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Hirsch, Sarkozy, Royal et les pauvres...

Par Jacques Cotta • Lutte de classes • Samedi 01/03/2008 • 0 commentaires  • Lu 2140 fois • Version imprimable


En situation de crise sociale, il faut, pour tout gouvernement, faire preuve de bonne volonté. De la compassion à défaut de résultats tangibles en matière de pouvoir d’achat, voila le minimum. C’est Martin Hirsch qui est là pour s’y coller. L’homme qui a fait ses classes chez l’abbé Pierre, présenté comme un secrétaire d’état d’ouverture, serait censé apporter la bonne parole sociale au sein et au nom du gouvernement. En fait de social, il s’agit sur toute la ligne de la déclinaison fidèle du sarkozysme qui aujourd’hui avoue son impuissance sur la question centrale du pouvoir d’achat...

 

Hirsch, Sarkozy, Royal et les pauvres...

Avant les élections présidentielles, Martin Hirsch a réalisé le tour de force de se faire présenter comme « chauffeur de salle » dans les meetings de Ségolène Royal avant de devenir, une fois sa candidate défaite, le secrétaire d’état de Sarkozy. Comment comprendre une telle trajectoire ? Ambition d’un homme ou cohérence politique ? Ou les deux à la fois ?

Ségolène, Sarkozy et Hirsch sont dans un bateau...

Alors qu’à la veille du premier tour des élections présidentielles, Nicolas Sarkozy exprimait sa volonté de défendre les travailleurs méritants, ceux qui se lèvent tôt le matin, en opposition aux parasites, les oisifs qui préfèrent dormir plutôt que de fournir le moindre effort, Ségolène Royal aurait pu faire entendre un autre son de cloche. D’autant que la situation, notamment avec les tentes des Don Quichotte installées sur les bords du canal de l’Ourcq, offrait l’occasion d’un tournant à gauche dans son argumentation qui électoralement était attendu... Mais Ségolène, fidèle à une orientation sociale libérale clairement annoncée, n’en fit rien. La candidate socialiste parlant du logement se prononçait pour « apporter une aide à tous ceux qui ont des difficultés pour payer leur loyer, mais acceptent tout de même de le payer ». Ce qui signifiait sans détour que ceux qui ne le payaient pas étaient responsables, car ils refusaient de le payer. Sous une autre forme, Ségolène Royal affirmait le même point de vue que Nicolas Sarkozy, établissant un clivage entre les méritants et les autres... Dans la campagne électorale, ni pour l’un, ni pour l’autre la question des moyens relative au travail ou au salaire n’était judicieuse. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy se retrouvaient pour exonérer le système qui crée les travailleurs pauvres, ceux qui sont en activité, sous payés, et les autres, brisés, qui subissent RMI ou autres allocations, non par plaisir, mais contraints et forcés. Il y a là le fondement même de Martin Hirsch dont le projet de Revenu de solidarité active s’appuie très exactement sur cette conception :

- Aider les Rmistes à se remettre au travail, ce qui signifie que s’ils sont chômeurs, ils en portent une part de responsabilité.
- Faire embaucher des gens à bas prix, la collectivité payant les salaires qui manquent...

L’idée de Martin Hirsch vient de la « gauche » catholique. Le but, à travers la gestion sociale de la pauvreté, est de ne poser à aucun moment les responsabilités du système qui crée les rmistes, le travail précaire, les bas salaires, etc.... Aussi lorsque Ségolène tomba du bateau, il était naturel que l’énarque d’Emmaüs reste à bord en compagnie de Nicolas Sarkozy dont il ferait un secrétaire d’état, le même qu’il aurait sans doute été chez la candidate socialiste, si elle n’avait connu le sort qui fut le sien.

le R.S.A.

Le revenu de solidarité active repose sur quelques principes assez simples que ne peuvent cacher les prétendus « bons sentiments » de son auteur :

- Ils ne veulent pas bosser !

Si l’allocataire ne reprend pas le travail, c’est parce qu’il ne le veut pas, essentiellement parce que les emplois « disqualifiés » ne permettent pas au rmiste de voir son revenu augmenter. Le R.S.A. doit donc agir sur le revenu.

- Les mettre au boulot !

Pour Martin Hirsch, l’entrée dans l’emploi est une bonne chose pour l’allocataire, comme pour la société, quel que soit cet emploi. La nature du système et le rapport de force employeurs employés qui a créé cette catégorie qui n’a que 400 euros pour vivre n’ont pas lieu d’être discutés.

- Un rmiste par emploi disponible !

Il s’agit de mettre les rmistes en face de l’emploi quel qu’il soit ! Pas de poser la question du choix... Ce sont donc les emplois les plus rejetés, les plus durs, les plus précaires, les plus pénibles qui leur sont destinés. On ne tient compte ni du passé du rmiste, ni de sa volonté, ni de ses qualités. On atteint parfois l’absurde. Par exemple, des Rmistes se retrouvent dans l’E.N. à assurer sans aucune formation préalable une présence quotidienne auprès d’enfants ?

- Payer pour les patrons !

Puisque le travail au Smic est parfois peu avantageux par rapport au RMI et « aux avantages qui y sont afférents », faudrait-il augmenter le Smic et les salaires pour rendre le travail plus attractif ? Non, ce serait là s’opposer au patronat, action inverse au but recherché. Si la perte de la CMU conduit le rmiste à dépenser plus en soins, c’est que la partie différée du salaire que constituent les prestations de Sécurité Sociale est de plus en plus petite (pas étonnant vu le montant des exonérations des cotisations patronales). Mais là aussi, la responsabilité patronale doit être évacuée. En conséquence, le RSA opère un formidable tour de passe-passe : comme il ne s’agira pas de demander aux employeurs de mieux payer le travail, il faudra compenser des salaires de plus en plus bas par une augmentation des prestations assurées par les collectivités publiques.

Comme le RMI hier qui voyait l’impôt compenser le désengagement des employeurs du financement de l’assurance chômage, il s’agit aujourd’hui de compenser avec le RSA le désengagement des employeurs des salaires de leurs employés...

Régression sociale

Il existe un précédent au RSA, une sorte de RSA avant Hirsch, les « contrats aidés du plan de cohésion sociale de Borloo ». Le salaire est constitué du montant du minima social versé à l’employeur et reversé au salarié, de suppléments de subventions et d’une infime partie payée par l’employeur. Un dispositif suffisamment daté pour tirer un premier bilan.

Deux ans après leur entrée en vigueur, 400 000 personnes se retrouvent dans la situation de chômeurs qui travaillent : leurs revenus les placent en effet tout juste au dessus du seuil de pauvreté dont le montant est fixé à 816 euros pour l’année 2007. « Agir contre le chômage » indique clairement que « leur statut précaire les prive de tous les droits liés au poste de travail, notamment dans la fonction publique. Surtout parce que leur contrat de travail est aussi un contrat d’insertion, c’est non seulement la fin de contrat qu’ils ont à craindre, mais aussi la suspension ou la suppression de l’allocation en cas de démission, considérée comme une rupture du contrat d’insertion ».

C’est une nouvelle caste de travailleurs pauvres qui est ainsi créée. L’employeur profite de la précarité du contrat de travail du nouvel embauché. Pendant que l’ANPE ou le service de contrôle RMI qui veille au respect du parcours d’insertion hors emploi le force à continuer sa recherche d’emploi... Dans certains départements note A.C. « l’ANPE tente ainsi d’imposer à des salariés en CA qui vont être licenciés une période d’EMT -travail gratuit- à la fin de contrat ».

A.C. souligne aussi le risque qui pèse avec le RSA sur les rmistes. En cas de refus d’un emploi imposé, comme en cas de sortie de cet emploi, c’est non seulement le minima social qui sera concerné mais aussi les droits connexes (allocation logement, droits au transports, revenu des ayant droit) qui seront menacés. Martin Hirsch reprend en effet à son compte une vieille rengaine qui a toujours servi à diminuer les droits et à augmenter le contrôle : Le système est trop complexe, il y a trop de guichets différents, trop de petites aides, trop d’interlocuteurs. Bref, il faut une allocation unique et surtout un guichet unique.

Le RSA serait dans l’idéal un minima unique, calculé pour fondre en un seul revenu dépendant d’une seule administration l’ensemble des allocations et droits connexes qui existent dans un département donné : allocation logement majorée, CMU, exonération de la taxe d’habitation ou d’autres impôts locaux, réductions tarifaires transports... C’est donc l’ensemble qui pourrait être ôté au rmiste qui traînerait les pieds pour entrer dans un boulot impossible, ou totalement étranger à son aspiration ou ses capacités.

Exploitation à la carte !

La situation d’un rmiste en contrat d’avenir dans un département pourra être rémunéré différemment qu’un autre, ayant le même travail, dans un autre département. Martin Hirsch décide d’aller plus loin que ce que prévoit déjà la loi de décentralisation de 2004 qui soumet l’allocataire au bon vouloir des conseils généraux. Le système de cumul allocation salaire doit selon lui tenir compte de paramètres locaux.

Selon Martin Hirsch, l’égalité devant la loi est en effet un principe dépassé. « Le problème de l’Etat, c’est qu’il est coincé dans les règles qu’il s’est lui-même fixées. C’est plus le pouvoir de dire non que le pouvoir de faire. Par exemple, il a confié aux départements la gestion du million d’allocataires du RMI, mais en maintenant des règles uniformes sur les barèmes, les règles juridiques, les conditions de cumul entre le RMI et les salaires quand les gens travaillent un peu . »

En clair, les millions d’allocataires des minima sociaux de ce pays seraient, avec le RSA, totalement exclus du droit commun, pour être soumis à une multitude d’ « expérimentations » qui porteraient sur l’entièreté de leurs parcours : l’entrée dans le RMI, mais aussi le retour à l’emploi.

Ceux qui se prêteraient au jeu gagneraient beaucoup plus dit Martin Hirsch qui chiffre à 8 milliards d’euros le coût d’un RSA idéal appliqué au niveau national. Mais comment croire une seconde que les départements qui depuis la loi sur la décentralisation font la chasse au rmiste parce qu’ils « n’ont pas les moyens de combler le désengagement financier de l’état » pourraient ainsi mettre des milliards dans le commerce parce que ceux-ci retrouveraient un travail ? Ou que l’état dont « les caisses sont vides » ferait l’effort minimum...En réalité, le RSA devrait imposer au rmiste l’obligation d’occuper un emploi sans pouvoir revendiquer aucun droit collectif qui y serait attaché. Il se propose d’institutionnaliser le modèle des communautés Emmaüs, celui du contrôle total des pauvres, celui du travail obligatoire.

La voix de son maître !

Lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy se présentait comme le candidat des gens d’en bas, des gagne petit, de cette France qui souffre. Il déclarait, suscitant en partie un vote d’adhésion : « Ma conviction, c’est qu’une des questions centrales pour la France, c’est celle du pouvoir d’achat des français. Les salaires sont trop bas, les revenus sont trop faibles et moi je veux parler à la France qui travaille, celle qui a un métier, qui a un appartement, qui a une famille, qui a une voiture, qui travaille dur, et qui trouve pourtant qu’on arrive pas à joindre les deux bouts. C’est à cette France là que je veux m’adresser... ». Entre les lignes, le prestidigitateur faisait mine de s’intéresser au salaire, au pouvoir d’achat, à la misère....

Neuf mois plus tard, une fois élu, il déclarait aux français qui sans doute avaient eu le tord de croire ses paroles précédentes : « S’agissant d’ailleurs du pouvoir d’achat, qu’est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides, ou que je donne des ordres à des entreprises à qui je n’ai pas à donner d’ordre. Si c’est ça votre conception de la politique, et ben on se trompe, on ne parle pas de la même chose. Réduire le débat politique français à la seule question du pouvoir d’achat, c’est absurde ».

La messe était dite. Rien ne pouvait changer. Ainsi, la politique que Martin Hirsch a en charge prend toute sa signification. Il ne s’agit pas d’intervenir dans le sens du travail sur les questions d’emploi, les questions salariales, celles qui concernent la précarité... Il s’agit juste de servir de caution à une politique qui crée les rmistes, les bas salaires et la pauvreté en testant quelques recettes passagères dont le but est d’exonérer les responsabilités économiques d’un système qui pour les profits de quelques-uns attaque les salaires et la vie du plus grand nombre. En réalité, prétendre vouloir remettre au travail les rmistes lorsqu’on soutient la politique et la classe sociale qui fabrique les rmistes et impose des salaires de misère n’est pas faire preuve de sentiments chrétiens, mais plutôt d’un zèle démesuré pour satisfaire le patron du jour, Nicolas Sarkozy, comme la patronne d’hier, Ségolène Royal.

Jacques Cotta


Discussion

La conclusion de Jacques me paraît en-deça du véritable dessein politique auquel Hirsch s’associe. Il ne s’agit pas seulement de "servir de caution à une politique en testant quelques recettes passagères". Loin de chercher à rééquilibrer le travail par rapport au capital, le modèle social de Hirsch permet , au contraire une nouvelle variable de profit. Son dispositif c’est la fin du compromis contractuel des trente glorieuses, le compromis fordien par lequel les travailleurs tiraient leurs droits sociaux de leur reconnaissance comme producteurs qu’ils avaient arrachée au patronat. Le but que se fixent Sarkozy et Hirsch, zélés exécutants de l’Union Européenne, c’est d’offrir à la classe des exploiteurs un système social lui permettant de dégager du profit de la dernière niche qui demeurait dans un marché saturé : celle des charges sociales. Utilisant la pression du chômage et le sentiment de culpabilité diffusé par l’Eglise depuis 2000 ans, il force les travailleurs à accepter des sous-emplois garantissant au patronat une plus-value expurgée de toute contribution sociale. Il s’agit bien du degré ultime du corporatisme. Cela a un nom.

Pierre


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