK mais j'entends que Pascal Lamy, quittant sa fonction de directeur de l'OMC, pourrait entrer dans le futur gouvernement que le Président déciderait, souverainement, de constituer. Finalement, en dépit des "Occidentaux", l'OMC a choisit, avec le Brésilien, un protectionniste pragmatique contre un libre-échangiste conformiste. Reste aux intégristes de Bruxelles à en tirer les enseignements.

Lisant Santi, je me réjouis de constater qu'il reste des économistes critiques à découvrir !



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