Mon cher Klaus,
Le pugilat verbal qui agite la scène européenne autour de la prépotence allemande tient du théâtre d’ombres, tant les faux-semblants surabondent.
M’est avis que les Germains, (je les pratique assidûment), défendent longanimement leurs intérêts tandis que leurs voisins tergiversent, se fourvoient. La chute de Mur conduisant à l’unification, le Traité de Maastricht et la création de l’€ ont, qu’on le veuille ou non, installé la suprématie allemande en Europe. Les Allemands ont préparé les événements, mettant à profit la conjoncture historique pour atteindre des objectifs dûment réfléchis. Les propos du Ministre plénipotentiaire Detlef Weigel sont passablement confondants : « Peut-être l’Allemagne est-elle devenue un peu plus « française » et garde davantage à l’esprit ses propres intérêts. Tout comme la France est peut-être devenue un peu plus « allemande » suite à la crise financière puisqu’elle entend désormais assainir ses finances publiques au prix de grands efforts. » Comment nous faire accroire que l’Allemagne ait jamais sacrifié ses intérêts fondamentaux ? Quand elle a fait des concessions tactiques (en payant la PAC par exemple), c’étaient celles du vaincu attendant son heure. Que les incrédules lisent donc le protocole additionnel allemand au Traité de Rome. C’est un joyau de rouerie pour justifier par la bande la sous-traitance industrielle clandestine en RDA, en proclamant haut et fort sa candeur. Déjà, l’Allemagne mettait en oeuvre une sous-traitance bon marché à l’Est pour monter chez elle des produits finis « Made in Germany ».
La reconnaissance unilatérale de la Croatie (son vieil allié) a entraîné le ralliement français et l’implosion yougoslave. De bons auteurs (Soutou) nous instruisent d’un processus longtemps prémédité. Les Allemands invoquent l’inflation ayant conduit au nazisme pour justifier leur obsessionnelle politique déflationniste, taisant que Stresemann avait efficacement rétabli la situation. Du coup, l’€ est une copie du DM et le siège de la BCE est à Francfort, capitale financière de l’Allemagne. La BCE a pour seule mission la lutte contre l’inflation alors que le FED étasunienne a aussi pour mandat de combattre le chômage. C’est encore Hitler qui sert de prétexte pour empêcher tout référendum et imposer au peuple allemand des traités européens dont les dirigeants admettent qu’ils les lui ont, dictatorialement, imposés. Bref, les dirigeants allemands, mon cher Klaus, méritent à la fois notre admiration et notre attention. Et le peuple allemand, dupé, consentant, notre commisération.
Les fautifs ne sont pas tant les Allemands qui promeuvent leurs vues, que ceux, par sottise et pusillanimité, qui ont confié à l’Allemagne les clés du coffre (se dit, là-bas « Panzerschrank », armoire blindée, ou « Tresor » ), les règles du jeu et le cours des choses. L’Allemagne tire sa puissance de ses talents propres et des médiocrités de ses partenaires. Piteusement, le Premier ministre français cajole ses cousins germains en twittant frénétiquement en allemand. Mieux vaut en rire, mon cher Klaus, pour ne pas en pleurer (Tucholsky).
Tout soudain, comme ramenés brutalement à la réalité, nos ingénus voudraient reprendre les clés du coffre des mains de Merkel.
L’économiste Wilhelm Hankel (prônant des monnaies nationales aux côtés de l’€) ou l’ancien ministre des finances Oskar Lafontaine (souhaitant la restauration du SME), qui ne saurait être tenu pour « antigermanique», en appelle à une politique financière et monétaire radicalement différente.
Après les Grecs, les Espagnols vitupèrent contre le diktat conjoint de l’Allemagne et de l’Union. Sur le site Truthout, on égratigne vivement la conduite de l’Allemagne vis-à-vis de l’Espagne http://www.truth-out.org/opinion/item/16076-the-german-establishments-imposition-of-austerity-on-spain-recapitulates-fascist-history
Bref, à l’égard de l’Allemagne, François II le mou poursuit les divagations de François I, dit Mythe errant, et de Nicolas I Ie fréné-tic. N’est pas de Gaulle ou Jaurès qui veut. Les mandarins issus de la promotion Voltaire de l’ENA se montrent dignes héritiers de l’amuseur du Roi de Prusse. La germanophilie, mon cher Klaus, n’interdit pas le discernement. Le patriotisme des uns suppose celui des autres, les nationalismes seuls sont incompatibles. Je sais la confusion courante.
Parangon de robustesse, l’impératrice Merkel est un mélange de Thatcher et de Bismarck. Elle plaît au peuple allemand qui, sauf cataclysme, va la reconduire à la tête du pays et, conséquemment, de l’Europe.
Bien nous en a pris, à nous autres Helvètes, de garder nos distances avec cette Europe-là.
Je t’assure, mon cher Klaus, de mon indéfectible amitié.
Ton Guillaume tel que tu le lis : ébahi.
Berne, le 8 mai 2013
Rafael Poch nous livre une réfléxion sur "L'Allemagne dans la Grande Inégalité" non déporvue d'interêt sur le
site
http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article1608