Je viens de suivre, du Pays basque, l’agitation que suscite en Espagne la bagarre pour la dépendance de la Catalogne qu’il est convenu d’appeler « indépendance ». Débats télé, dossiers dans la presse, interventions étrangères, le spectacle est à son comble ! Avec en star inattendue Artur Mas seulement candidat à la quatrième place sur une liste, mais leader incontesté du groupe ! Mas qui dirige la Catalogne depuis presque cinq ans et dont le bilan est si mauvais… mais ce n’est pas sa faute, c’est la faute à Madrid ! Réponse facile qui permet à une part de la gauche catalane de le soutenir car demain avec l’indépendance il pourra faire mieux… à moins qu’il ne puisse faire pire !
Les illusionnistes
La Catalogne vote le 27 septembre mais votera aussi pour les élections générales espagnoles moins de trois mois après or ceux qui s’unissent le 27 préparent aussi leur division pour décembre ! Dans les deux camps !
L’illusionniste en chef s’appelle donc Artur Mas, à la tête d’un parti centriste (CiU) tant décrié (surtout pour corruption mais pour tant d’autres choses) qu’il a accepté de se mettre en retrait, laissant sa place dans les débats à des représentants de gauche du nationalisme (ERC). Une union qui s’appelle justement « Union pour le oui » comme s’il s’agissait d’un référendum, Oui ou Non à l’indépendance, alors qu’il faut élire des députés aux couleurs variées. Tellement variées qu’un petit parti d’extrême-gauche (la CUP) est inclus dans les « indépendantistes » alors qu’il a annoncé par avance qu’il ne laissera pas Mas, à la tête de la Catalogne.
La confusion n’est pas moindre dans l’union des gauches (Podemos, les verts et autres courants de gauche) où chacun se prépare pour les élections générales sur des axes opposés ! Rien à voir avec la victoire citoyenne de cette gauche aux municipales dernières à Barcelone…
Les seuls à rester fermes sur un même engagement régional et national sont donc la droite (PP), le PS (PSC) et le nouveau parti centriste (Ciudadans).
Les moyens de l’illusion
Artur Mas a réussi à se servir à son profit de tous les symboles catalanistes, en changeant donc la nature d’une élection politique, en soutien ou non aux symboles en question !
Le premier de tous est le 11 septembre que pendant une époque Pinochet a volé aux Catalans ! Le 11 septembre 1714 c’est une fête en l’honneur d’une défaite : dans la succession d’Espagne, après 14 mois de siège, Barcelone tombe face aux troupes espagnoles et perd définitivement les privilèges de ses institutions locales. Le 11 septembre 2015 la fête était aux mains de ceux qui s’autoproclament indépendantistes.
Sauf le PP et Ciudadans, tous les autres partis célèbrent aussi le héros militaire de la bataille ci-dessus, Rafael Casanova. Et Mas serait le nouveau héros !
La Catalogne a son hymne, Els Segadors, né en 1640 mais dont les paroles ont changé depuis. Cet hymne qui appartient à tous les Catalans qui le désirent, est devenu lui aussi instrument politique de Mas.
Les hasards de l’histoire font que le 11 septembre dernier ce fut le 750 ème anniversaire de la naissance de Ramon Muntaner premier chroniqueur de la Catalogne. Encore un héros au service de Mas !
Plus près de nous, la Catalogne vient de connaître le 75 ème anniversaire de la mort de Lluis Companys, fusillé par les troupes de Franco et figure du mouvement ERC (Gauche républicaine espagnole). Là Mas ne peut récupérer mais avec l’union entre ERC et CiU la question de l’indépendance devient présente dans de cette élection.
Côté culture, les illusionnistes utilisent Ramon Llull, Eric Morera ou Ovidi Montllor.
Pourquoi des illusionnistes ?
L’autre star, c’est le peuple catalan. Si les électeurs veulent l’indépendance pourquoi la leur refuser et pourquoi la réduire à une illusion ? A écouter un débat télé lamentable, j’ai retrouvé les mêmes bavardages que dans nos débats télé, les mêmes ficelles d’une politique assassinée ! La Catalogne traverse de façon moindre que l’Espagne, une grave crise économique, un exemple qui montre que tous ses malheurs ne viennent pas de Madrid ! Oui mais le dynamisme catalan serait ralenti par le boulet à tirer, que représente tout le reste de l’Espagne ! Un tel nationalisme a toujours raison ! Sauf que pour ce dynamisme, la Catalogne a été heureuse de pouvoir exploiter les immigrés de l’intérieur et en particulier les milliers d’Andalous venus là pour survivre. L’indépendance ne va-t-elle pas créer une fracture entre les catalans historiques et les catalans nouveaux ?
Le représentant de la gauche a tenu à rappeler que la fracture essentielle est celle sociale, mais elle nous ramène à une histoire classique, banale et sans panache, alors que l’histoire sous l’angle indépendantiste c’est de l’héroïsme à l’état pur ! Ils ont réussi à faire tourner autour d’eux touts les questions !
L’Europe ? Encore l’embrouille entre les Indépendantistes qui veulent sortir de l’Europe (la CUP) et ceux qui disent que l’Indépendance ne changera rien (les autres) et quand le représentant de la gauche évoque le combat pour l’Europe sociale, encore une position rendue bien peu enthousiasmante par l’histoire !
Si le peuple en décide ainsi, que la Catalogne soit indépendante, mais, en démocratie, on peut rester minoritaire !
Quelle dépendance ?
Les autorités bancaires sont intervenues dans la campagne pour dire que toute indépendance serait néfaste à la Catalogne comme à l’Espagne. Belle occasion pour que Mas retrouve la première place dans la campagne en appelant à un « sens de la révolte, de l’auto-affirmation et de la liberté du pays ». Mas en chef d’une révolution ! Mas qui dépend en même temps des banques !
Et Mas d’insister : « Tout vote qui n’ira pas à Junts pel si ne sera pas un vote du changement réel. Si nous restons comme nous sommes, nous irons en arrière comme un crabe. »
Et argument final : « Aucune banque ne partira car nous sommes 20% du marché espagnol. »
Des banques qui vont pouvoir poursuivre le développement des hôpitaux privés ? En Espagne il existe 345 hôpitaux publics pour 309 privés et en Catalogne 65 publics contre 146 privés !
La dépendance au marché est donc là, affichée clairement, une dépendance qui serait un élément de force, car la Catalogne représente 20% du marché !
Mas propose après « sa » victoire, une déclaration unilatérale d’indépendance qui sera illégale.
Au moment où l’équipe d’Espagne de basket vient d’obtenir le titre de champion d’Europe contre le petit pays qu’est la Lituanie, après avoir battu le grand pays qu’est la France, une grande figure de l’équipe, Pau Gasol, dont le prénom dit bien l’origine catalane, s’affiche pour l’indépendance lui qui joue… au NBA donc aux USA !
Que va devenir le championnat de foot sans le match Barcelone-Madrid ?
Inversement l’écrivain Juan Marsé, une figure de Barcelone, rappelle que la culture catalane vit aussi en espagnol, comme la culture algérienne vit aussi en français.
Et au Pays Basque
L’union entre les centristes du PNV et la gauche de Bildu y est impossible à cause du poids de l’ETA. Si le terrorisme a disparu il reste l’épine des prisonniers de l’ETA. La bagarre très populaire actuelle tourne autour de la demande de rapatriement au Pays basque des prisonniers de l’ETA. Par ailleurs le PNV demande à Bildu de reconnaître que la stratégie de la lutte armée fut une erreur.
Mais ne faisons la même erreur que côté catalan. Si en Catalogne la question politique vient surdéterminer les autres, au Pays Basque la division des forces politiques ne doit pas masquer le dynamisme culturel, politique et économique de cette région.
Des Basques demandent l’indépendance et l’affichent fortement en bien des endroits. Ils disent : après les Catalans, c’est à nous. En ce sens Artur Mas joue avec le feu ! Il trompe beaucoup d’habitants de sa région mais aussi d’ailleurs et crée en même temps, un mur entre la Catalogne et une bonne part de l’Espagne.
Nous assistons à un délitement du politique qui n’annonce rien de bon pour demain…
Pour mémoire, entre Rajoy et Mas, qui se font la «guerre», il n’y a qu’une seule différence politique : Rajoy ne peut invoquer l’indépendance de l’Espagne pour unir autour de lui ! Pour le reste, ils prônent les mêmes méthodes qui sont les méthodes de partout en Europe, et qui rendent donc la politique si peu enthousiasmante pour les citoyens même si l’abstention en Espagne est moins forte qu’en France.
Jean-Paul Damaggio