Les luttes violentes en Argentine au début du millénaire s’étaient distinguées par un slogan : « Qu’ils s’en aillent tous » (l’Argentinazo des 19 et 20 décembre 2001) mais « tous » sont encore là si bien que les mêmes ou presque, viennent de susciter une nouvelle révolte en prenant des terrains dans la ville de Buenos Aires d’abord, puis dans d’autres villes, afin de demander des terres… pour construire des logements. Nous savions avec les Sans Terre au Brésil que les prises de terrains visaient à l’installation d’agriculteurs. En Argentine, la main mise de l’agro-business sur le pays fait que des millions de personnes sont contraintes de se réfugier dans des villes où les structures d’accueil n’existent pas (et le travail pas davantage). Le problème de l’exode rural international est un des problèmes structurels du système capitaliste dans sa phase actuelle. Avec le cas de l’Argentine nous avons la chance de le vivre sous une double façade.
Pays qui reçoit beaucoup d’immigration venue de pays plus pauvres, Pérou et Bolivie, voilà qu’à présent l’Argentine a du mal à supporter l’immigration intérieure. Donc les occupations d’une place à Buenos Aires ont commencé par quelques centaines de personnes qui sont vite devenues des milliers d’où, au bout d’un moment, l’impossible riposte de la police.
Tout a commencé le 7 décembre par la mobilisation de 200 familles qui ont occupé le Parc Indoaméricano, le plus grand espace vert de Buenos Aires avec ses 100 hectares. Les occupants auraient été jusqu’à 13 mille ! J’écris au passé car en effet un accord a été trouvé.
La première riposte fut policière dans le cadre d’un affrontement entre la mairie de Buenos Aires dirigée par le Berlusconien, Mauricio Macri et la présidente du pays Cristina Fernández, son adversaire de « gauche ». Un jeune paraguayen est mort ainsi que Bolivienne.
La droite a accusé la gauche de favoriser l’immigration, et la gauche a accusé la droite de xénophobie jusqu’à ce que les deux pouvoirs se mettent d’accord pour résoudre le problème par la négociation. Face à la marée de la pauvreté il a fallu une nouvelle fois faire marcher la machine à promesses. Et les révoltés ont accepté car de toute façon que peuvent-ils faire d’autre sans débouché politique ? Si les organisateurs de la révolte (car n’allait pas croire au spontanéisme) s’opposèrent aux accords, les milliers de révoltés votèrent et décidèrent de lever le camp.
La situation révèle les limites des politiques sociales. Tout le monde sait très bien que les accords ne sont pas à la hauteur du problème. D’un côté on a la droite qui partout veut la disparition des politiques sociales et de l’autre la gauche qui s’y accroche en partie. Mais le problème structurel est tel que la réponse ne peut pas être à soigner les maux, si on ne s’attaque pas aux causes. Chacun peut pointer l’engrenage : les politiques sociales de la gauche ne pouvant répondre à la demande, elles sont disqualifiées, et la droite y puise des raisons pour tout abandonner. Sans propositions profondément alternatives, ceux qui ont élu Mario Macri à Buenos Aires vont se sentir encouragés à voter pour lui comme président afin qu’il vide le pays… de ses étrangers.
19-12-2010 Jean-Paul Damaggio