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Encore quelques mots pour la Syrie

Par Vincent Présumey • Internationale • Dimanche 09/10/2016 • 0 commentaires  • Lu 1624 fois • Version imprimable


Quatre ans ...

Voici maintenant quatre ans qu'une insurrection populaire pour la démocratie éclatait en Syrie, dans le prolongement des révolutions tunisienne et égyptienne, quatre ans que la « gauche », y compris souvent la plus « à gauche », se tait ou soutient ouvertement la dictature, suivant tout un panel de propos allant du « c'est bien compliqué tout cela ma petite dame » à « mieux vaut un tyran laïque et anti-impérialiste qui tue tout le monde que des islamistes » en passant par « c'est louche et compliqué quand même cette rébellion ».

Quatre ans. Plus long que la guerre d'Espagne.

Quatre ans que le cœur du peuple syrien n'a toujours pas rallié les islamistes quels qu'ils soient, a vu tomber des centaines de milliers des siens, a vu ses villes détruites, ses enfants torturés, et continue à se battre.

Seul, pendant que la « gauche » et souvent la plus « à gauche » ne cesse de le calomnier, de prétendre qu'il est inféodé à l'impérialisme ou motivé par des passions séparatistes.

Le peuple kurde lui aussi est entré en mouvement – il n'avait pas le choix non plus – et si toute une imagerie s'est propagée en sa faveur, à la différence du peuple syrien, il n'empêche que lui aussi est seul chaque fois que surviennent les affrontements à la vie ou à la mort.

 

Ce naufrage politique atteint son sommet aujourd'hui, avec l'assassinat public de la ville d'Alep par l'impérialisme russe, l'armée du régime syrien et les milices (islamistes chiites) du Hezbollah.

Ceux qui ne voulaient rien savoir, ceux qui disaient toujours « trop compliqué », ceux qui ne veulent connaître que le conflit israélo-palestinien au Proche-Orient où les gentils et les méchants sont classés dans leur tête de façon immuable, sont et seront de toute façon rattrapés par la réalité : Alep est aux portes de l'Europe, la Syrie est présentement l'épicentre du monde, et les réfugiés arrivent par milliers.

Sous les mots, consensus contre Alep.

L'impérialisme français, renvoyé au second plan, alors qu'il est l'ancienne puissance dominante en Syrie et au Liban, a soumis au conseil de sécurité de l'ONU une résolution, samedi 8 octobre, censée, d'après les médias, vouloir mettre fin au martyre d'Alep, ce qui permet aussi aux « anti-impérialistes » pour qui la Russie par définition ne saurait être impérialiste, de croire et faire croire que dénoncer les bombardements russes serait faire le jeu de « l'impérialisme ».

Cette résolution prévoit en fait de mettre en place l'évacuation d'Alep Est par les forces armées qui résistent à Poutine, à Assad et au Hezbollah, en commençant par le Fatah-al-chams, ex Front al-Nosra, issu d'al-Qaïda, qui compte 900 hommes sur 8000 combattants selon l'émissaire de l'ONU, et 400 sur 15 000 d'après l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Cette organisation fut à l'origine implantée en Syrie pour prendre à revers l'insurrection démocratique, le régime libérant et canalisant ses dirigeants vers les zones choisies par lui, l'Arabie saoudite et le Qatar leur fournissant armes et finances. Mais Daesh, arrivé d'Irak et bénéficiant d'un transfert de cadres du régime à Rakka et dans la vallée de l'Euphrate, s'est substituée à elle dans cette fonction, et les restes d'al-Nosra, reconvertis en Fatah-al-Chams, ont vu quelques centaines de jeunes combattants désespérés et déterminés les rejoindre, jouant notamment un rôle dans la levée temporaire du siège d'Alep cet été. La présence de cette composante parmi les résistants d'Alep est saisie comme prétexte pour les faire tous passer pour d'odieux islamistes. Mais pour combattre efficament l'islamisme en Syrie, il faut commencer par soutenir le peuple syrien.

Il est évident que leur exfiltration plus qu'incertaine à travers les lignes contrôlées par le régime, préconisée par la France, n'aurait d'autre signification que de pousser à l'effondrement de la vieille ville bombardée qui résiste encore. Autrement dit, sous couvert de pousser un pathétique cocorico devant Poutine et Assad, la résolution franco-espagnole soumise au Conseil de sécurité accepte, préconise, par avance la chute d'Alep. Voila la vérité.

Une résolution russe lui a été opposée, qui se paye le luxe d'en reprendre les termes, sauf sur un point : la poursuite des bombardements russes. Pour Poutine et Lavrov, un « cessez-le-feu » à Alep s'entend sous les bombardement, qu'on se le dise. Chacun savait très bien à l'ouverture de la réunion du Conseil de sécurité que les deux résolutions seraient bloquées par le veto de tel ou tel de ses membres permanents. Le seul intérêt était de voir le détail des votes : la Chine s'est abstenue sur la résolution française, manifestant une distanciation par rapport à ses votes précédents qui rejoignaient jusque là la Russie. On notera aussi que l'Egypte du maréchal al-Sissi a voté avec la Russie. Que rien de tout cela ne modifierait quoi que ce soit à l'enfer à Alep, chacun était d'accord là-dessus par avance.

Désordre inter-impérialiste.

Pour autant, ce consensus contre les révolutions et les peuples ne signifie pas que les relations entre impérialismes ne soient soumises à rude épreuve. L'impérialisme nord-américain, ses chefs militaires avant même la Maison blanche, supporte de plus en plus difficilement d'avoir été rétrogradé par les révolutions arabes au rang de défenseur de l'ordre contre-révolutionnaire et facteur de désordre généralisé n°2, le titre de n°1 dans ces deux domaines étant assumé présentement par la Russie dans cette région. 

Ce n'est pas la guerre froide, c'est une situation mouvante que les errements des puissances régionales comme la Turquie accentue. Dans ce cadre l'impérialisme dominant mondialement, mais en crise, que sont les Etats-Unis, et l'impérialisme régional, que la chute de ses profits rend de plus en plus agressif, qu'est la Russie, sont entraînés à une collaboration conflictuelle qu'ils n'avaient pas souhaitée. En Syrie, ils jouent à touche-touche et se tiennent par la barbichette, au bord du gouffre en permanence, c'est-à-dire au bord du heurt militaire entre leurs forces. La défense de la population d'Alep n'est absolument pas la motivation des Etats-Unis dans cette rivalité de grandes puissances qui a donné lieu, ces derniers jours, à une nouvelle escalade, les Etats-Unis rompant (officiellement, sans doute pas officieusement) les discussions bilatérales avec la Russie sur la Syrie, la Russie suspendant l'application de plusieurs accords touchant à la sécurité nucléaire, cependant que l'évacuation des armes nucléaires US stockées dans la base de l'OTAN d'Incirlik, en Turquie, a commencé.

Le ministre des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier a déclaré au Bild que «C'est une illusion de croire qu'il s'agit de l'ancienne Guerre froide. Les temps actuels sont différents, plus dangereux». Cette appréciation est exacte, et la rengaine récurrente sur les « relents de guerre froide » empêche de penser la réalité présente.

Mais oui, il faut manifester !

Que faire ? Sous les couches épaisses de l'idéologie et des schémas « géopolitiques » ressassant le XX° siècle, la common decency populaire et militante se fait jour dans de nombreuses conversations : il faudrait manifester pour Alep comme on a manifesté pour Bagdad en 2003, et les réfugiés doivent être, toutes et tous, accueillis dignement et protégés contre le racisme.

Les organisations, partis et syndicats sont dans l'ensemble aux abonnés absents. Mais manifester contre Poutine en France s'impose, maintenant. Et il s'agit, soyons clairs, d'anti-impérialisme, n'impliquant aucunement de soutenir un autre camp impérialiste, d'autant plus que les « camps » ne sont pas délimités et que l'on assiste en fait à une dérive des continents avec des tensions bilatérales multiples, plutôt qu'à la formation de « camps » mondiaux qui n'existent guère que dans l'imagination encombrée de certaines couches militantes.

Au moment même où le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a commencé d'exister en défendant sa résolution au Conseil de sécurité, prophétisant pathétiquement que le pays qui ne la voterait pas se vouerait à une honte éternelle, Vladimir Poutine a confirmé , alors que ce n'était pas totalement sûr jusque là, qu'il sera à Paris pour l'inauguration du Centre spirituel et orthodoxe russe et du cinquième bulbe de l'église orthodoxe de Paris (sic). Notons que son idéologue Douguine, invité par Eléments (revue intellectuelle d'ultra-droite), confère à Paris le même soir.

Les diasporas syrienne, ukrainienne, et également russe, manifesteront. L'exigence de libération du cinéaste et de l'anarchiste ukrainiens de Crimée Sentsov et Koltchenko devra retentir, avec celle du journaliste ukrainien Roman Souchtchenko, kidnappé récemment à Moscou où il était en visite familiale. La place des organisations du mouvement ouvrier et de la « gauche » devrait être là. Un premier appel est lancé, mercredi 19 octobre au quai Branly (Paris), 18h. es militants des diasporas portent l'avenir. Exiger de Hollande qu'il ne reçoive pas Poutine ne fait pas plus le jeu d'Obama qu'exiger, dans les années 1980, de Mitterrand qu'il ne reçoive pas Reagan ne faisait le jeu de Brejnev. Il n'y a qu'un seul combat pour la liberté.

VP,le 09/10/2016.


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