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Kerviel et le système

Lettre genevoise n°14

Par Gabriel Galice •  • Dimanche 10/10/2010 • 3 commentaires  • Lu 2180 fois • Version imprimable


« Innocence coupable de la banque » titre Frédéric Lelièvre dans Le Temps du 5 octobre. Pour Olivier Perrin (Le Temps du 6 octobre), « On a exécuté le soldat Kerviel ». La Tribune de Genève du 7 octobre voit dans le jugement « une victoire à la Pyrrhus ».

Anciens collègues (la majorité de ceux entendus, pas tous), syndicalistes, dirigeants de la Société Générale font chorus pour approuver la décision de justice condamnant Jérôme Kerviel à cinq ans de prison (dont trois ferme) et 4,9 milliards de dommages et intérêts. Crucifié à 33 ans, le trader indélicat fait appel. L’étrange de l’affaire est que les dirigeants se soient déclarés irresponsables. Percevant des sommes astronomiques justifiées par leur supposée clairvoyance et leur contribution au succès, ils se dérobent devant leurs carences manifestes. Quel courage ! Quelle dignité ! Dans des sociétés traditionnelles, le chef se sacrifiait après une défaite, endossant l’échec. Les mercenaires cyniques de nos sociétés marchandisées accablent leurs subordonnés. Tant que Kerviel gagnait, au détriment de la concurrence ou de tiers, il était en odeur de sainteté. Défait, il est lâchement lâché. L’affaire intervient concomitamment à la crise financière qui exonère les dirigeants de leurs responsabilités et fait payer la débâcle par les contribuables de tous les pays. 

Des sociologues disputèrent (et disputent encore) de savoir s’il faut parler d’agents (holistes) ou d’acteur (individualistes) dans l’analyse de la société. Les marxistes et structuralistes sont du côté des acteurs, les libéraux privilégient l’agent, supposé libre et indépendant. Michel Crozier publia naguère un succès d’édition L’acteur et le système. On nuance les oppositions quand Vincent Descombes évoque Le complément du sujet ou quand Luc Boltanski entreprend une sociologie de l’émancipation qui rompt avec la tendance à la fatalité mécaniste de Pierre Bourdieu. 

L’affaire Kerviel montre et démontre que l’acteur est un agent et vice-versa, c’est-à-dire un actent. De sourcilleux sociologues ne manqueront pas de trouver ce propos trivial. Et des philosophes reprendront la querelle du sujet. Débattons-en ! Lisons les travaux de Michel Beaud, de Michel Aglietta, de Frédéric Lordon (son denier livre est Capitalisme, désir et servitude) sur le conatus du capital ou regardons-le sur @rrêt sur images n°146.

Reste que l’acteur Kerviel, manipulateur piégé, s’avère fusible du système l’instrumentant, le renvoyant à son statut d’agent du capital bancaire. L’acteur Kerviel est coupable, l’agent Kerviel est victime de la machine qui tente de le broyer pour des siècles et des siècles. La machine agit en mon nom : je suis client de la Société Générale, actent moi-même, rouage du système malgré moi. Les bénéfices empochés sur mon dos depuis trente ans servent à payer les actionnaires, les dirigeants et les avocats qui accablent Kerviel pour protéger les revenus des plus intéressés. 

Changer de Kerviel ? Changer de banque ? Changer de système ? 

Gabriel Galice – 9 octobre 2010

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Commentaires

Tous sur Kerviel par Julien Bézy le Lundi 11/10/2010 à 10:58

Kerveil n'est pas un saint, il est un trader qui spécule sur tout ce qui bouge. Mais pour cela est-il le seul coupable ses chefs, ses dirigeants voyaient bien qui ramenait un fabuleux et scandaleux pactole quand l'affaire tournait bien. Tous profitaient de l'obole sans se poser de questions. Maintenant que l'affaire a tourné court, il faut un coupable, l'agent Kerviel c'est bien, mais les mentalitées de spéculateurs, de rançonneurs, ils sont chez qui? Pour le scrach mondial, les banques ont laissées payer les contribuables, pour l'affaire Kerviel, il font payer un sous-fifre, quel bande de laches!


par Pierre Montoya le Lundi 11/10/2010 à 16:37

                    Kerviel est l'illustration du "lumpen prolétariat" moderne, du moins une version nouvelle. La "valetaille" du capitalisme que l'on doit malgré tout ne pas confondre avec les maîtres. En général ces personnages sont trés zélés mais les maîtres n'en paient jamais  leurs excés . Les maîtres sont particulièrement exclusifs et n'hésitent pas à les sacrifier le moment venu. Pauvre garçon qui cherchait "l'Edorado", il se retrouve dans le marigot le plus nauséabon. Le vrai procès et non pas cette comédie offerte à la vindicte, le vrai procès devrait être celui des premiers responsables, ceux au compte de qui Kerviel "travaillait". Le procès des banques , de la SG en particulier et du système qui en découle. On nous offre le "lampiste" en pature. La racaille de la finance qui se prétend victime de celui qu'ils ont pourtant "formaté".


Il n'y a pas de coupable! par la-sociale le Lundi 11/10/2010 à 19:01

Désolé de manifester mon désaccord avec les précédents commentaires.  Qualifier les capitalistes de "canailles" fait du bien, mais c'est une action magique. C'est-à-dire sans effet autre que de renforcer les superstitions propres au mode de production capitaliste. Les banquiers que font-ils? Leur métier de banquier et ce métier consiste à offrir les meilleurs placements à leurs clients d'affaires. Et qui sont ces clients d'affaires? Il y a là-dedans bien sûr des canailles, mafieux et autres exploiteurs du sexbusiness et de la came qui viennent blanchir leur argent.  Mais l'essentiel, ce sont des investisseurs institutionnels qui exigent des taux de rendement élevés pour leurs capitaux. Parmi ceux-ci fonds de pension, fonds souverains, fonds communs de placement qui placent bien autre chose de la fortune des milliardaires: le salaire différé des ouvriers et employés qui préparent leur retraite, les économies des salariés moyens et des petits bourgeois, celles des classes moyennes supérieures aussi. A insister sur les canailles, en réalité on contribue à blanchir le système en rêvant d'une système moralisé, d'une capitalisme vraiment productif. Mais non: Kerviel est un produit typique du système. On a le droit de penser que la profession de trader est une profession répugnante - et ce me semble être le cas! - mais cela n'a rien à voir avec la comprehénsion qu'il faut avoir de la nature du système lui-même. Quand bien même les dirigeants des banques seraient des petits saints, méprisants des superbonus et refusant des salaires supérieurs à 5 fois le salaire de base, rien ne serait changé au fonctionnement profond du système et aux dégâts qu'il engendre.
Denis COLLIN



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