Une fois de plus, les mots parlent d’eux-mêmes si on veut bien les écouter. « Sacrifice » désigne en effet un renoncement volontaire à quelque chose que l’on effectue à son propre détriment. On s’impose quelque chose à soi-même au nom d’une cause que l’on estime supérieure à son propre sort. Or les « sacrifices » d’aujourd’hui sont mis par ceux qui les décident à la charge d’autrui. Ceux qui décrètent les politiques d’austérité ne sont pas ceux qui les subissent. Il s’agit alors davantage d’une peine ou d’une sanction infligée à des tiers. Au cas où on aurait des doutes, la preuve réside dans la méthode employée : la mesure unilatérale, au mieux approuvée par un Parlement aux ordres, mais jamais validée par referendum par ceux qui auront à vivre avec ou à vivre « malgré » ces effets quotidiens. Début décembre, la ministre du travail italienne, qui fondit en larme à la télévision alors qu’elle détaillait les coupes claires que son gouvernement s’apprête à pratiquer dans les budgets sociaux, manifestait peut-être subitement un éclair de lucidité.
Mais les mots n’ont pas encore tout dit. « Sacrifice » désigne en effet l’offrande faite à une divinité. Il relève d’un univers peu rationnel où des dieux mystérieux détiennent un pouvoir absolu sur le sort des humains. Il faut donc les apaiser par des cadeaux offerts lors de cérémonies et déposés au pied de statues souvent impressionnantes par leur taille ou la représentation du visage de la divinité. Evidemment, personne n’oserait organiser aujourd’hui de rituel avec grandes robes colorées et prières psalmodiées. Quoi que… Les Conseils européens à répétition, rythmés par des « unes » de journaux alarmantes, des entrées en scène minutées, des conférences de presse tendues tenues debout derrière des pupitres à l’américaine, des phrases solennelles prononcées avec des airs graves, des photos de famille finales bien ordonnées après des discussions dont il n’est pas sorti grand chose tandis qu’on attend la réaction des « marchés »… Tout cela ne relève-t-il pas du rituel païen ? D’ailleurs les conseillers en communication, et les journalistes qui s’en font l’écho, mettent en avant les « signes forts » envoyés et les gestes échangés par les dirigeants plutôt que le contenu des décisions prises. Et point n’est besoin de les pousser dans leurs retranchements pour qu’ils avouent mener une guerre psychologique destinée à conjurer la peur, à éviter la « panique », des mouvements irrationnels en somme. Aux dernières nouvelles, la ministre italienne du travail est toujours à son poste.
Anne-Cécile Robert
(extrait du bulletin République, lettre n°54
Nos dirigeants nous mettent sur l' autel du sacrifice au nom de l'économie. Ils détruisent tous ce qui est humain et social au nom de la finance mondiale. Ils font trinquer les pauvres tout en se préservant de leurs avantages financiers.