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Venezuela: seule la vérité est révolutionnaire

Par Denis Collin • Internationale • Dimanche 06/08/2017 • 0 commentaires  • Lu 4653 fois • Version imprimable


C’est entendu : dans le chaos et la violence qui règnent aujourd’hui au Venezuela, il y a la grosse patte de l’oncle Sam et de ses officines ; il y a l’esprit de revanche des nantis ; il y a les groupes d’extrême-droite et sans doute aussi un vieux fond de racisme des blancs face aux « indiens ». C’est tout aussi entendu : une bonne partie de la presse et des politiques qui dénoncent à longueur de temps le néo-dictateur Maduro est bien placée. On ne les entend pas souvent quand il s’agit de la Turquie ou de leurs amis du Golfe, tous à la tête comme on le sait de démocraties irréprochables… Il est non moins clair qu’il faut s’opposer à toute intervention étrangère au Venezuela et que c’est au peuple de ce pays de régler lui-même ses problèmes.

 

Une fois ces précautions oratoires posées et avant que tous mes amis (vrais ou supposés) ne me tombent dessus, il faut rappeler que le courage politique consiste d’abord à dire la vérité et la vérité est que le régime Maduro n’a rien d’un régime révolutionnaire, même pas d’un régime révolutionnaire déformé par l’autoritarisme. C’est une clique bureaucratico-militaire aux abois qui a présidé à la décomposition du « chavisme ». Si le Venezuela en est à cet état de crise incroyable (700 % d’inflation, crise alimentaire et crise énergétique d’un des premiers producteurs de pétrole) il faut en rechercher les causes et non se contenter de dénoncer les « complots impérialistes ».

Idéologiquement, le « chavisme » a toujours été – et j’ai eu l’occasion de l’écrire – une bouillie intellectuelle assez confuse. La référence à Bolivar est déjà suspecte, mais si on ajoute une bonne dose de théologie de la libération, de papisme mixé avec Trotsky et de projet de « Ve Internationale », le tout saupoudré d’indianisme, on obtient à peu près n’importe quoi. L’appui que le régime cubain a apporté à Chavez et continue d’apporter à Maduro ne suffit pas, bien au contraire, à éclairer le projet réel du « chavisme ». En réalité, le chavisme est une des variantes du caudillisme « de gauche » latino-américain : un chef (souvent militaire) usant d’une rhétorique anti-impérialiste et « socialisante » entraîne les pauvres et une fraction de l’armée dans une tentative de « libération nationale », c’est-à-dire une tentative pour donner à la faible bourgeoisie nationale de ces pays et à la petite-bourgeoisie intellectuelle une place qu’elle ne parvient pas à occuper dans un système placé sous la férule américaine. Le chavisme n’est pas substantiellement différent de ce que fut le péronisme, par exemple, ni de ce que fut originellement le castrisme avant que les USA ne le poussent dans les bras des soviétiques. En tant qu’ils s’opposent à l’oppression impérialiste et luttent pour l’indépendance nationale, ces mouvements doivent être soutenus. Ces mouvements peuvent également être porteurs d’un certain nombre d’acquis pour les classes pauvres et ils ne peuvent, sous cet angle, qu’avoir notre sympathie – c’est vrai de Cuba, ce le fut un temps du péronisme et ce le fut un temps du chavisme.

Mais l’expérience montre que ces mouvements sont toujours des mouvements d’en haut, des mouvements où l’on demande au peuple de s’en remettre à un sauveur suprême – même quand cette réalité est recouverte par de pseudo comités populaires, censés exprimer la voix d’en bas, mais en réalité simples courroies de transmission du pouvoir. Le parti au pouvoir, organisation de la nouvelle classe dominante, utilise l’État et tous ses moyens pour assurer ses positions, s’enrichir, et ainsi se distribue des prébendes et fleurit à nouveau la corruption qui ne peut se maintenir qu’en restreignant toujours plus les libertés démocratiques élémentaires et l’espace dans lequel les mouvements populaires, notamment les syndicats ouvriers indépendants peuvent mener leur action.

Le mérite d’Hugo Chavez fut d’avoir préservé très largement les formes de la démocratie représentative et des élections en gros libres et régulières. Une voie dont Maduro s’écarte, ce qui lui vaut des critiques virulentes venues de la part des milieux chavistes sérieux et conséquents avec les discours des origines, qu’on ne peut nullement soupçonner d’être à la solde de l’impérialisme.

On ne peut cependant pas simplement parler d’une trahison du bolivarisme par Maduro. Ce sont les erreurs et les inconséquences du chavisme qui ont préparé le terrain de la crise actuelle. Au-delà des discours, aucune avancée réelle vers le socialisme n’a eu lieu pendant l’ère Chavez. Alors que la manne pétrolière lui donnait de larges marges de manœuvre, Chavez s’est contenté de redistribuer l’argent du pétrole aux plus pauvres – ce qui n’est évidemment pas condamnable – mais n’a rien engagé qui puisse préparer l’avenir. Industriellement, le Venezuela n’a pas avancé d’un iota. Même le pétrole officiellement nationalisé est en partie sous la coupe des intérêts étrangers (Exxon, Chevron et Total). La baisse des cours du pétrole a donc frappé le pays de plein fouet. La crise alimentaire et les coupures d’électricité sont l’expression dramatique de cette incurie. Si le socialisme selon Lénine, c’est « les soviets plus l’électricité », au Venezuela, il n’y a ni l’un ni l’autre !

En réalité le chavisme, à sa manière, a simplement poursuivi les traditions de la classe dominante du Venezuela, droguée au pétrole et incapable de conquérir une véritable indépendance économique du pays. Mais comme toutes les bureaucraties pétrolières, avec le chavisme, c’est surtout la caste au pouvoir qui s’est enrichie. De ce point de vue, le Venezuela ressemble étonnamment à l’Algérie ou au Nigeria. Pas une once de « socialisme du XXIe siècle » là-dedans.

Un mot sur les incidences françaises de cette crise au Venezuela. On le sait, l’amitié entre Mélenchon et Chavez lui a valu de nombreuses critiques et les commentateurs s’intéressent beaucoup à Maduro car ils pensent tenir là un sac inépuisable de boules puantes contre le candidat de la « France insoumise ». Il suffit de rappeler deux choses décisives. Premièrement Mélenchon a toujours soutenu que la « révolution citoyenne » devait être une révolution pacifique, par les urnes. Ce n’est pas lui qui dirait comme Maduro « ce que nous n’obtiendrons pas par les urnes, nous l’obtiendrons par les armes » ! Deuxièmement, le programme de la France insoumise est un programme assez complet de réindustrialisation, de réorientation de l’économie, de développement des institutions démocratiques, bref il n’a rien à voir avec l’imprévoyance et la démagogie.

Pour conclure, si le chavisme avait été vraiment démocratique et socialiste, il ne serait pas dans cette situation catastrophique, il n’aurait pas perdu l’essentiel de ses soutiens populaires et il ne serait pas à la merci de l’impérialisme et de la bourgeoisie locale. Et surtout, il n’y a pas de socialisme sans liberté. La liberté de la presse, la liberté de former des partis, la liberté de constituer des syndicats indépendants de l’État sont les ingrédients de base à partir desquels le peuple travailleur peut se forger sa propre opinion et devenir vraiment actif. Ces leçons sont celles que tirait Rosa Luxemburg dès les premiers mois de la révolution d’Octobre russe, révolution que pourtant elle soutenait ardemment. Que les « anti-impérialistes » confortablement installés à Paris cessent d’être aveugles et sourds et écoutent les paroles de Rosa.

Denis Collin – 6 août 2017

 


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