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La fin programmée de l'école publique

Par Denis Collin • École • Dimanche 27/11/2011 • 1 commentaire  • Lu 3726 fois • Version imprimable


Ainsi l’UMP lors de sa convention consacrée aux questions de l’éducation a-t-elle décidé de reprendre à son compte les propositions défendues par une de ces officines de la droite la plus radicale, l’IFRAP qui propose ni plus ni moins que la destruction de l’école publique et la fin du statut de fonctionnaire des enseignants (voir Le Monde). Chatel, déjà connu pour sa réforme catastrophique du lycée, s’est engagé dans cette voie avec sa proposition de réforme de l’évaluation des professeurs. En instituant un jour de délai de carence pour les congés maladie, la majorité UMP a commencé d’appliquer une des mesures préconisées par l’IFRAP, savoir trois jours de carence et la limitation des indemnités journalières à 60% du salaire. Mais l’UMP va plus loin.

  • Fin du recrutement de fonctionnaires en créant un nouveau corps de professeurs en CDI ;

  • annualisation du temps de travail ;

  • autonomie des chefs d’établissements qui pourraient décider eux-mêmes des recrutements des professeurs en fonction du projet d’établissement ;

  • augmentation des obligations de service (+2 heures hebdomadaires pour tous les corps)

  • mise sur le même pied de l’enseignement public et de l’enseignement privé de telle sorte que les parents puissent choisir indifféremment le public ou le privé.

Et il faudrait détailler toutes les mesures, notamment celles qui figurent dans le document de l’IFRAP.

L’objectif est clair : une privatisation intégrale de l’école … qui cependant resterait financée par l’État. L’IFRAP émargeant sur fonds publics sait bien d’où vient la manne et tous ces parasites « libéraux » s’y entendent pour piller le produit de l’impôt pour mieux faire passer leur prétendu libéralisme.

Ce tournant net contraste avec le programme de Darcos de 2007 qui maintenant fait presque figure de programme de gauche ! Cela demande quelques explications.

Il y a un aspect, le moins important, qui concerne la tactique électorale : menacés de débâcle lors des élections du printemps prochain, les chefs de la droite ont décidé une radicalisation sur presque toutes les questions qui les fait se situer maintenant à la droite du Front National. Constatant que les nostalgiques espagnols du franquisme viennent de l’emporter largement sur un programme de massacre des classes laborieuses, l’UMP risque cette stratégie. Et beaucoup se disent d’ailleurs que si ça ne porte pas chance à Sarkozy, cela pourra leur servir dans l’opposition et pour l’échéance de 2017 qui est l’unique obsession de Copé. Néanmoins, ça peut marcher. Il y a deux sujets sur lesquels on peut exciter toutes les rancoeurs et les ressentiments : les immigrés et les enseignants. Dépourvus de tout sens moral et de toute idée de l’intérêt national, les porte-parole des banquiers, des spéculateurs et des fraudeurs du fisc que sont maintenant dans leur majorité les députés UMP, sont prêts à actionner cette machine électorale.

Il y a un deuxième aspect : ce que demandent l’IFRAP et l’UMP ne fait que relayer les exigences qui se manifestent régulièrement au niveau de l’Union européenne, notamment dans ces institutions officielles du lobbying bruxellois comme l’ERT (European Round Table) qui demandent depuis longtemps la fin du service public de l’enseignement, l’introduction massive du privé dans un secteur potentiellement juteux et la soumission idéologique des contenus de l’enseignement aux intérêts des capitalistes qui veulent investir le secteur. On peut avoir des informations et des études détaillées de toutes ces questions sur le site « L’école démocratique ». Mais ici, il n’est plus question de droite ni de gauche, car les technocrates des deux grands partis du parlement (?) européen oeuvrent ensemble dans la même voie. Ce qui explique que l’équipe de campagne du PS ne soit guère saisie de la question pour attaquer le candidat Sarkozy.

Le troisième aspect concerne la question centrale qui est celle du statut des enseignants et notamment des décrets de 1950 qui le définissent. Par petites touches le statut est attaqué depuis plusieurs années :

  • en mettant en cause la notion d’obligations de services (les professeurs n’ont pas des horaires mais des obligations de service) avec le développement prodigieux de la réunionite et l’accumulation des tâches administratives plus ou moins farfelues – le ministère de l’Éducation Nationale dans ses méthodes de mise au pas des professeurs a un modèle : feu le Gosplan soviétique.

  • En multipliant les obligations de service hors du champ direct de l’enseignement ; on pense ici à tous les gadgets qui encombrent l’année scolaire et rendent de plus en plus difficile l’exercice de ce métier dans lequel il faut maintenant se battre pour pouvoir continuer de faire cours.

  • En disloquant les programmes et en rognant progressivement la liberté pédagogique des professeurs qui doivent de plus en plus se soumettre à des cahiers des charges qu’il faut suivre à la lettre. On commence même à proposer des cours « prêts à l’emploi » qui transforment le métier de professeur en répétiteur.

Or l’UMP n’est pas seule à vouloir casser le statut des enseignants. Le PS y est largement favorable et la nomination de Vincent Peillon comme porte-parole de Hollande dans les questions d’éducation n’est pas du tout un bon présage. Notons également que les deux syndicats les plus directement liés au PS, le SGEN-CFDT et l’Unsa se prononcent pour un changement profond du statut. "On était prêt à débattre du changement du statut, d'inclure d'autres modalités dans notre service mais à condition que cela se traduise en diminution du service face aux élèves. Là, on a bien compris que c'est en plus", déplore Patrick Gonthier (Unsa Education)."Nous sommes pour une évolution du statut", renchérit Thierry Cadart (Sgen-CFDT), mais "pour nous, la reconnaissance de ces nouvelles tâches doit s'accompagner d'une baisse des obligations de services en termes de face-à-face pédagogique classique". (Le Monde, AFP 9/11/2011) Le discours classique de ceux qui sont déjà prêts à avaler l’essentiel et ne chipotent plus que sur les détails.

Il y a un dernier aspect, qui n’est pas le moindre et ne porte pas seulement sur les conditions de travail et les protections des enseignants, mais directement sur la question de la place de l’instruction publique et du savoir. Ce que l’on voit se développer depuis plusieurs années, ce n’est pas seulement une offensive sur les statuts mais une offensive contre l’école en général et contre les professeurs en tant que représentants du savoir. Les discours haineux contre ces paresseux de « profs » – pourquoi d’ailleurs toujours cette abréviation : on pourrait aussi appeler les consultants « cons », non ? – visent à saper leur autorité aux yeux des élèves. Là aussi, droite et gauche y ont apporté leur pierre notamment par cette figure typique de la gauche passée à droite qu’est M. Allègre. Le savoir et l’autorité du savoir n’ont plus de place dans une société où la seule valeur qui compte est la valeur instrumentale. Parfois, on croit qu’il suffirait de relever les salaires notoirement bas des professeurs pour redonner un peu de lustre à ce métier de plus en plus déserté par les jeunes (la baisse des inscrits aux concours se confirme encore cette année). C’est prendre le problème à l’envers. Si les professeurs sont mal payés, c’est tout simplement parce que la société du fric méprise fondamentalement la culture et les savoirs rationnels ayant une valeur objective. Et c’est cette question-là qu’il faut creuser si on veut comprendre véritablement la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous y reviendrons.


 


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