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Arguments contre l'état d'urgence

Par Denis Collin • Actualités • Lundi 23/11/2015 • 0 commentaires  • Lu 2781 fois • Version imprimable


L’état d’urgence n’est pas condamnable en soi. La république romaine antique disposait de cette institution particulière nommée dictature. Le dictateur, choisi par un consul en exercice après approbation du principe par le sénat, dispose du commandement absolu. Il est généralement choisi parmi les anciens consuls et pendant la dictature les consuls en exercice perdent leur pouvoir. La dictature est limitée à 6 mois et le dictateur ne peut modifier les lois... On remarque immédiatement que notre état d’urgence ne ressemble en rien à la dictature romaine! Le point le plus fondamentalement scandaleux dans l’actuel état d’urgence, c’est que loin de se limiter à des mesures extraordinaires, le gouvernement Hollande-Valls profite de la situation d’exception pour changer les lois. Dans l’histoire romaine, des dictateurs ont usé du pouvoir d’exception qui leur a été confié pour mettre en cause les institutions républicaines (Sylla et César)...

On peut refuser l’état d’urgence sans être un naïf idéaliste bon seulement à définir une politique pour le pays d’Utopie. Lecteur et admirateur de Machiavel, je sais bien qu’on peut avoir recours à l’état d’exception et donner à un seul homme (un Prince!) la mission de sauver la patrie et de « chasser les barbares »!
Le problème est non pas de principe général, mais de l’analyse concrète de la situation concrète.
1) Létat d’urgence était-il nécessaire? Y avait-il une menace de paralysie politique et administrative du pays ? Y avait-il une menace identifiable de renversement imminent des institutions ? A l’évidence, non! La gravité des attentats (dont le plus important, celui qui visait le stade de France avait été déjoué, ne l’oublions pas) ne nécessitait nullement de décréter l’état d’urgence sur tout le territoire national. En 2005, il n’avait été décrété que sur des quartiers qui avaient connu des émeutes.
2) Étiez-nous juridiquement désarmés contre les terroristes? Avec 11 lois anti-terroristes en 10 ans, l’État est surarmé juridiquement ! La dernière de ces lois, celle prise après les attentats de janvier, n’avait même pas encore reçu ses décrets d’application ! Toutes les perquisitions, arrestations, assignations à résidence faites au cours des derniers jours pouvaient être faites uniquement avec l’arsenal juridique existant. Ce dont manquent sévèrement les services de police et de renseignements, ce n’est pas de lois
3) L’ordre public était-il en cause? la loi adoptée cette semaine par le parlement aurait pu, si elle était nécessaire, justifier ses mesures d’exceptions en ciblant clairement les menaces terroristes ou l’atteinte à la sûreté de l’État. Au lieu de cela, toutes les mesures d’exception peuvent être justifiées au nom du "trouble à l’ordre public", notion vague et extensible à souhait qui peut toucher aussi bien une grève, une manifestation syndicale ... qu’une réunion pour demander la levée de l’État d"exception. Certains socialistes proposaient d’aller plus loin encore en rétablissant la censure sur la presse, comme pendant la guerre de 14 ou la guerre d’Algérie...
4) Fallait-il le voter pour l’état d’urgence pour 3 mois? Si l’État d’urgence était inévitable, on pouvait le voter pour une ou deux semaines et demander l’autorisation au parlement de la proroger si nécessaire. C’est ce qu’aurait un gouvernement un minimum démocratique. L’article 16 de la constitution, cible des critiques de la gauche (qui se souvent encore de ce que veut dire ce mot?) stipule que le parlement doit siéger en permanence durant l’exercice des pleins pouvoirs confiés au président. Hollande se révèle ici encore plus hostile à la démocratie et au parlement que ne l’était le général De Gaulle.

Même si on veut me contester mon point (1), ce que je suis prêt à discuter -- peut-être la police dispose-t-elle de renseignements que nous n’avons pas sur la gravité de la situation --, mes points (2), (3) et (4) montrent que le contenu précis de l’état d’urgence actuel ne correspond pas aux nécessités de l"ordre public mais bien à la volonté cynique d’exploiter la situation pour renforce le caractère autoritaire de la Ve république et notamment pour mettre les missions policières hors de tout contrôle de la justice. Pour défendre la démocratie, on suspend donc l’un de ses principes essentiels, la séparation des pouvoirs avec l’indépendance du pouvoir judiciaire. On s’est souvent plaint de l’ingérence de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice. Hollande est plus radical: il met la justice sur la touche et donne les pleins pouvoirs à la police. Évidemment, nous n’avons pas encore notre Guantanamo mais dans l’esprit on s’en approche dangereusement. Du reste plus personne ne camoufle la réalité. C’est France 3 qui titre sur "le patriot act à la française" et annonce que ça durera sûrement bien au-delà des 3 mois --- tout comme le patriot act encore en vigueur.

Un dernier point éclaire tout cela d’un jour sinistre. Hollande propose d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France. Cette proposition du FN avait été reprise puis abandonnée par Sarkozy (elle était selon Badinter et Carcassonne clairement anti-constitutionnelle). Que Hollande la reprenne aujourd’hui est tout à fait significatif. A qui fera-t-on croire que la menace de perdre leur passeport français va arrêter le bras des assassins djihadistes ? Qui va gober ce sinistre bobard?  Personne évidemment. Il s’agit simplement pour Hollande d’aller chasser sur les terres de Le Pen et d’asphyxier la droite – quelques sondages indiquent que ça peut marcher. Le fil directeur pourrait donc être une opération de basse politique, une exploitation honteuse de la peur et de la sidération des gens ... pour sauver les sièges des socialistes aux régionales et préparer la présidentielle de 2017 avec le 2e tour préféré de Hollande, une 2e tour Hollande/ Le Pen. Où est la défense de la patrie ? Où sont les principes républicains ?


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