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Macron au début, ça va pas fort…
D’où vient Macron, d’où vient donc sa popularité ? Comment s’est-il imposé dans l’espace public pour arriver aux plus hautes fonctions ? Comment donc ce jeune hussard de la Hollandie est-il parvenu à endosser le costume du Bonaparte de la 5ème république ? Qui donc lucidement aurait parié un kopek sur le protégé de Hollande ?Lorsqu’il est nommé au ministère de l’économie par François Hollande, son niveau de popularité est très bas. Selon les sondages alors effectués, en octobre 2014, 11% seulement des personnes interrogées souhaitaient le voir jouer un rôle plus important dans la vie politique française (Sondage TNS-SOFRES octobre 2014). 18 mois plus tard, il est donné perdant au premier tour, derrière Juppé, mais aussi derrière Jean-Luc Mélenchon (Sondage IFOP avril 2016). Parmi certaines catégories sociales, sa côte est très faible. Seuls 6% des ouvriers et 4% des artisans voient d’un œil bienveillant le ministre de l’économie. Nous sommes alors à une année de l’échéance électorale. Que s’est-il donc passé, par quel miracle le très libéral Macron est-il devenu selon tous les sondages la « personnalité politique préférée » des français (Sondage ODOXA janvier 2017) ? Comment l’opinion a-t-elle basculé ? Qui fut donc l’agent magique de Macron au point de modifier de fond en comble l’avis des français sur celui qui allait emporter les élections ?
La perception que les français ont du ministre Macron est au départ sans ambiguïté. Ceux qui le connaissent savent qu’il s’agit d’un ex-banquier de chez Rothschild, un libéral affirmé comme tel (On trouvera dans « L’Imposteur », livre que j’ai consacré à Hollande et son entourage, un portrait de Macron qui retrace l’histoire déjà très « riche » du jeune collaborateur fétiche du chef de l’état. « L’Imposteur », Jacques Cotta, Editions Balland, 2014.), un homme dont le côté bling-bling n’échappe pas à l’opinion, instigateur d’une loi sur la dérégulation du travail, partisan du travail le dimanche, de la remise en cause des statuts professionnels, de « l’ubérisation » de secteurs importants de la société, d’une politique d’ensemble qui pousse les options de François Hollande et qui est plutôt mal reçue par les travailleurs.
… Mais un coup de presse, et ça repart !
Alors commence la fabrication du produit Macron (On verra une démonstration exhaustive de la manipulation médiatique au profit de Macron sur le site « le vent se lève » à l’adresse suivante : http://lvsl.fr/medias-ont-fabrique-candidat-macron). Un produit qui devait être susceptible de jouer la doublure fidèle de Hollande comme de Fillon en cas d’empêchement. Le produit Macron avait pour fonction première de boucher les trous, au cas où… Mais pour atteindre un tel but, il fallait sortir d’un relatif anonymat pour occuper le terrain, exister, devenir si besoin le candidat promis à la victoire. Le chemin était long car Macron partait de loin.
C’est une véritable surexposition médiatique qui devait remédier à l’image. Macron sous tous les angles, dans tous les médias. Macron est choyé par les « élites » journalistiques de tout bord, démontrant ainsi, bien malgré lui, qu’entre un journal dit de droite, un autre dit de gauche, un journal officiel du matin, un autre du soir, la différence n’existe que pour le petit jeu des médias, mais pas dans les faits. Durant les deux années qui viennent de s’écouler, Macron devient la personnalité politique la plus médiatisée.
- Libération, le Nouvel Obs, le Monde, et l’Express totalisent plus de 8000 articles qui évoquent Macron entre janvier 2015 et janvier 2017, soit plus de 10 par jour !
- Comparativement, Mélenchon, Hamon et Montebourg ne totalisent ensemble sur la même période et dans les mêmes organes que 7400 articles.
- Pour l’Express, « entre courage et indignation, il incarne la modernité ».
- Pour LCI, il apporte « un air de renouveau ».
- Pour BFM il est question de « l’iconoclaste Macron ».
- Pour l’Opinion, il fera souffler « un vent de fraicheur sur un jeu politique statuffié ».
- L’idylle amoureuse, le romantisme, l’inversion des âges, son ancienne prof de français, sa preuve d’ouverture…
- Son passage chez le barbier… Une soudaine balafre… La France retient son souffle…
- Le coiffeur, la simplicité…
Macron propulsé sur l’air de « Il était un sauveur suprême… »
Tous ces efforts médiatiques avaient demandé de l’énergie, suscité des espoirs. Ils devaient d’autant plus servir que la terre se dérobait sous les pieds des « candidats naturels » à ce type d’élections. Bien avant les primaires socialistes, la popularité du chef de l’état ne lui laissait plus aucune chance pour tenter de répéter l’aventure. Hollande out ! De même le candidat naturel de la droite, François Fillon, une fois désigné à la primaire concernant son camp, se voyait rattraper par un secret de polichinelle. « L’affaire Pénélope » -les emplois fictifs et centaines de milliers d’euros- sortait de façon fort à propos pour libérer aussi de ce côté-là le terrain à un Macron dont les sponsors n’attendaient plus que ça.Le moment était venu de passer à la vitesse supérieure. En appeler publiquement au sauveur suprême, indépendamment de la crédibilité du personnage, de son envergure, de son talent pour la fonction visée. On assiste alors à un tir tendu sur le même thème :
- Christophe Barbier dans l’Express s’y colle le premier : « il est temps que macron annonce sa candidature… ».
- France culture s’interroge, commentateur inquiet : « Macron, candidat ou pas ? ».
- Le Monde prend le relai : « Macron toujours pas candidat… ».
Les médias font monter l’attente, comme si le suspens était insupportable. La Nation devrait ainsi retenir son souffle. Oui ou non le candidat fabriqué pour l’occasion viendra-t-il « nous sauver du chaos » ? France Inter, Le Monde, le Nouvel Obs évoque « l’espérance », « le candidat anti système » (sic), « la révolution démocratique » (re sic), pour conclure dans un souffle de soulagement « Macron enfin candidat ». Le jour de son officialisation, les JT du soir ne veulent se trouver en reste. Eux aussi doivent faire preuve d’allégeance, de discipline, de respect, de soumission. Le présentateur de la France 2, David Pujadas, consacre à « l’événement » 22 minutes lorsque TF1 lui sacrifie 17 minutes.
L’opération est définitivement lancée. Il faut passer au stade supérieur, celui qui fera de l’inconnu d’hier, du banquier et ministre de l’économie à la politique rejetée très majoritairement par les français, le candidat « naturel » de la cinquième république, « l’homme nouveau » qu’elle attendait avec envie.
Alors tout y passe :
- Dans le Nouvel Obs : « Macron – Nuit debout, même combat ».
- Dans le Nouvel Obs encore : « Macron contre le reste du monde politique »
- Dans Le Monde : « Macron progresse sur l’implosion du système ».
- Dans le Point : « Macron progresse encore ».
- Sur RTL : « Macron en progression ».
- Sur BFM : « La personnalité préférée des français, Macron ».
Il fallait alors scruter l’évolution. D’abord ne pas relâcher l’effort, en faire toujours autant sur le terrain de la promotion. Comme tout produit une fois installé en tête de gondole dans les supermarchés, il fallait organiser la fidélisation du public pour la marque déposée. Il fallait donc continuer avec un même acharnement. Généralement dans ce type d’élections, la presse se répartit les parts de marché. Là, tout le monde sur le même nom, la même image, le même candidat. Mais plus. Tous vont utiliser les mêmes outils. Comme il se doit le Front National et Marine Le Pen prendront la place d’épouvantail de service, montrant ainsi contre leur gré que le FN est bien un des piliers essentiels du système. « Pour éviter le mal » indique t’ils, « votez Macron ! ». Et sur les réseaux sociaux, un déchainement inouï de macronistes enthousiastes qui n’ont de mots assez durs pour toute résistance, qualifiant de « lepénistes » celui qui refuse, voire même qui se contente d’hésiter. La campagne ainsi engagée a dès lors le goût des campagnes totalitaires –avec le sourire certes, mais totalement totalitaire- d’un autre temps et d’autres lieux. Pour obtenir un score soviétique digne des républiques bananières, il faut ce qu’il faut ! Jusqu’au bout la presse aura été un élément clé de la réussite du produit Macron. Et lorsque la concurrence a semblé pouvoir menacer, alors le déchainement, avec une énergie redoublée, une détermination entière, s’est consacré à décrédibiliser l’adversaire, à le dénigrer, à faire par exemple de Jean Luc Mélenchon l’homme à abattre, de crainte que le scénario final ne soit contrarié. Pour le score plébiscitaire de Macron, il fallait que son opposant soit le Front National. La victoire large lui était alors assurée. Mélenchon, le danger pour le score mais pas seulement, pour l’élection elle-même. Alors éditorialistes, chroniqueurs, sondeurs, journalistes ont entonné le même couplet : le Venezuela, Chavez et Maduro, Cuba, Fidel Castro, … Il aura manqué 600 000 voix à Mélenchon pour battre Le Pen. C’est un ouf de soulagement qu’ont pu pousser tous les acharnés des médias. Leur entreprise macronienne l’a échappé belle !
2005 – 2017, une continuité
Il y avait eu le précédent de 2005 avec le référendum sur la constitution européenne. Nous avions alors assisté à un déferlement en faveur du OUI avec une interdiction de parole des opposants au projet constitutionnel dans la plupart des médias. Editorialistes, présentateurs, patrons de presse, tous unis alors sur une ligne commune : le traité soumis au vote des citoyens français devait passer coûte que coûte. Tout opposant, toute parole critique, seulement dubitative, était qualifiée de « lepéniste ». Rien ne devait pouvoir se mettre en travers d’un OUI victorieux sur un score totalitaire.Cette période historique et déjà peu glorieuse de la presse nationale avait été marquée par la réaction interne aux rédactions, le refus de voir bafouée la liberté d’expression. Nous étions alors une poignée à avoir pris l’initiative, au départ dans le service public, d’un texte « le NON censuré dans les médias, ça suffit ! » qui très vite allait être contresigné par des centaines de confrères, au point de devenir un événement de la campagne référendaire. Avec ses milliers et milliers de signatures accumulées en quelques jours, cette bataille interne aux rédactions et plus généralement aux organes de presse allait peser, jusqu’à la victoire historique du NON qui déjouait la volonté des puissants, de l’oligarchie qui possède dans ses mains le pouvoir politique, économique et médiatique.
On croyait donc avoir touché le fond. La démocratie avait été menacée, mais le résultat l’avait sauvée. Les oligarques dans leur ensemble avaient été défaits et pour avoir gain de cause, ils devaient s’en remettre aux élus socialistes et UMP pour obtenir au congrès à Versailles ce que le peuple avait rejeté. La presse avait montré qu’elle était fortement gangrénée. Les plus optimistes ont voulu croire au lendemain de la victoire du NON que le monde des médias avait tiré le bilan. L’affaire Macron montre qu’il n’en n’est rien et qu’il suffit de la moindre occasion –là les présidentielles- pour que tout soit mis en œuvre au compte des intérêts politico-financiers d’une petite frange qui possède presse, radio ou chaines de télévision… sans oublier le public.
Là se trouve le lien entre deux évènements qui à première vue semblent bien distincts. La presse se trouve dans les mains d’une oligarchie politico financière qui sait mettre ses atouts à son service. La politique que Macron compte mettre en œuvre permet de comprendre ce travail minutieux des médias qui en ont fait leur candidat. Les patrons de presse, qui sont de grands patrons de l’industrie, du Cac 40 ou des banques, sont attachés aux retombées sonnantes et trébuchantes attendues du nouvel élu. Lorsque Emmanuel Macron annonce la destruction définitive du code du travail par ordonnances dès l’été, il leur parle. Lorsqu’il annonce la privatisation à venir de pans entiers de la sécurité sociale, il leur parle. Lorsqu’il prévoit la diminution des pensions par l’instauration des retraites par points, et donc l’ouverture plus grande encore aux assurances privées de ce secteur, il leur parle. Lorsqu’il se réclame de l’ubérisation générale de la société, il leur parle. Lorsqu’il prévoit la suppression de ce qui nous reste de souveraineté nationale face à l’UE, il leur parle encore. Et lorsqu’il indique la volonté de signer le CETA, accord commercial de déréglementation avec les USA, ou encore de prendre toute sa place dans l’OTAN, ce qui n’a d’autre sens que d’appuyer les opérations guerrières dans le monde au nom du combat anti terroriste, il leur parle toujours.
Les oligarques, les patrons de Cac 40, les banquiers et patrons de la finance à qui il parle l’entendent. Et comme ce sont eux les patrons de presse….
Cette affaire met à jour une véritable question démocratique. Il y a plus de 70 ans, le conseil national de la résistance plaçait dans son programme « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ; la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’état, des puissances d’argent et des influences étrangères ».
Il y a 70 ans, c’était hier, c’est aujourd’hui…
Jacques Cotta
Le 13 mai 2017
Le blog de Robert Duguet : " Source : La Sociale, http://la-sociale.viabloga.com/news/la-fabrication-du-produit-macron-et-la-soumission-de-la-presse"