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Ce que nous dit la « nationalisation temporaire » des chantiers navals STX….

… au sujet de Macron, de l’union européenne, et aussi de la « France Insoumise ».

Par Jacques Cotta •  • Dimanche 06/08/2017 • 0 commentaires  • Lu 4416 fois • Version imprimable


L’annonce d’une « nationalisation temporaire » des chantiers navals STX par Bruno Le Maire est tombée fin juillet comme un coup de tonnerre. Surprise des uns, félicitation des autres, voilà que la « nationalisation » serait remise à la mode par le très libéral ministre de l’économie du gouvernement Macron. Y aurait-il contradiction entre l’orientation affichée sur l’ensemble des questions politiques et économiques par ce gouvernement et la mesure ainsi prise ? Comme l’a déclaré un peu plus tard Bruno Le Maire lui-même, s’agirait-il d’une volonté farouche de « renforcer l’Europe » par une telle décision ? Ou au contraire, tout cela s’inscrit-il dans une orientation affichée par le président de la république et sanctionne-t-il l’agonie économique d’une union européenne qui n’a pas grand-chose à voir avec l’Europe réelle, celle des peuples et des nations ?

 

L’Europe est moribonde

La déclaration du ministre Le maire concernant la « nationalisation provisoire » de STX fait suite à l’apparition de l’italien Fincantieri comme principal repreneur des chantiers navals, un des fleurons de l’industrie installée sur le territoire national[1].

 

L’italien Fincantieri est le dernier à apparaître après une succession d’acquéreurs étrangers depuis 2006. Avant lui, aucun n’avait provoqué un tel courroux gouvernemental. Ce qui peut paraître pour le moins paradoxal. Fincantieri est italien, donc membre de l’union européenne. A l’heure où les européistes dont ceux qui nous gouvernent n’ont de mots assez éloquents pour vanter l’Europe de l’industrie, un de nos voisins les plus proches fait donc figure de danger immédiat. L’attitude du gouvernement français est d’autant plus surprenante que ses prédécesseurs n’ont pas tiqué sur les opérations antérieures.

 

En janvier 2006 les chantiers navals de Saint-Nazaire sont cédés -sans aucune réticence de quiconque- par le groupe de construction et d’énergie français Alstom, dont ils étaient la filiale depuis 1984, au norvégien Aker Yards à 75%. Devenu N°2 derrière Fincantieri, c’est le sud-coréen STX Shipbuilding, alors actionnaire de référence de Aker Yards, qui lance une offre sur la totalité du groupe norvégien et passe un pacte avec le gouvernement de François Fillon pour garantir à l’état français une minorité de blocage dans les chantiers de Saint-Nazaire. Passant sous contrôle coréen, alors que le groupe norvégien devient STX Europe, les chantiers de l’Atlantique deviennent eux STX France.

 

Contrairement à la situation actuelle, celle que connaissent les chantiers durant les années 2009-2012 sont marquées, avant un redémarrage, par une baisse importante des carnets de commandes. Les licenciements, le chômage partiel, les départs provoqués dits « volontaires » deviennent un « mode de management » courant. Nul ne s’étonne alors pour revendiquer par exemple l’interdiction des licenciements, ou encore une « nationalisation réelle » pour permettre à l’état d’assumer ses fonctions.

 

Alors que le groupe international coréen lourdement endetté « STX Offshore and Shipbuilding » est mis en vente par la justice coréenne, les chantiers de Saint-Nazaire, seule filiale rentable du groupe, sont offerts au seul acquéreur qui a déposé une offre, l’italien Fincantieri, retenu comme « repreneur exclusif » en janvier 2017 par la justice sud-coréenne. Fincantieri entre donc en possession des 66,66% de STX France que détenait le groupe coréen en redressement judiciaire.

 

En toute logique, les responsables politiques soucieux de l’emploi et de notre excellence industrielle avaient tout à redouter des coréens quand on connaît à la fois le cas que le capitalisme sauvage peut faire des brevets, et le cas que font les coréens des lois sociales et des revendications ouvrières, notamment concernant l’emploi, ses garantis et les salaires. Là rien. Tout se déroule selon la bonne loi du marché, de la concurrence libre et non faussée. Une entreprise et un savoir-faire à vendre, place au plus offrant ! Et s’il n’y en a qu’un ce sera le bon !

 

En toute logique toujours, c’est avec empressement que les mêmes responsables politiques qui n’ont que le mot « Europe » à la bouche, prononcé à l’image du cabri sautant sur sa chaise[2], auraient dû se réjouir de voir revenir dans le giron européen l’entreprise un temps coréenne. Et bien non. C’est le gouvernement de François Hollande le premier qui a exprimé toutes ses réticences en exigeant que Fincantieri ne reprenne que 48% du capital et reste minoritaire pendant sept ans, épaulé par la « Fondazione CR Trieste » à hauteur de 7%, l'Etat français conservant environ un tiers du capital et un droit de veto. Le 19 mai, l'Italien signe un accord pour la reprise de la participation pour un montant de 79,5 millions d'euros. Mais le 31, le président français Emmanuel Macron annonce son intention de « revoir » l'accord avec Fincantieri pour « garantir » l'emploi aux ex-Chantiers de l'Atlantique.

 

Avant de nous pencher sur les arguments concernant l’emploi notamment, justification mise en avant pour s’opposer aux italiens, un constat de bon sens s’impose : l’Europe représentée par l’union européenne est un mirage en voie de dissipation. Il n’existait pas, on le sait depuis maintenant des années, d’Europe sociale. Il n’existait pas plus d’Europe de la défense… Il n’existe aucune des Europe mises en avant pour justifier l’union européenne. S’il avait fallu une preuve supplémentaire, il n’existe pas plus d’Europe économique entravée notamment par les appétits des différents capitalismes nationaux dont le seul espace reconnu est celui qui permet au capital de fructifier et aux actionnaires d’en recevoir les retombées.

 

Macron et l’emploi

Il n’est pas inutile de revenir succinctement sur les arguments mis en avant par Bruno Le Maire pour justifier la « nationalisation temporaire » des chantiers navals. La préoccupation qui présiderait serait donc celle de l’emploi que les italiens menaceraient en fonction de leurs intérêts. Et celle des délocalisations. Etrange de la part de ceux qui n’ont d’autre préoccupation que de liquider ici le code du travail, les lois sociales, le contrat de travail et donc l’emploi garanti et respecté.

 

Alors que les italiens prétendent à 51% du capital et désirent le contrôle du conseil d’administration du constructeur naval français, Bruno Le Maire exige le maintien du contrôle à 50-50. Refus du ministre des finances italien Pier Carlo Padoan pour qui dans ces conditions « il n’y aura pas d’accord possible », qui exige pour Fincantieri « au minimum plus de 50% vu que les coréens avaient les deux tiers du capital de STX France ». Et de se réclamer de « l’accord précédent conclu entre la France et l’Italie ». Avant d’ajouter « nous ne comprenons pas pourquoi un accord déjà conclu doit être renégocié ». Un peu plus tard c’est le ministre français Le Maire qui précisait dans le Corriere della Sera, que Fincantieri aurait la direction de STX France - mais non la majorité du capital - dans la mesure où son patron, choisi par le chantier italien, aurait une voix prépondérante au conseil d'administration en cas d'égalité.

 

Dès lors, que penser des arguments de départ qui justifieraient la « nationalisation provisoire » ?

 

·      Si l’emploi est menacé et s’il s’agit de le protéger, s’il s’agit de mettre l’intérêt ouvrier au centre, alors pourquoi « nationaliser provisoirement » alors que l’entreprise a des carnets de commandes remplis jusqu’en 2026 ? Si dans de telles conditions il faut nationaliser pour protéger, alors pourquoi une seule nationalisation provisoire ? Pourquoi pas définitive ? L’argument gouvernemental ne tient pas.

·      Si en effet les italiens peuvent vouloir délocaliser les chantiers et l’emploi par voie de conséquence, si la majorité le leur permet, alors pourquoi faire marche arrière au point de proposer une présidence italienne qui en cas d’égalité compterait double ? Ce qui dans les faits indique, tout en déclarant vouloir combattre licenciements et délocalisation, que tous les moyens de licencier et de délocaliser seraient dans les mains de Fincantieri, pour peu que les italiens le décident.

 

Non seulement cette histoire indique la mort de l’Europe telle que les européistes veulent la promouvoir régulièrement, mais elle souligne l’hypocrisie d’arguments basés sur la sauvegarde de l’emploi.

 

Dans ce contexte, les déclarations multiples qui ont évoqué cette nationalisation provisoire comme une simple nationalisation, omettant le caractère « provisoire » de l’opération, notamment de la part de la direction du parti communiste[3], relèvent soit d’une incompréhension manifeste, soit d’une couverture de la politique de Macron qui revient à prendre 80 millions d’euros sur fonds publics pour ensuite redonner STX à des capitaux privés… Car en réalité, la nationalisation provisoire n’a rien à avoir avec une nationalisation, rien à voir avec une appropriation collective d’une entreprise industrielle. Rappelons que l’argument a déjà été utilisé pour des entreprises ou groupes « en grande difficulté » pour mieux les renflouer sur fonds publics et ensuite les redonner à des amis dans le privé afin d’engranger les bénéfices. Selon le vieux principe qui veut qu’on collectivise les pertes pour ensuite privatiser les profits.

 

Et si le Qatar jouait un rôle…

En même temps qu’éclate cette affaire Fincantieri qui illustre l’état de mort clinique de l’union européenne et l’hypocrisie des arguments mis en avant par Emmanuel Macron et son ministre Le Maire, le Qatar entre dans la danse.

 

Opposé aux Emirats, à Barhein, à l’Egypte et à l’Arabie Saoudite qui l’accuse de soutenir le terrorisme –ce qui de la part de l’accusateur est assez cocasse- le Qatar est également mis en cause pour ses relations avec l’Iran avec qui il partage le plus grand champ gazier du monde. La pression est montée, notamment avec les restrictions aériennes et la fermeture des frontières terrestres et maritimes avec le petit émirat gazier. Jour après jour, c’est dans le golfe et au niveau international l’escalade.

 

C’est dans cette situation d’isolement du Qatar qu’on apprend de la bouche du ministre des affaires étrangères qatari, en présence de son homologue italien, la commande de sept navires de guerre à l’Italie pour un montant de cinq milliards d’euros. Un contrat qui s’inscrit dans la continuité du contrat préliminaire signé entre le Qatar et Fincantieri pour la construction de sept bateaux dont quatre corvettes. Pendant que la firme MBDA annonçait avoir signé un contrat d’un milliard d’euros pour équiper en missiles les unités navales commandées auprès de Fincantieri. Le groupe Fincantieri déclarait alors que « tous les navires seront entièrement construits dans les chantiers navals italiens de Fincantieri à partir de 2018, assurant six années de travail et un impact important sur les principales entreprises de défense italiennes ».

 

Curieusement, une des dernières déclarations de Bruno Le Maire « pour relancer un projet franco-italien européen » font état d’une proposition concernant la constitution d’un grand groupe pour les paquebots de plaisance, mais aussi pour la construction de navire de guerre. Toute l’opération n’aurait-elle donc comme but ultime que de se placer dans ce type d’investissement qataris qui vont bon train, de ne pas laisser les italiens dans un face à face avec le Qatar dont les pétrodollars ont déjà fait quelques heureux dans l’hexagone, de demeurer présent politiquement et financièrement dans ce marché aussi juteux que sensible qu’est le marché des armes. Si tel était le cas, le souci serait visiblement partagé par les qataris qui viennent de lâcher en guise d’amitié au PSG un des joueurs vedettes du « Barza » pour la modique somme de 230 millions d’euros… Le PSG, possession du Qatar, comme l’est aussi le « Barza »… Une opération de pure com…

 

En guise de conclusion provisoire

La question centrale demeure la question européenne. Il apparaît que toute tentative de transformation de l’union européenne en autre chose que ce qu’elle est –une construction totalement au service du capital financier- se trouve vouée à l’échec.

L’affaire STX indique que l’ennemi se trouve au sein de l’Europe. Pour ceux qui en doutaient, l’ennemi est en effet dans notre propre pays, notre propre continent. Ce sont nos capitalistes, nos partisans d’un marché libre et non faussé, qui constituent le principal obstacle à une Europe des peuples et des Nations libres et souveraines.

L’affaire STX confirme la nécessité de rompre avec une union européenne toute dévouée aux intérêts du capital financier, opposée aux peuples et aux nations, ennemie de la souveraineté, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans le programme de la France insoumise, comme Jean Luc Mélenchon l’a expliqué durant la campagne électorale, il est question de sortir des traités et dans le cas d’un refus de nos interlocuteurs de quitter l’union européenne en en appelant aux différents peuples d’Europe dont le sort est indissolublement lié au nôtre.

Sous une forme particulière, c’est bien cette exigence que l’affaire STX vient de mettre à jour.

 

Jacques Cotta

Le 5 aout 2017



[1] Malgré des hauts et des bas durant les dernières années, STX incarne une histoire glorieuse. Elle est l’héritière des chantiers créés en 1861, regroupés sous le nom de chantiers de l’atlantique en 1955. Elle est un des fleurons de l’industrie installée sur le territoire national. Outre les réalisations mondialement reconnues des chantiers navals de l’atlantique -« Le France » en 1960, le Queen Mary2 en 2003 ou encore en 2016 « l’Harmony of the Seas , le plus grand jamais construit à ce jour- ses carnets de commandes assurent une activité jusqu’en 2026 à ses 2.600 salariés directs et aux 5.000 employés chez ses sous-traitants.

 

[2] En décembre 1965, le général de Gaulle livrera une phrase qui à juste titre résistera au temps : "Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !... Mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Il faut prendre les choses telles qu’elles sont, et comment sont-elles…"

 

[3] Déclaration d’André Chassaigne notamment.


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