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Europe: la dislocation en marche

Regarder la réalité en face

Par Denis Collin • Internationale • Mercredi 29/08/2018 • 0 commentaires  • Lu 2042 fois • Version imprimable


 Dans les cercles restreints des politiciens, on commence à s’agiter autour de la question des élections européennes qui se tiendront en 2019, une question qui laisse de marbre l’immense majorité de nos concitoyens. Ces élections devraient d’ailleurs battre de nouveaux records d’abstention. Mais cet indice grave de la crise de la démocratie en France et ailleurs n’inquiète pas les dirigeants tout occupés qu’ils sont à combiner leurs petites manœuvres. Pour ceux – dont je suis – qui avaient mis quelques espoirs dans « La France Insoumise », la situation peut être désespérante. Alors que pendant la présidentielle, Mélenchon semblait avoir rompu avec son tropisme « Europe Sociale », vieux gag qui servait à faire avaler la mauvaise soupe bruxelloise, LFI semble y revenir au grand galop, notamment en raison de l’alliance européenne qu’elle a nouée avec le Bloco portugais et le mouvement Podemos en Espagne. Le « plan B » qui prévoyait une rupture avec les traités et une sortie de l’euro a disparu des perspectives de LFI C’est vraiment inquiétant et interdit de saisir réellement le sens de ce qui se passe en ce moment en Europe.

Car le plus inquiétant est l’indifférence des politiciens français à un processus en cours et qui risque de nous exploser au nez sans que nous y soyons préparés. Et ce processus, ce n’est ni plus ni moins que la dislocation de l’UE. On a eu le Brexit qui va certainement se terminer par une rupture franche et sans arrangement entre l’UE et la Grande-Bretagne. À l’Est, la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie commencent à naviguer sur le propre navire. Pour les fonds structurels et la libre circulation des camions ils suivent les règles de l’UE mais pour le reste, ils n’en font qu’à leur tête. S’appuyant sur des majorités agissant en réaction à l’éventualité de leur disparition en tant que peuples dans la tourmente de la mondialisation promue par l’UE, des gouvernements dits « illibéraux », c’est-à-dire populaires et autoritaires s’installent semble-t-il durablement en violant allégrement toutes les règles des États de droit. L’Italie semble vouloir suivre ce chemin derrière l’improbable attelage du M5S et de la Lega. Or avec l’Italie, c’est le centre de la construction européenne qui est touché puisque ce pays est un des six pays fondateurs lors du traité de Rome et, en dépit d’une situation économique difficile, il reste la deuxième puissance industrielle d’Europe (derrière l’Allemagne) et excédentaire pour sa balance commerciale. Si l’Italie craque, c’est l’édifice entier qui s’effondrera. Or Salvini et Di Maio, pour l’instant semblent résister aux injonctions de l’UE et la morgue des dirigeants français et allemands ne fait que renforcer les chefs de la coalition italienne. Avec Tsipras, homme de gauche, célébré en son temps par toute la gauche « de gauche », les chefs de l’UE avaient trouvé une parfaite carpette, un homme entièrement soumis à l’ordre européiste. Salvini et Di Maio pourraient bien ne pas se coucher sous la table quand ces messieurs de Bruxelles haussent le ton. Ajoutons à ce tableau la politique active des USA qui semblent décidés à accélérer la crise de l’UE – Trump a proposé à l’Italie de l’aider à faire face à sa dette – et nous voyons que les débats d’hier et d’avant-hier qui préoccupent la classe politique française sont vraiment totalement fantaisistes.

Évidemment la dislocation de l’UE n’est pas forcément une bonne nouvelle. Tout est tellement intriqué que la facture pourrait être lourde et nous savons d’avance qui sera délégué pour la payer. Sans compter que la dislocation pourrait voir une forte remontée des antagonismes nationaux : le mépris des Latins et plus généralement du Sud prospère en Allemagne et l’anti-germanisme de ceux qui voient derrière chaque Allemand un fridolin à casque à pointe a un franc succès dans la gauche française. Plus que jamais, il apparaît qu’il faut briser les carcans imposés par les traités et revoir radicalement les conditions de la collaboration des nations d’Europe. Une confédération des nations souveraines – et non cette prétendue souveraineté européenne chère Attali et Moscovici – serait la seule issue possible : ce serait en gros quelque chose qui se rapprocherait du « plan B » de l’ancien programme de LFI. Évidemment si on place au premier plan les combines et les rapprochements entre fractions de « gauche » ou entre disciples de Laclau et Mouffe, on ne peut développer une telle position et donc on parle d’autre chose que d’Europe ou on revient aux vieilles lubies d’une « autre Europe ». Il faut prendre les choses comme elles sont, disait le général De Gaulle et partir de ce qui existe, les nations, pour reconstruire un ordre stable, « de Brest jusqu’à l’Oural » et même un peu au-delà. Voilà ce qu’on aimerait entendre et lire…

Le 25 août 18. Denis Collin
               

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