Aujourd’hui Mélenchon et le Parti de Gauche aiment parsemer leurs discours et leurs textes de citations de Jaurès[i]. C’est ainsi que Mélenchon a terminé son intervention du 5 mai 2013 par ce socialiste célèbre Ceci m’incite à écrire cet article qui ne va pas me faire des amis car, quand on a la chance d’avoir un tribun qui relance l’espoir démocratique, il vaut mieux l’encenser. Je me contente d’avancer quelques faits donc merci de juger les faits et non d’inventer des intentions…
Depuis que Mélenchon a quitté le PS, au fil des années il devient le chef autoproclamé du Front de gauche car il sait mieux que quiconque comment conduire la transformation sociale. L’élection présidentielle en lui apportant presque 12% quand les législatives qui suivirent donnèrent seulement 7% au Front de Gauche tend à lui donner raison.
Il sait à la fois ce qu’il est bon de récupérer chez tel ou tel penseur et ce qu’il est bon de faire savoir de sa propre pensée. Il a donc une double stratégie avouée : une stratégie de communication et une stratégie politique. Il pense se servi des médias pour les retourner contre eux-mêmes[ii], et là il faudrait lui laisser carte blanche. Il est capable d’unir une force nouvelle et là c’est à cette force à s’organiser. La décision d’une manifestation le 5 mai est typique de ce phénomène : il a décidé seul… et un mouvement s’est mis en place avec la présence d’Eva Joly, même si les reproches qu’elle fait au gouvernement (le maintien du nucléaire) ne sont pas ceux du PCF. Lui seul pouvait lancer cet appel et susciter cette union.
Jaurès n’a été qu’un membre du PS parmi d’autres, et d’ailleurs, à l’unification socialiste de 1905 ses thèses n’étaient même pas majoritaires ! Il savait à la fois s’incliner devant la discipline de parti, et exposer ses idées personnelles. Comme Mélenchon, il avait une claire conscience de l’importance des médias… d’où la création dès 1904 d’un quotidien, l’Humanité, qui fut un des outils majeurs de l’unification socialiste de 1905. Ce qui ne l’empêchait pas de continuer à écrire dans La Dépêche du Midi[iii] dont le radicalisme était ancien et bien connu. L’assassinat de Jaurès en a fait une figure, mais une figure déformée. Il n’a jamais été un chef car il se contentait de mettre en mots l’histoire en marche, quand Mélenchon croit que les mots peuvent faire marcher l’histoire ! Ce renversement tient peut-être au renversement de l’histoire imposé depuis un siècle par le capitalisme ?
Je me réjouis que sa stratégie de communication fasse exploser l’audimat mais Georges Marchais faisait de même avec le résultat que l’on sait. Je me réjouis de ses appels à la lutte mais sans oublier que nous sommes dans un contexte de recul caractérisé de la démocratie sociale, et je ne n’attends pas d’’un homme qu’il puisse inverser la tendance. D’où les appels de Mélenchon : « agissez là où vous êtes » mais comment ? dans quel parti ? pour quelle revendication précise ?
Mélenchon a-t-il une seule fois rappelé qu’il est le co-président du parti de gauche ?[iv] En créant ce parti, il a suscité quelques enthousiasmes qui furent souvent déçus quand il s’est avéré que dans ce parti un cercle étroit de dirigeants tient en main tous les lieux de pouvoir. Le centralisme du PCF était autrefois bien minime par rapport à celui du PG. Un centralisme du PG qui pouvait s’expliquer au lancement du parti, mais qui est devenu un carcan. Au Parti de Gauche, toute la cotisation va à Paris qui reverse ensuite à la base et dans quelles conditions ? Les comités locaux n’ont aucune autonomie.
Ce parti qui prône la révolution citoyenne pourrait l’installer dans sa propre organisation.
Mais tout ceci reste secondaire par rapport à l’essentiel : comment déterminer l’orientation politique ? Peut-être que l’organisation en tendance pratiquée au PS a vacciné Mélenchon et ses amis de cette forme de vie d’un parti, mais comment exprimer les divergences ?
Plusieurs dirigeants de haut rang ont quitté la maison pour des désaccords divers.
Avec Jaurès la situation est exactement inverse. Si l’unification a pu se faire en 1905 c’est grâce au respect mutuel des divers courants (et il n’en manquait pas !), tout ne se réduisant pas à l’affrontement au sommet en Jaurès et Guesde. Le courant socialiste est né d’un double héritage : la vision internationale et centrale du socialisme et la dispersion locale du radicalisme.
Mais le renversement de l’histoire imposé depuis un siècle par le capitalisme rend la comparaison futile ?
Vu sa géographie natale, Jaurès aurait dû tenter d’être candidat député dans le secteur de Castres-Mazamet, mais la bataille étant perdue d’avance, il alla dans une autre partie du Tarn, à Carmaux où ceci étant la bataille n’était pas gagnée d’avance. Il lui arriva de gagner et de perdre sans jamais s’éloigner de sa circonscription qui était son point de repère pour comprendre l’évolution sociale dans une circonscription paysanne et ouvrière, qu’il ne cessa de parcourir en tout sens.
Dans le nouveau contexte capitaliste l’ancrage est sans doute devenu un archaïsme car le Mélenchon du PG a commencé par être élu européen du Grand Sud-Ouest, puis a tenté en vain d’être un candidat tête de liste aux régionales d’Ile-de-France, et après la présidentielle, au dernier moment, nous le découvrons candidat député dans le Pas de Calais. Où, demain, l’actualité va-t-elle le transporter ? Tête de liste Front de Gauche aux municipales parisiennes ?
Venons-en à l’analyse que Mélenchon fait du capitalisme actuel, analyse qui peut seule, suivant le principe de base du marxisme, déterminer la stratégie à suivre.
Mélenchon, après avoir espéré pendant des décennies que le PS reconnaîtrait ses qualités, a finalement quitté ce parti pour lui prouver qu’il était capable de lui faire mordre la poussière. Dès le départ son objectif a été clair : permettre au Front de Gauche de passer devant le PS.
Le calcul était simpliste : sa tendance quittant le PS ce parti allait être affaibli et inversement, en s’unissant au PCF, le Front de gauche allait s’envoler.
Jaurès ne s’est jamais soucié de faire passer le PS nouveau, devant le parti radical, mais il a fait en sorte que, petit à petit, les revendications qui lui tenaient à cœur entrent dans la vie, à savoir, la journée de 8 heures, l’impôt sur le revenu, les retraites ouvrières. De ce fait, il a été considéré par des courants de son parti, comme un homme de centre gauche. Il se trouve que de 1880 à 1906 l’avancée de la démocratie sociale a été importante sur bien des points, donnant ainsi raison à cette stratégie. Une avancée qui correspondait à une avancée du syndicalisme dont Jaurès respectait l’autonomie, chacun ayant à assumer ses propres responsabilités là où il est. Une avancée qui était aussi une avancée de la tendance de gauche du radicalisme. En 1906 après la loi de séparation des églises et de l’Etat et les troubles du début 1906, le succès de la gauche fut net ! Sauf que les événements, à partir de 1906, allait changer la donne. Par crainte du socialisme conquérant, le radicalisme, même dans sa version de gauche, a commencé à faire de la révolution sociale son adversaire majeur. Jaurès a bien sûr tenu compte du contexte d’où son engagement corps et âme dans le pacifisme car il avait compris que la guerre était la solution toute désignée pour en finir avec « les acquis sociaux ».
Mélenchon peut dire qu’il mesure la transformation du capitalisme avec sa proposition de révolution verte complétant celle de révolution citoyenne. Il fait comme s’il avait inventé le combat citoyen cher à Jean-Pierre Chevènement et son Mouvement des Citoyens, ou l’éco-socialisme qu’on trouve depuis longtemps chez divers penseurs authentiques[v]. Son expression « coup de balai » qui renvoie à son titre de livre « Qu’ils s’en aillent tous ! » devrait l’engager à réfléchir au cas de Beppe Grillo dont la formule a fait le succès dans un contexte différent. J’ai justement commencé à douter du niveau d’analyse de Mélenchon quand j’ai lu son compte-rendu du voyage en Italie, juste avant les élections, où il a réussi à présenter l’ensemble des forces politiques, sans un mot pour le phénomène Beppe Grillo. Qu’il se soit enflammé pour l’alliance de gauche qu’il présentait comme un enfant du Front de Gauche français et qui allait passer allègrement la barre des 5% est une myopie classique chez ceux qui veulent gonfler l’enthousiasme des militants (l’échec étant considérable les faux-espoirs ont leur retour de bâton !), mais ne rien dire de Beppe Grillo c’était un manque d’analyse global.
Comme Mélenchon, je suis aussi un passionné d’Amérique latine et sur ce point, j’ai constaté cent fois qu’il connaît de la réalité que ce qui l’arrange. Je prétends que s’il avait analysé la réalité du capitalisme actuel, il aurait évité le nom de Parti de Gauche, « gauche » n’ayant plus de sens ; le mot de droite non plus par voie de conséquence (les deux termes se définissant l’un, l’autre). En conséquence en mai 2012, il appelle à voter Hollande sans condition, en mai 2013 il tape sur le gouvernement Hollande et en avril 2014 comment faire pour sauver la mairie PS de Paris ? Une cohérence est possible en la matière : laisser au second tour les électeurs libres de leur décision.
Il suffit qu’un président Front de Gauche soit élu (Mélenchon), il convoque une assemblée constituante et le peuple prend le pouvoir. En 1981 déjà Marchais était persuadé d’arriver au premier tour avant Mitterrand. En 2012 Mélenchon a pensé la même chose et il pense que ça sera le cas aux Européennes de 2014. Un avenir enthousiasmant ? Il s’agit d’un modèle directement importé du Venezuela qui fait l’impasse totale sur la différence de contexte. J’avoue moi-même qu’il est plus glorieux de prétendre tout changer plutôt que de demander la simple abolition du Sénat ou la fin de l’élection présidentielle du président au suffrage universel (Mélenchon est tellement favorable à ce principe qu’il pense au référendum révocatoire pour permettre au peuple de changer de monarque !). En fait, la revendication de Sixième République a l’avantage d’être un fourre-tout qui ne peut unifier que les illusions.
Mélenchon en appelle aux vieux réflexes de la gauche traditionnelle et c’est mobilisateur comme en 69 certains pensaient que 68 allait se répéter. Avoir l’œil dans le rétroviseur pour inventer le monde d’aujourd’hui, oui, mais pas pour la nostalgie. Prenons une question classique qui est celle de la proportionnelle. Elle donne le pouvoir au peuple ? Non, elle donne le pouvoir aux combines de couloir et donc aux minorités ! Avec l’élection à deux tours, c’est le peuple qui signifie quelles alliances de gouvernement il souhaite. Au premier tour on choisit, au deuxième on élimine. Avec la proportionnelle il n’y a qu’un tour et tout de suite… on élimine. Le PCF a fait l’expérience de la proportionnelle en 1986 et n’en a tiré aucun bénéfice contrairement à ses espoirs ! L’élection européenne a été à la proportionnelle sur liste nationale sans changer le paysage politique. Modifier le mode de scrutin pour le rendre plus juste avec une dose de proportionnelle, oui, mais en admettant deux choses : il faut à la fois une représentation politique le plus juste possible … pour aboutir à une gestion politique. Bien sûr on pourrait espérer que le Front de gauche soit une minorité de blocage imposant à Hollande une autre politique, mais cette minorité pourrait tout autant être celle de l’extrême-droite. Ceux qui trouvent injuste le fait qu’une fois le vote émis, on ne peut plus rien faire, oublient ou font semblant d’oublier qu’entre deux élections la bataille sociale continue.
Nous avons beaucoup à apprendre des combats de Jaurès, de sa méthode, de sa fermeté, de sa clarté mais pas à des fins utilitaires. Et j’ose espérer que Mélenchon lui-même a beaucoup à apprendre des uns et des autres et autant de ses laudateurs que de ses critiques. La révolution qu’il appelle de ses vœux ne sortira pas de sa tête, mais d’un mouvement social avec lequel nous devons chercher à construire notre propre conscience pour avancer pas à pas dans la lutte des classes. JP Damaggio
[i] L’hebdo du PG porte cette citation : « Le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale.» Jean Jaurès
[ii] Il a confirmé ce point de vue à la dernière rencontre du groupe qui dirige le Front de Gauche comme sur son blog : "Les gens de médias n'imaginent même pas qu'on puisse les manipuler à leur tour et se servir de leurs plus bas réflexes pour faire avancer nos machines de guerre contre le système !",
[iii] Les Editions La Brochure viennent de confronter des articles de Jaurès en 1906 dans les deux quotidiens.
[iv] Place du blog du PG est en France en avril 2013 : 7019 ; celui de Mélenchon : 4565 (une baisse par rapport à la même date en 2012 : 3840). A titre de comparaison voici celui du PCF : 34 178.
A titre d’indication voici sur le plan internationale le classement de celui de Mélenchon : 142 773et celui de Beppe Grillo (qui n’est qu’en italien langue moins forte que le français) : 7 433. Données obtenues avec: http://urlespion.co/
[v] Voyages et aventures en écologie, de Catherine Claude, Editions sociales, 1977, en donne un aperçu.
ne nous laissons pas manipuler!
le personnage clé du mouvement socialiste en france est edouard vaillant, communard, laique dans les faits, representant de Marx aux derniers congres de la 1ere internationale, ingenieur et medecin, organisateur des congres des partis ouvriers depuis le congres de marseille, aboutissant plus tard.à la fondation de la SFIO.la presse a prefere mettre en scene une opposition entre jaures le democrate et guesde le sectaire.
jaures lui meme dit de vaillant qu'il est l'authentique representant du socialisme scientifique en france.
depute, il propose les lois sociales de la 3eme republique. a la seconde internationale il lutte contre le chauvinisme des socialistes anglais et allemand.
septique sur la capacité du parti socialiste à affronter la repression, il prone la construction d'un appareil clandestin en son sein , "derriere" la façade des sections combattant sur le terrain electoral.