Toi, l’ancien aumônier, tu touches un nouveau pape : habes papam novum, dit-on à Rome. Je doute que tu en sois énamouré éperdu. L’amitié me pousse à t’écrire mon humeur, moi qui suis, tu le sais, mentalement agnostique, existentiellement athée. Tu me livreras ton sentiment, in petto, je t’en prie.
L’ancien pontife, Benoît XVI, s’est usé à la tâche. Passer de chef de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (l’ancienne Inquisition), à Pape, c’est muter de responsable du service juridique au poste de Président-directeur Général d’une multinationale, en sus de chef d’Etat ; un labeur exténuant. Ressources humaines défaillantes sur les cinq continents pour vices de fond, finances douteuses selon la justice, le Conseil de l’Europe, la Banque d’Italie et le département d’Etat américain http://www.bilan.ch/myret-zaki/redaction-bilan/demission-du-pape-lenvers-du-decor , abandons mondains jusqu’à la Curie ; à 76 ans, le Panzerkardinal Ratzinger a jeté l’éponge. Point n’est besoin d’avoir été Pape pour connaître les servitudes, turpitudes et vicissitudes de la conduite d’une organisation humaine au service d’un idéal. Profane en arcanes vaticans, je ne conjecture pas des raisons du départ de Benoît XVI (un méchant parpaillot de ma connaissance le nommait insolemment « treize et trois », comme « très étroit »).
François succède à Benoît. Vu de loin, les cardinaux, possiblement assistés par l’Esprit saint, ont réalisé une prouesse, visant l’équidistance, atteignant la quintessence ; argentin, mais d’extraction italienne, philosophe mais chimiste, franciscain mais jésuite, conservateur mais paupériste, ambitieux mais modeste, bénisseur mais béni, dignitaire mais accessible, solennel mais avenant, l’homme a de quoi plaire aux catholiques du monde, aux médias même. N’en déplaise à une image outrageuse, Jorge Bergoglio n’aurait pas présenté l’hostie au dictateur Videla sous l’œil d’un photographe indiscret mais il n’a pas non plus, en son temps, condamné la dictature argentine. Qu’on se le dise, la théologie de la libération n’est aucunement son credo.
Que l’on soit croyant ou mécréant, cher Hyacinthe, l’élection du pape est devenue un « fait social total » (Durkheim), surtout depuis l’intrusion de la télévision dans nos foyers. Deux cogitations, présentement, me viennent : l’exhaussement de la pauvreté d’abord, la relation à la politique ensuite.
La lutte contre la pauvreté est une antienne du temps. Les ingénus y voient une compassion aux pauvres. Au vrai, elle est une consolation, une fois la souveraineté des peuples et le droit au développement remisés au musée des archaïsmes tiers-mondistes. Le pape François est à l’unisson du discours paupériste de l’ONU, de la Banque Mondiale et consorts : s’occuper des pauvres sans s’interroger sur les raisons de leur état, la charité sans la justice. Plaindre les pauvres sans fâcher les financiers, négociants et dirigeants qui les affament. Sur ce chapitre, ma condisciple Francine Mestrum a fait la lumière en son notable opuscule: « Mondialisation et pauvreté – De l’utilité de la pauvreté dans le nouvel ordre mondial ». Je t’en recommande la lecture, cher Hyacinthe, et aux Franciscains dignes de ce nom. Ergo, amici simplissimi, sans coup férir, le pape François peut, n’en déplaise aux journaleux incultes, se poser, benoîtement, en paupériste réactionnaire. Son conservatisme, de la sorte, est avéré, sans même aller solliciter ses vues sur les sujets sensibles de la procréation et des relations intimes.
Ma deuxième cogitation, cher Hyacinthe, tient à l’union, inévitable, infailliblement incestueuse, de la politique et de la religion. L’affaire est embrouillée, elle le restera longtemps. La religion confine au politique, la politique tient au sacré. Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu est une gageure. Les vues de Régis Debray, pointant le sacré exubérant, et de Georges Corm, repérant le profane sous-jacent, sont, selon moi, plus complémentaires qu’opposées. Religion et politique participent de deux formes de montage symbolique, selon les pénétrantes vues de Pierre Legendre. L’économie même, selon lui, est nimbée de religieux, comme l’atteste son « Dominium Mundi – l’empire du management ». Crédit et credo sont affaires de croyances. Le management est une nouvelle religion. Ces formes symboliques sont concurrentes en idées, solidaires en fait, pour le meilleur et pour le pire. La laïque République française ne craint pas l’excès de ferveur en dépêchant à Rome son Premier ministre et Madame, flanqués du ministre des affaires étrangères, alors que, par fonction, le ministre de l’intérieur est aussi ministre des cultes. Le parfum d’encens de l’installation du pape sied davantage aux narines délicates des marquis roses que l’odeur de soufre qu’exhalaient les funérailles du président Chavez. Honni soit qui mal y pense. Fille de pasteur, la luthérienne impératrice de la chrétienne Allemagne semblait moins incongrue en ce cénacle. Notre Suisse, traditionnellement partagée entre cantons catholiques et réformés, a raisonnablement dépêché son Conseiller fédéral en charge des affaires extérieures, Didier Burkhalter. A chacun sa vérité, comme disait un saltimbanque transalpin.
J’appète notre prochaine agape, cher Hyacinthe. Tu éclaireras doctement ma perception, temporaire et profane, des mystères apostoliques.
Ton Guillaume tel que tu l’affectionnes : sacrément fidèle.
Berne, le vendredi saint 29 mars de l’an de grâce 2013.