Les élections législatives qui se sont déroulées ce dimanche 4 mars en Italie affolent les sphères dirigeantes de l’Union européenne. Quel que soit le bout par lequel prendre ces résultats, ils indiquent un rejet massif au sein de la troisième économie de l’UE des partis et personnels liés depuis des décennies à Bruxelles.
La participation de 74% est la plus faible de l’histoire de la république italienne. Alors que les commentateurs préfèrent demeurer sur les vieux schémas « droite » « gauche », dont le mérite est d’éliminer toute clarté au scrutin, en faisant apparaitre que la « droite » serait en tête, l’observation sérieuse et objective des résultats donne une toute autre signification.
La première force politique d’Italie est le « mouvement 5 étoiles » dont le score dopasse les 30%, réalisant un carton plein dans le sud de la péninsule, capitale comprise. Créé en 2009 sur la ligne d’un « changement de système », « 5 étoiles » a récupéré à « gauche » principalement le vote des déçus du PD et de Renzi, allant de socialistes à d’anciens communistes, et pour une moindre part d’anciens électeurs de droite déboussolés.
La droite elle connait un revers cinglant. Berlusconi et Forza Italia tournent autour de 13% lorsque la Lega, l’ancienne ligue du nord, le dépasse de 5 points avec environ 18% des voix. Symétriquement à ce qui s’est opéré du côté de « 5 étoiles » et du PD, la Lega a siphonné les voix du parti de la droite traditionnelle, arrivant notamment en tête dans toutes les circonscriptions gagnées par la droite.
A entendre les commentateurs qui de Bruxelles à Paris en passant par Berlin expriment les mêmes craintes, il s’agirait dans ces élections italiennes de populisme d’un côté, de fascisme de l’autre. C’est en réalité gommer la double raison qui a poussé le corps électoral à voter de la sorte. D’une part, un rejet massif et partagé de la politique de l’union européenne à laquelle sont soumis historiquement Berlusconi et Renzi et pour laquelle ils ont fait campagne. D’autre part, la volonté de réagir contre une crise économique qui a permis notamment à la Lega de progresser dans la dénonciation des immigrés et des réfugiés que l’Union européenne laisse volontiers à l’Italie, en première ligne dans l’arrivée des flux migratoires. Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, la leçon mériterait d’être totalement tirée ici, en France, tant sur la question européenne que sur la question des migrants, sur la façon d’appréhender l’une et l’autre et sur la meilleure réponse à apporter. Sur la question européenne, réaffirmer sans détour et sans hésitation la détermination de quitter l’UE et l’euro dés lors que les intérêts du peuple le commandent. Sur la question migratoire, la détermination à remettre la politique au coeur contre toute tentative d’y substituer le caritatif et la morale au détriment des intérêts des migrants eux-mêmes et aussi des travailleurs français confrontés à un dumping dont seul le capital peut être gagnant.
Et maintenant.
« Che Bordello » titrait au lendemain des élections le quotidien « il Tempo ».
Les scénarios présentés relèvent tous de la science fiction. Aucune formation politique ne pouvant prétendre à la constitution d’un gouvernement reposant sur une majorité de députés -la loi électorale ayant été changée notamment pour interdire à « 5 étoiles » d’accéder au pouvoir avec un score semblable à celui atteint dans ces élections- le pronostic des alliances va bon train.
Le « mouvement 5 étoiles » a annoncé dés le début son refus de rentrer dans ce jeu de négociations, mais cela était avant le résultat qui l’a placé en tête. Il pourrait être tenté de s’asseoir autour d’une table avec des interlocuteurs issus par exemple du PD, mais pour s’arranger sur quel programme? Difficulté réelle dans un mouvement qui rassemble à gauche, mais aussi à droite…
Forza Italia de Berlusconi et La Lega de Matteo Savini pourraient chercher d’autres alliés pour atteindre le seuil nécessaire. Mais cela est sans compter les prétentions du second qui arrivé en tête à droite exprime la prétention de mettre au rencard le patron des médias italiens.
Demeure alors le voeu bruxellois. Dans les institutions de l’union européenne, l’air entonné par Angela Merkel en Allemagne trouve une caisse de résonance. Comme la grande collation qui a rassemblé le SPD et la CDU-CSU outre Rhin, des voix au nom de la raison et de la stabilité européenne en appelle au PD et à Forza Italia pour unir leurs forces et créer un attelage dont tout le monde sait pourtant bien que l’état des forces ouvertement européistes rend la chose impossible. D’abord parce que l’union des deux anciens piliers de la vie politique italienne donne un total bien en deçà de ce qui devrait permettre une majorité de députés et de sénateurs. Telle est l’ampleur de la débâcle. Ensuite parce que les petites forces d’appoint sont bien insuffisantes. Même si le parti démocrate s’alliait avec les autres partis de gauche europhiles, il y aurait loin de la coupe aux lèvres. A titre d’exemple le parti de « gauche » « Europa » n’atteint même pas les 3%. Vue de l’esprit, même si dans la péninsule rien n’est joué jusqu’au coup de sifflet final, les « combinazzione » envisagées semblent toutes vouées à l’échec.
En cela les leçons italiennes dépassent de loin la seule péninsule. Elles indiquent par exemple la véritable fonction de ce qui communément est appelé « la gauche » -comme le SPD en Allemagne par exemple- dés lors qu’il s’agit de sauver le système. Elles indiquent la fermeté nécessaire sur les sujets de fond tels l’Europe ou encore la question migratoire. Elles nous concernent directement pour les temps qui viennent, et pour les temps présents dans l’approfondissement de la crise qui vise toute l’union européenne.
Jacques Cotta
Le 5 mars 2018