Depuis un an, le mouvement "interclassiste" des Forconi (porteurs de fourches), né dans la paysannerie sicilienne, a remonté la péninsule, jusqu'aux grandes villes du Nord. Il est marqué, comme d'une certaine façon celui des Bonnets rouges en Bretagne, par un aspect interclassiste, où les "petits" suivent les "plus gros". Mais en Italie, à la différence de la France, c'est tout un pan de la jeunesse sans avenir, celle des précaires et des chômeurs, qui s'engouffre dans la protestation antifiscale des petits patrons. Le propos de cette jeunesse n'est pas le refus d'un impôt qu'elle ne paye pas, mais celui d'un régime qui ne lui offre plus d'avenir.
Des événements très graves se sont produits ce lundi à Turin.
"A l'origine, le mouvement des « forconi » est apparu chez les paysans de Sicile, rejoints ensuite par des chauffeurs routiers, des petits patrons, des chômeurs et des précaires autour de la crainte d'une augmentation des taxes ou des impôts. Les manifestations de lundi ont été marquées par des affrontements avec la police mais lors d'un face-à-face entre forces de l'ordre et manifestants à Turin, des policiers ont ôté leur casque et sympathisé avec les protestataires". (dépêche d'agence).
Ce geste des jeunes policiers est significatif du ras-le-bol de la jeunesse en désarroi ; il marque peut-être le début de l'effondrement de l'autorité de l'État (un État depuis longtemps bien malade en Italie), il est porteur de graves périls pour une démocratie impuissante. L'alliance de la gauche (PD) et de la droite italiennes dans le gouvernement actuel, et la politique drastique d'austérité menée par portent ainsi des fruits amers : le rejet de la politique ouvre la porte à des forces obscures, dont la voix de Grillo, (qui appelle les policiers à suivre partout l'exemple de leurs collègues de Turin) n'est que l'expression caricaturale.
Ce qui pend au nez des Italiens, et qui nous pend également au nez (sous d'autres formes), est l'inefficacité d'une protestation "démocratique", "antifasciste", contre ce mouvement, tant est grand chez ces jeunes protestataires le sentiment que ceux qui devraient les défendre ont trahi, et le sentiment que ceux qui ont un emploi, qui participent d'une sécurité sociale, ne s'intéressent pas au sort de la jeunesse. L'ennemi désigné par les exclus n'est plus le capitalisme, si tant est qu'il l'a jamais été : il est le monde des "inclus" qui croient encore à la politique politicienne. La force protestataire, voire révolutionnaire, est détournée...
L'Italie, à nouveau laboratoire ?
(Cet article a été publié d'abord sur le blog de René Merle)
René Merle écrit que ce qui nous pend au nez est l'inefficacité d'une protestation "démocratique" ou "antifasciste". Allons un tout petit peu plus loin : pourquoi faudrait-il "protester" contres des petits patrons, des paysans ruinés, des jeunes précaires qui s'insurgent contre les impôts et contre des policiers qui tombent le casque en signe de solidarité ? N'ont-ils pas fondamentalement raison ? En tout cas, un révolutionnaire prolétarien, au sens maintenu que cette expression au début du siècle dernier, ne devrait certainement s'opposer à ce type de mouvement, mais y participer, le colérer, le centraliser, le généraliser, et ainsi disputer l'influence des courants réactionnaires et fascisants qui peuvent s'y trouver. Comment résister à la réaction - à l'éventuelle réaction - si l'on craint d'abolir l'ordre actuel des choses ?