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Blasphémateurs !

Lettre bernoise 36

Par Gabriel Galice •  • Samedi 17/12/2011 • 0 commentaires  • Lu 3185 fois • Version imprimable


Cher Claude,

Il suffit ! Foin des bigots de toutes sectes et de toutes nations qui jappent leur indignation blasphématoire avec l’outrecuidance de parler au nom de (leur) Dieu !

Les tripatouilleurs de Bible, les bidouilleurs de Coran, s’imaginent attester de leur foi en l’exhibant bruyamment quand ils se devraient de la pratiquer modestement, selon les préceptes de leurs prophètes les plus éclairés. Le Coran prescrit cinq prières par jour tournées vers La Mecque mais n’exige point les lieux collectifs revendiqués par des fidèles en mal d’ostentation. Les catholiques ultras qui manifestent devant un théâtre parisien se verraient bien au temps béni de la Sainte Inquisition.  Jadis, ces bigots firent censurer Michel-Ange pour sa fresque de la Sixtine. Semblables paroissiens sont moins assurés qu’ils conjecturent de gagner le paradis, crois m’en. Il ne me déplairait pas, il ne me surprendrait guère, que Lucifer les attende au coin du bois, fourche en main.

Ayatollahs de tout poil, inquisiteurs de tous crus, imams de toute facture, croyez mais ne nous empêchez pas de voir, entendre, croire et même penser, pour autant que ce dernier verbe ait une consistance quelconque dans vos acrimonieuses cervelles enténébrées. L’Archevêque de Paris excite ses ouailles et met la Cathédrale à la disposition des vociférateurs, convoquant à manifester au nom du Christ Roi. Trouvant sans doute là un bon expédient pour boursoufler son troupeau le jour de l’Immaculée Conception,le cardinal André Vingt-Trois avait demandé aux fidèles de participer « à une veillée de prière à Notre-Dame de Paris », pour protester contre une pièce qui « insulte la personne du Christ en croix ». Mgr Bernard Podvin (in vino veritas), porte-parole de la Conférence des évêques de France, estime qu’il s’agit d’un spectacle «blessant» : qu’il panse ses blessures et celles de ses ouailles, le saint homme, mais en silence !

Venant après le saccage du logis de Charlie Hebdo par d’abrutis fidèles d’Allah (des coreligionnaires firent naguère interdire à Genève la représentation de la pièce de Voltaire Le fanatisme ou Mahomet), la conjuration de tels dévots est plus pitoyable encore quand nombre d’entre eux sont, comme leurs prédécesseurs attestés et successeurs assurés, des Tartuffe. Une récente affaire judiciaire mettant en cause un vicomte de France naguère tonitruant, Dieu merci retiré de la scène publique, vient nous instruire des ravages que provoque ce puritanisme controuvé dans une famille aussi farouchement aristocratique que rigoureusement catholique. Voici quelques lunes, un étudiant iranien avait filmé sur son portable un docte ayatollah, puritain notoire, se précipitant de peu galante façon sur une de ses étudiantes. Sans parler de toutes ces histoires turpides qui gangrènent l’Eglise, en maints pays. M’est avis, mon cher Claude, que le retour du refoulé fait des malheurs chez ces gens-là, sous toutes les latitudes.

Le grand Jean-Jacques Rousseau distinguait « les chrétiens disputeurs » des « chrétiens paisibles » : « Quand les Chrétiens disputeurs viendront leur dire : vous vous dites Chrétiens sans l’être ; car pour être Chrétiens, il faut croire en Jésus-Christ et vous n’y croyez point ; les Chrétiens paisibles leur répondront : « Nous ne savons pas bien si nous croyons en Jésus-Christ, dans votre idée parce que nous ne l’entendons pas. Mais nous tâchons d’observer ce qu’il nous prescrit. » En son mandement, l’illustre prédécesseur d’André Vingt-Trois, Monseigneur de Beaumont condamna Emile, voici deux siècles et demi, avec de graves arguments : « Ce n’est pas d’aujourd’hui, M. T. C. F.  (Lire : Mes très chers frères) que l’esprit d’irréligion est un esprit d’indépendance et de révolte. (…) Oui, M. T. C. F. , dans tout ce qui est de l’ordre civil, vous devez obéir aux princes et à ceux qui exercent l’autorité comme à Dieu même ». Le Citoyen de Genève de répliquer sagacement au despotique Archevêque, Duc de Saint-Cloud, Pair de France, Commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit : « Mais vous qui m’osez reprocher des blasphèmes, que faites-vous quand vous prenez les apôtres pour complices des propos offensants qu’il vous plaît de tenir sur mon compte ? A vous entendre, on croirait que saint Paul m’a fait l’honneur de songer à moi, et de prédire ma venue comme celle de l’Antéchrist. ». A l’instar de Jean-Jacques, je tiens ces criards pour les premiers blasphémateurs, tout enrobés qu’ils soient.

Le temps est immobile comme la flèche de Zénon, mon cher Claude. Nihil novi sub sole. Si Dieu existe, il a de l’humour, lui, car c’est, de toute éternité, signe d’intelligence.

 

Je vais mirer sur l’Aare les canards au col vert, les cygnes blancs, adoucir le tourment causé par ces atrabilaires fous de Dieu.

Ton Guillaume tel que je le peins : courroucé.
Berne, ce vendredi 16 décembre 2011, jour de la Sainte Alice
 
 
 
 
 

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