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Collège : pour remettre les pendules à l'heure, grève !

Par Vincent Présumey • Actualités • Jeudi 14/05/2015 • 4 commentaires  • Lu 2787 fois • Version imprimable


... Et soudain, on entend parler partout de la réforme du collège, presque toujours pour raconter n'importe quoi. Il y aurait des anciens et des modernes. Les anciens sont d'odieux réactionnaires qui s'inquiètent de la substitution de l'islam à la chrétienté dans les programmes d'Histoire de la fin de l'école primaire et de la classe de Sixième, rien que ça ! Ou alors, dans une représentation plus positive, ils sont de preux intellectuels défendant les savoirs. Petit problème : Sarkozy serait parmi eux.Les modernes, eux, sont au gouvernement et ils font de la pédagogie, comme chacun sait : leur seule préoccupation c'est "l'enfant", et donc les modernes pestent contre "les conservatismes", "les immobilistes" et les "réactionnaires", soupçonnant le mot "prof" d'être synonyme de tout cela. C'est ainsi que les modernes, inspirés sans aucun doute par l'amour de "l'enfant", l'enfant qui ne doit pas s'ennuyer, se posent eux aussi en preux chevaliers appelés à pourfendre "l'élitisme conservateur", et à soupçonner que ne pas vouloir voir supprimer des enseignements d'allemand ou de latin, c'est défendre les privilèges de la bourgeoisie ou de ce qu'il en reste, à propos de laquelle on voudrait nous faire croire qu'elle fait du latin ou de l'allemand ...

Ce délire généralisé, non pas dans le pays, et surtout pas dans les salles de profs des collèges, se recoupe d'ailleurs en partie avec la dernière "polémique" à la mode, celle lancée par le sémillant "anthropologue" Emmanuel Todd, jusque là posé dans la posture d'un certain souverainisme méfiant envers les idéologies bien-pensantes de gauche, et soudainement projeté, de son propre fait, dans celle du pourfendeur d'une nouvelle catégorie ethno-culturelle, celle des "catholiques zombies" (brrr...), que nous serions tous, en fait, puisque, même quand ils ne le savaient pas, les manifestants du 11 janvier dernier étaient en réalité mobilisés contre les pauvres, les immigrés et les musulmans, ou plutôt les pauvres-immigrés-musulmans, d'une traite, car pour Todd ce sont tous les mêmes ou du moins il doit en être ainsi. Voila qui a de quoi faire rigoler les manifestants les plus précoces, ceux du 7 janvier après-midi (musulmans compris ! ), ceux qui n'avaient pas attendu les sirènes de l'union nationale et qui ont d'ailleurs contraint, en fait, nos gouvernants à prendre les devants.
Le point commun entre ces deux délires, entre la guerre picrocholine des anciens et des modernes, les premiers qui seraient représentés par Nicolas Sarkozy dont on croyait pourtant qu'il n'aimait pas la Princesse de Clèves, et les seconds qui seraient incarnés par la sémillante minitre de l'Ed'Nat' soutenue par le président Hollande dit "le Rafale" en personne, et la batrachomiomachie des adulateurs du professeur Todd versus les cathos zombis, c'est que tous font le maximum de bruit pour qu'on n'entende pas le plus important, le plus massif, qui se déroule pour l'instant en silence. Le Todd circus se produit aprés la fête pour en exorciser les vapeurs et récuser le contenu démocratique, national, émancipateur, des manifestations populaires spontanées ayant suivi les attentats fascistes et antisémites des 7, 8 et 9 janvier : Todd et Valls sont au fond d'accords pour nier ce contenu réel, le premier voulant n'avoir affaire qu'à des "islamophobes" et le second entendant invoquer "l'union nationale" sous la forme de l'"esprit du 11 janvier", l'un comme l'autre craignant la réalité. Mais, plus important, le cirque des anciens et des modernes à propos du collège a, lui, un caractère préventif : il s'agit bien d'exorcisme. Exorciser ce qui se prépare.

Car, que se prépare-t-il ? Depuis que le SNES-FSU a claqué la porte des négociations et s'est, à la bonne heure, prononcé pour le retrait de ce projet, l'unité des professeurs du second degré ne fait aucun doute. Elle associe autour de la FSU les syndicats confédérés CGT et FO, SUD, et le syndicat corporatif dit de droite (mais qui avait soutenu récemment la loi Peillon avec le SGEN et l'UNSA ! ), le SNALC, ce qui traduit une lâme de fond à la base : une vague qui avance d'un collège à un autre, où les personnels, pas seulement les profs mais aussi les personnels d'éducation et parfois même les agents de service, discutent de ce qui se prépare, font le lien avec les autres réformes et parviennent à une seule et même conclusion : celle-là, elle ne doit pas passer, elle ne passera pas !
C'est en fonction de ce mouvement de fond qu'en surface, dans le strass et les paillettes, les plateaux et les forums branchés, se déploie le cirque du "débat sur le collège" à travers lequel le citoyen de base ne peut pas comprendre ce dont il est question : il fera bien mieux, pour cela, de questionner les profs de ses enfants qui se feront une joie d'en parler avec lui, et qui commencent, dans un nombre croissant de localités, à organiser des réunions publiques pour inviter la population, les parents, les élus.

C'est qu'en effet le cirque officiel a une double fonction.
Pour la droite, pour Sarkozy, le calcul est simple : ils voient venir un échec du gouvernement à mettre en oeuvre une attaque centrale qui figurait pourtant dans leur agenda à eux, dans leurs cartons, et ils décident d'anticiper. Aprés tout, Hollande, Valls, leurs ministres de l'Education, ont beaucoup servi pour le MEDEF. Le moment approche où il va falloir les mettre au placard, surtout s'ils ne peuvent plus aussi bien servir, pour installer un gouvernement UMP -pardon,"Les Républicains" ! - flanqué d'un FN qui, pour l'instant (comme la saga familiale a permis de le confirmer) ne doit pas, de l'avis du capital, arriver au pouvoir, mais doit servir de machine à faire pression et à faire peur. Processus d'installation qui, avant même les présidentielles, doit commencer dans les Régions aggrandies de la réforme territoriale de Valls, contre laquelle la droite a protesté mais qu'elle entend appliquer, comptant bien en profiter. Donc, Sarkozy tente de passer pour un défenseur de l'instruction. Inutile de le préciser : ça ne marche pas !
Mais s'il peut le faire, c'est uniquement à cause de la politique du gouvernement.
Et la seconde fonction, outre celle de mettre la droite en avant Sarkozy en tête, du bruit artificiel fait sur le collège pour ne surtout pas parler du contenu réel de la prétendue réforme, c'est de mobiliser les bonnes âmes de gauche bien-pensantes, du PS, certes, mais aussi à gauche du PS et chez les écolos, contre le diable, l'horreur, l'abomination de la désolation, savoir les "élitistes conservateurs", de façon à isoler les profs qui vont faire grève le 19 mai. Et pas seulement cela : l'opération, en promouvant en mode hystérisé les imprécations contre quiconque ne croit pas à "l'enfant" et refuse "l'autonomie" au nom des méchants "savoirs", en tentant de souder au gouvernement la plus grande partie de "la gauche" officielle, peut aboutir à ce que "les frondeurs", par exemple, ne cherchent plus à voter contre la loi Macron qui passe à l'Assemblée début juin ...
... La loi Macron, justement : ce 12 mai au Sénat, c'est ce même gouvernement qui voudrait nous faire croire qu'au collège il combat "la droite", qui a fait soutenir certains des amendements UMP la durcissant contre le code du Travail ! Mais comment combattre la politique économique et sociale assurément "de droite" de ce gouvernement si on s'imagine, sans pouvoir d'ailleurs expliquer pourquoi, que dés qu'il s'agit d'école et de "pédagogie", il faut le soutenir contre "les réactionnaires" ?

Cette ânerie est d'autant plus grave qu'en fait la réforme du collège prolonge parfaitement et en toute cohérence les "réformes" précédentes par lesquelles le système éducatif en France a déjà beaucoup souffert : Baccalauréat professionnel en 3 ans et non plus en 4 ans avec multiplication des contrôles locaux en cours de formation, réforme du lycée instaurant des "aides individualisées" (en classes de 30 ! ) et des "enseignement de spécialités" propres à chaque lycée voués à se concurrencer, loi Peillon entrainant la réforme dite des "rythmes" qui amorce de front l'éclatement territorial de l'école primaire publique et l'inégalité de l'offre, d'abord dans le périscolaire. Les deux premières de ces "réformes" datent de Sarkozy, et les forces qui aujourd'hui voudraient traiter de suppôt de Sarkozy ceux qui combattent les suivantes, les avaient d'ailleurs soutenues, soutenant donc Sarkozy, en leur temps : les directions de l'UNSA, du SGEN-CFDT, de la FCPE, de l'UNEF, et les lobbyes "pédagogiques", votant pour ces réformes successives aux cotés du MEDEF dans les instances consultatives de l'Education, sous Sarkozy comme à présent !
Alors, que contient cette "réforme" du collège ? On peut l'expliquer très simplement. Elle instaure des "Travaux Pratiques Interdisciplinaires" (TPI) en 5°, 4° et 3° qui, contrairement à ce que l'on fait croire au ministère, ne sont pas une offre de formation supplémentaire, mais sont pris sur les horaires existants : chaque établissement, c'est-à-dire sa direction, doit choisir quels cours amputer et dans quels domaines mener ces "TPI". De la même façon chaque établissement, c'est-à-dire sa direction, peut faire baisser des horaires de telle ou telle discipline dans une série pourvu qu'ils augmentent dans une autre : si les parents de notre élève ont eu la mauvaise idée de déménager et qu'il n'a pratiquement pas fait de français en 4° il pourra donc très bien tomber sur un nouveau collège où on lui dira "nous c'est en 3° qu'on a baissé le français". La classe de Sixième, elle, connait aussi 20% de ses horaires à prendre sur les cours existant, mais là ce sont des "Enseignement complémentaires" dont le contenu relève du "conseil école-collège", aux membres nommés, lesquels devront se situer dans une cohérence avec les "activités" des "nouveaux rythmes". Tout cela réuni aboutit très clairement à faire éclater le cadre national et à instaurer une inégalité forcenée. Au passage, les horaires de langues (aussi bien les langues vivantes que les langues anciennes et régionales) sont globalement réduits (la propagande officielle ment ouvertement en prétendant qu'il y en aura plus, car elle les étale) et une connaissance élémentaire des situations montre que ce sont l'allemand, le latin et le grec qui ne s'en remettront pas.
Quelle hypocrisie d'ailleurs, que de prétendre que la défense de l'allemand et des langues anciennes serait élitiste, alors que ce que veut faire le gouvernement consiste bien à réduire l'offre de formation pour toutes et tous, faisant au passage le jeu de l'enseignement privé ... et quelle tristesse de voir des "intellectuels de gauche" se croire tenus de signer des manifestes jetant la suspicion sur cette légitime défense de l'allemand et des langues anciennes ? N'eût-il pas été plus terriblement logique de leur part, à eux qui s'imaginent "combattre la droite", de soutenir, déjà ... Sarkozy contre la Princesse de Cléves ? Comment peuvent-ils ne pas voir que c'est le capital bling-bling qui, dans un cas comme dans l'autre, est aux commandes ? Comment est-il possible de végéter dans son jus idéologique, si loin, si loin, du monde réel où l'on combat, où l'on étudie, où l'on souffre, où l'on vit ?

Couronnant le dispositif des réformes précédentes, celle-ci viserait donc à créer une situation de non retour. La bataille qui s'engage est donc centrale. La grève du 19 mai sera massive dans les collèges. Mais il faut que cette question soit saisie comme centrale bien au delà du collège, et pour les vraies raisons, indépendemment des délires médiatico-politiques qui cherchent à nous assourdir. Si le mouvement social des profs, des parents, et de l'Education nationale à tous les niveaux, impose le retrait, ce ne sera pas une victoire pour Sarkozy qui ne tentera de souffler sa chanson que parce que le gouvernement lui en donne les moyens. Ce sera une défaite majeure pour les plans du MEDEF visant à casser les diplômes et les qualifications. Ce sera une inversion de la pente que Hollande et ses gouvernements ont choisi de suivre. Ce sera un coup porté à toute la logique tant de la réforme territoriale que de la loi Macron, celle du détricotage des droits sociaux, des services publics et de ce qui reste d'égalité devant la loi et devant l'impôt. Il est donc essentiel qu'au lieu de délirer sur le péril élitiste, les militants qui ont encore un peu de compréhension du monde réel mobilisent pour faire échouer ce projet.
Vincent Présumey, le 13 mai 2015.


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Commentaires

par gilles le Vendredi 15/05/2015 à 23:33

 



Après avoir été révolté par les attentats et emballé par #JeSuisCharlie, je suis allé à la manifestation du 11 janvier plein d'ardeur combative une fois arrivé au terme ultra-court du trajet je me suis demandé : « Mais qu'est-ce que je fais ici ?! »  « Mais en quoi cette manifestation a-t-elle un contenu émancipateur ? » « Mais qu'est-ce que cela veut dire être contre le terrorisme ? »  « Qu'est-ce que cela peut bien amener de positif de manifester contre la bêtise, contre le terrorisme ? » « À part d'être français, qui sont ces gens ? Quels sont leurs intérêts de classe ? »


Cela m'a tracassé pendant de nombreux jours : « Comment certaines forces sociales ou politiques m'avaient amené à manifester ? »


Qui avait eu ce pouvoir de me faire aller dans la rue ?


J'ai retrouvé 3 ou 4 unes de quotidiens :


http://pix.toile-libre.org/upload/original/1431722256.jpg


http://pix.toile-libre.org/upload/original/1431722334.jpg


http://imgh.us/charlie-m-25.jpg


Dans les faits, la totalité de la presse quotidienne nationale et régionale dans un bel ensemble dès le 8 janvier ( certains même le 7 ! ) a appelé à manifester, ainsi que la quasi-totalité des hebdomadaires, tout mon entourage classe moyenne m'a répercuté cet appel. Ce dispositif social m'avait mobilisé, et ce n'est qu'après que j'ai découvert que mes amis musulmans étaient dubitatifs.




Sur la lutte entre les conspirateurs terroristes et les conspirateurs anti-terroristes des gouvernements, tout débat est dès le départ biaisé et impossible puisque par principe nous n'avons pas accès aux informations. Les gouvernements pourraient aussi bien manipuler et infiltrer les organisations terroristes dans le sens qu'ils souhaitent puisque nous n'avons pas accès à l'information. Qui est et qui serait en mesure de le contrôler ? De même qu'ils pourraient en récupérer les bénéfices politiques sans aucune contradiction puisque dans ce cas ils sont supposés être le Bien qui agit contre le Mal. Contrairement à l'émotion sans réflexion qui m'avait emmené dans le rue et au vu de la dernière loi sur le renseignement, je n'exclus pas d'avoir été manipulé, ainsi que de millions d'autres personnes. Comme sous le tsarisme « Services secrets partout, services publics nulle part » semble être le dernier slogan des gouvernements pour faire échec aux luttes de classes.


par regis le Samedi 16/05/2015 à 01:25

Cette grève justifiée est nécessaire et ma solidarité va aux grévistes que je souhaite plus que nombreux.
Au-delà mes interrogations subsistent : ces journées d’action sectorielles sont-elles capables de faire reculer le gouvernement ?
J’ai l’impression que la tactique du « saucisson » fonctionne depuis des lustres. « Boîte » par « boîte », secteur par secteur. Chacun reste isolé avec le résultat que l’on sait. En matière d’administration comme d’entreprise privée.
Au minimum, les profs de seconde à terminale devraient rester l’arme au pied en attendant leur tour et que les fruits amers de la réforme les touchent personnellement ?
Depuis la privatisation de mon ex-administration, ex-EPIC, ex-France-Télécom où seuls nous ne pouvions gagner, je me pose ces questions.
La grève générale, si elle serait souhaitable, ne se décrète pas par ailleurs (expérience lors des batailles pour les retraites).
Comment enfin avancer ??


par regis le Samedi 30/05/2015 à 02:07

Je suis désolé de revenir sur ce problème. La première grève sectorielle d’une journée n’a pas permis de faire céder le gouvernement. Une seconde de même type a été annoncée pour le 11 juin (je me suis toujours étonné que ces grèves n’aient lieu que le mardi ou le jeudi sans chercher à tirer profit « d’aubaine » d’un lundi ou vendredi). Je suis prêt à parier que l’on va (hélas !) assister à une décrue du nombre des grévistes (baroud « d’honneur » de directions syndicales « fatiguées » ?).
C’est parce que j’ai connu cela que je ne m’en satisfait pas et que je crois qu’une réflexion s’impose avant toute chose.


Re: par regis le Jeudi 11/06/2015 à 23:45

Ne serait-il pas souhaitable de tirer une réflexion de ces journées d'action qui risquent plus de décrédibiliser la grève comme arme, de décourager et d'impuissanter que de faire aboutir les revendications?



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