Ces derniers temps, la température politique en Italie s’est brusquement élevée, notamment parce qu’on a recommencé à parler des rapports entre la mafia et le pouvoir politique, en l’occurrence entre une partie de la mafia et le chef du gouvernement, mais surtout à cause de l’agression perpétrée contre Berlusconi. Je me souviens d’une phrase qui a fait du bruit, prononcée par le premier ministre au cours d’une visite privée en Tunisie, dans laquelle il annonçait de manière éclatante son intention de « passer dans l’histoire comme le président du conseil qui a vaincu la mafia ».
Mais la nouvelle qui a provoqué la plus grande stupeur fut celle-ci. Marcello Dell’utri, l’un des fondateurs de Forza Italia, bras droit de Berlusconi, déjà condamné en première instance à neuf ans de réclusion pour concours externe avec une association mafieuse, annonça le 19 août dernier qu’il voulait proposer une commission d’enquête sur les massacres de 1992. Une intention abandonnée dans les faits, mais annoncée à grandes pompes et sur un mode emphatique dans les médias. Apparemment, il s’agissait de l’habituelle démagogie politique sensationnaliste, faite d’annonces faciles et des promesses agitées comme un drapeau et ponctuellement trahies, auxquelles nous sommes habitués depuis longtemps.
Les vicissitudes politico-médiatiques des derniers temps, à partir des actions en justice que Berlusconi a décidé d’intenter contre La Repubblica et L’Unità, puis la démission de Dino Boffo, directeur de l’Avvenire, organe officiel de la CEI [l’organisation des évêques italiens; NdT], jusqu’au grave épisode de Milan et au lancement d’un projet de loi destiné à réduire la liberté sur le WEB, ont fait réémerger le thème, déjà brûlant et controversé, de la liberté d’information en même temps que d’autres aspects qui peuvent être ramenés à un conflit latent et permanent entre les pouvoirs forts qui depuis plusieurs années ont conditionné pesamment le destin de notre pays.
Mais procédons par ordre pour chercher à comprendre la logique de ces affaires.
Le 26 août dernier, le chef du gouvernement a décidé de recourir aux voies légales en déposant une citation pour dommages contre le groupe éditorial L’Espresso-Repubblica afin de contester les dix questions, évidemment dérangeantes, que, depuis plus de deux mois, le journaliste Giuseppe D’Avanzo lui avait posées sur ses fréquentations sexuelles, sans recevoir aucune réponse.
Probablement, ce qui a conduit Berlusconi à agir légalement contre La Repubblica, ce furent les insinuations sur une présumée possibilité de chantage et sur de présumées infiltrations au sommet de l’État italien de la part de centres mafieux, en particulier de la mafia russe, et l’ample écho que de telles informations ont eu dans la presse internationale.
Voilà quelque temps, le directeur de Avvenire,Dino Buffo donna sa démission par une lettre envoyée au cardinal Angelo Bagnasco, président de la Conférence Épiscopale Italienne. Boffo avait été victime de pesantes accusations concernant sa vie privée, en particulier ses habitudes sexuelles, mises au centre d’une campagne diffamatoire féroce et démesurée, conduite de manière cynique et sans scrupule par Vittorio Feltri, directeur du Giornale, le quotidien édité par le frère du premier ministre, Paolo Berlusconi.
Le jour même de la démission de Boffo, le président du conseil décida de traîner devant les tribunaux le directeur de L’Unità, Concita De Gregorio, en même temps que quatre autres collègues du quotidien bien connu. La dénonciation pour diffamation faisait formellement référence à une série d’articles sur les scandales sexuels venus au grand jour lors de l’été dernier.
Il est évident que les violentes attaques portées contre quelques-uns des principaux organes de presse nationaux ne peuvent être simplement réduites à quelques faits épisodiques, ni aux motifs officiellement adoptés dans les plaintes avancées par avocats du premier ministre, mais doivent être replacées dans le contexte et expliquées dans un cadre plus vaste et complexe qui met au centre non seulement la liberté d’informer toujours plus menacée par les phénomènes de squadrisme [ce terme fait référence à la formation des groupes armés fascistes au début des années 20 - NdT], de lynchage moral et de comportement politique barbare, mais aussi une série d’affaires et d’intérêts liés aux importants centres de pouvoirs, parmi lesquels on ne saurait exclure les conflits internes au Vatican entre le secrétariat d’État et la Conférence Épiscopale Italienne.
Dans les mois précédant immédiatement l’agression contre Berlusconi, le panorama politique italien avait été marqué par un frénétique enchaînement d’événements, de déclarations et d’initiatives, à commencer par les provocations estivales de la Lega Nord jusqu’aux menaces d’élections anticipées, puis le « squadrisme » journalistique de Vittorio Feltri qui avait conduit à la démission le directeur de Avvenire, les ignobles attaques portées par le premier ministre contre la liberté de la presse, qui avaient suscité de réactions diffuses de mépris, la polémique entre Gianfranco Fini et la feuille de Feltri, qui a menacé d’un chantage trop évident le président de la Chambre devenu une cible en raison de ses divergences explicites avec le président du Conseil, la manifestation nationale du 3 octobre pour la défense de la liberté de la presse et enfin le récent NoBday. [Feltri menaçait Fini de ressortir une affaire d’escort-girls, datant de 1999/2000 et dans laquelle seraient impliquées des personnalités de l’Alleanza Nazionale, l’ex-parti de Fini, qui s’est dissout dans le Pdl de Berlusconi - NdT]
Ceci seulement pour faire la liste des événements les plus importants et les plus significatifs de ces derniers mois.
D’un point de vue strictement historique, la menace lancée par Vittorio Feltri à l’adresse de Gianfranco Fini a constitué le premier chantage politique par voie de presse, en faisant appel à un code pas du tout chiffré. Dans les années 50 et 60, fréquentes étaient les dissensions verbales entre les deux adversaires historiques de la Démocratie Chrétienne, Giulio Andreotti et Amintore Fanfani. Ceux-ci se disputaient le leadership à l’intérieur du parti et du gouvernement, à coups de chantages, de dossiers liés aux activités d’investigation de journalistes mercenaires ou de services secrets détournés de leur fonction, mais leur conflit intestin, tout aussi âpre, cynique et sans scrupule, se déroulait sur un mode dialectiquement raffiné et élégant, usant d’un langage voilé et allusif et jamais trop explicite.
Tout ce qui est arrivé dans les derniers temps risque d’accélérer un processus involutif et dégénératif de la vie politique italienne au détriment du niveau déjà bas de la liberté d’information et du peu de démocratie formelle encore en vigueur dans le pays.
Après l’hospitalisation de Berlusconi à l’hôpital San Raffaele de Milan, par suite de l’agression de dimanche dernier, en Italie s’est déchaîné le tumulte rageur des quotidiens les plus minables et les plus réactionnaires et des mass-media philo-gouvernementaux qui ont dénoncé, selon leur idiosyncrasie furieuse le « climat de haine » existant contre le chef du gouvernement, accusant de manière indiscriminée aussi bien les réformistes et les sociaux-démocrates que les anarchistes et les communistes réunis dans le même sac politique.À part le fait que dans l’agression contre Berlusconi on note de multiples anomalies et incohérences. Déjà un seul élément irrégulier aurait dû susciter le soupçon, deux indices anormaux constituent une demie preuve, mais dans ce cas on relève trop de circonstances étranges. Mais laissons ici les analyses complotistes qui vont chercher toujours « ce qu’il y a derrière », pour nous limiter à une interprétation immédiate des faits et surtout de leurs conséquences.
Avant tout, il convient de raisonner de manière critique sur les causes et sur les effets des événements. Pour comprendre ce qui est arrivé, ne servent pas tant les enquêtes qui vont cherche ce qui est caché, mais il est nécessaire d’avoir une évaluation lucide et objective des faits et des conséquences sans se laisser influencer par les émotions. Il ne nous est pas donné de savoir si l’agression contre Berlusconi a été l’action d’un psychopathe isolé ou si derrière se cachent d’obscures manoeuvres. Ce que nous pouvons vérifier et évaluer, ce sont les conséquences politiques, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’on exploite le geste d’un déséquilibré pour jouir des bénéfices politiques et publicitaires dérivant de semblables actes. Il est donc licite de se demander: « à qui cela profite-t-il ? » Qui cela réjouit-il ? Quels sont les effets politiques et idéologiques ?
Le premier élément à reconnaître est que l’agression s’est déroulée dans un moment de grave crise politique du gouvernement, dans laquelle le soutien à Berlusconi était en net recul. Le jour précédant l’attentat, les agences de presse ont diffusé la nouvelle que le premier ministre était tombé en-dessous des 50% d’approbation. Exploitant l’exceptionnelle vague d’émotion suscitée par l’agression, le soutien de l’opinion publique à Berlusconi a immédiatement remonté. Ceci est sans doute l’un des effets les plus indubitables et les plus évidents qu’ait produits l’attentat.
Les autres effets politiquement pertinents sont reconnaissables dans le resserrement d’une majorité parlementaire qui était en train de s’effriter, dans la désorientation d’une opposition parlementaire déjà inerte et épuisée (particulièrement quand on se réfère au PD); mais surtout dans l’isolement et la marginalisation d’une opposition sociale qui essayait de reprendre de la vigueur. En fait, au cours des derniers mois, au-delà de l’évanescente opposition parlementaire, grâce aux nouveaux instruments de communication, s’est développé un vaste mouvement de contestation du Premier ministre qui, malgré ses limites et sa fragilité politique a soulevé avec esprit de décision la question de chasser Berlusconi.Après l’attentat et l’apparition de groupes sur Facebook saluant l’auteur de l’attentat, le gouvernement a riposté par une furibonde croisade contre internet, dont le paladin est le ministre de l’intérieur. L’unique riposte a été la volonté déclarée de bloquer les sites web qui critiquent le chef du gouvernement. Cela a été la riposte du gouvernement et de la classe dominante tout entière, laquelle ne pouvant plus compter sur le rôle rassurant des partis sociaux-démocrates redécouvre maintenant le vieux mais toujours efficace arsenal répressif. À propos de censure et en mettant de côté toute hypocrisie, on ne peut pas s’étonner si sur Facebook prospèrent les mauvaises habitudes verbales quand un ministre en charge a hurlé : « cette gauche de merde va mourir assassinée ». Si un ministre de la république s’exprime de manière aussi aggressive, violente et vulgaire, pourquoi s’étonnerait-on si un langage tout aussi malheureux est adopté par ceux qui fréquentent internet ?
Il est évident que l’apparition excessive de groupes sur Facebook félicitant Tartaglia constitue seulement un prétexte pour mettre un baillon sur un moyen de communication et de mobilisation de masse qui a révélé toute sa force à l’occasion de l’organisation d’un événement médiatique et politique comme la manifestation nationale du 5 décembre dernier, à laquelle ont participé de très nombreuses personnes convoquées par le moyen du réseau web.
Enfin, il faut signaler le comportement vil et apeuré des soi-disant et évanescents « démocrates » de notre pays, enfermé dans un silence embarrassé et éloquent, face à un virage imprévu dans le sens bonapartiste de la politique, préoccupés seulement de s’associer au choeur de la solidarité à l’égard de Berlusconi.
Lucio Garofalo
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