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En déplacement à Saint-Dizier en Haute-Marne, Nicolas Sarkozy a abordé mardi 20 octobre « la réforme des collectivités territoriales » inspirée des travaux du comité Balladur. Parmi les annonces mises en exergue, la création de la fonction de conseiller territorial amené à siéger à la fois à la région et au département. En un mot, 3000 élus qui remplaceraient les 6000 conseillers généraux et régionaux actuels. Une annonce faite avec un brin de démagogie, notamment sur les économies engendrées par la diminution de nombre d’élus, qui aura du mal à cacher le fond de la réforme. Nous sommes à la veille d’une remise en cause profonde de l’édifice républicain issu de la révolution française.
Le contenu de la réforme
L’annonce concernant «les conseillers territoriaux » en lieu et place des conseillers généraux et régionaux n’est qu’un aspect de « la réforme des collectivités territoriales », sans doute le plus explicite, mais dont l’importance surgit au regard du dispositif d’ensemble que veut imposer le président de la république.
1-Il est prévu la suppression de la compétence générale permettant aux départements et régions d’intervenir dans n’importe quel domaine pourvu qu’il soit jugé d’intérêt local.
2-La répartition des nouvelles compétences entre régions et départements devra être achevée dans un délai de 12 mois après la promulgation de la nouvelle loi.
3-Il est prévu le regroupement de départements et régions.
4-Les agglomérations de 450 000 habitants auront un statut de métropoles « pour avoir un poids européen ».
5-Enfin, mesure indissociable concernant le territoire, la disparition de la « taxe professionnelle », principale source de revenu des communes, et donc une asphyxie financière organisée avec fin de toute autonomie fiscale.
Derrière ces mesures se profile de fait la fin des départements et pour certaines, la mort des communes. Tout y concourt en effet : la fin de la compétence générale, le regroupement départements régions, la volonté de coller à l’Europe des régions avec la constitution des agglomérations, et la fin du financement en éliminant la «taxe professionnelle », principale source de revenu liée à l’établissement des industries locales. En ajoutant à cela l’affirmation du préfet de région comme le véritable patron, le préfet de département étant ramené à un rang auxiliaire dans la Réforme Générale des Politiques Publiques, on perçoit les véritables intentions gouvernementales derrière des propos compliqués à loisir.
Dans le meilleur des cas, les départements, qui n’auront plus aucune latitude pour exercer des choix politiques, perdront leur raison d’être et seront transformés en agences de l’état dont le rôle principal sera la distribution de prestations sociales. Quant aux communes certaines résisteront, mais d’autres disparaitront au profit de grandes intercommunalités construites sous l’autorité des Préfets.
Retour sur la question électorale
Avant de revenir sur la cohérence politique de cette réforme territoriale, sur les buts recherchés, et surtout sur son origine qui n’épargne personne, ni gauche, ni droite, un détour par la question électorale donne l’ampleur du débat, et des méthodes en cours sous le règne de Nicolas Sarkozy. Il est prévu que les conseillers territoriaux seront élus dans les cantons au scrutin majoritaire uninominal à un tour, 20% des sièges étant répartis à la proportionnelle.
Une première conséquence est la bipolarisation de tels scrutins. Dans la situation d’émiettement de l’opposition, la forme même de désignation des conseillers territoriaux assure une majorité confortable et durable au parti présidentiel. Ainsi, l’opposition, notamment le parti socialiste, risque fort au niveau local d’être éradiqué dans bon nombre d’endroit. Pour les autres formations qui auraient l’ambition de s’affirmer comme une relève possible, à la « gauche de la gauche » notamment, la réforme risque fort de rendre la tâche plus illusoire encore que ce qu’elle peut paraître en l’état actuel.
Une seconde conséquence concerne plus directement la méthode mise en œuvre, inquiétante sur la question simplement démocratique. Le Président de la République a beau s’en remettre à Léon Blum et évoquer « une proposition en 1926, reprise en 1972 dans le programme socialiste » pour faire passer la sienne aujourd’hui, il n’empêche.
Le 15 octobre, le conseil d’état, consulté sur le projet de réforme, a indiqué concernant l’élection de ces fameux « conseillers territoriaux » que « le mode de scrutin projeté pour cette désignation est de nature à porter atteinte à l’égalité comme à la sincérité du suffrage ». Avant de poursuivre : « ce mode de scrutin peut permettre qu’une liste ayant recueilli au niveau régional moins de votes qu’une autre puisse néanmoins recueillir plus de sièges qu’elle ».
En d’autres termes, cela signifie que la plus haute instance de la Nation déclare ce projet de loi illégal, contraire aux principes constitutionnels. Aussi, comme si de rien n’était, le président décide de passer outre et de l’imposer tout de même, mettant sa propre notion de la légalité au dessus de toute autre considération. Ne s’agit-il pas là de la volonté de réaliser tout bonnement un coup d’état « à froid » certes, sans armée dans la rue, mais un coup d’état tout de même ?
Commentant le discours présidentiel, le président du groupe socialiste à l’assemblée nationale, Jean Marc Ayrault, a indiqué que « le seul problème de monsieur Sarkozy, c’est la continuation du redécoupage électoral » avec un découpage des cantons qui soit «favorable à l’UMP avec en plus un scrutin à un tour. C’est ça l’essentiel de la réforme territoriale ». Vision pour le moins limitée de la réforme gouvernementale. Limitée et assez confortable de la part du chef des députés socialistes. Car l’essentiel est là, mais ailleurs aussi. Dans les buts réellement recherchés, et les intérêts servis. Ce qui nous ramène succinctement à quelques années en arrière, et aux responsabilités que les diverses majorités qui se sont succédées, dont les majorités de gauche, portent dans la situation qui éclate au grand jour. Car une question se pose : Nicolas Sarkozy a-t-il tout inventé ? Ou n’a-t-il été qu’au bout d’un chemin, certes avec obstination et sans état d’âme, mais tout simplement au bout d’un chemin tracé par ses prédécesseurs ?
Union sacrée
La réforme présentée sur « les collectivités territoriales » est l’aboutissement d’une obsession guidée au nom de « la lutte contre les déficits » contre l’état qu’il s’agit de réduire à sa plus simple expression en ouvrant au privé les secteurs qui sont encore dans le giron public.
C’est sans doute le président de l’assemblée nationale, Bernard Accoyer qui dégage le mieux cette cohérence en déclarant, la veille de l’allocution présidentielle de Saint-Dizier, que « les collectivités locales procédaient à quelques 30 000 embauches par an » alors que « l’état et c’est douloureux, et c’est difficile, s’emploie à réduire les emplois dans la fonction publique ». « C’est un effort courageux de la part de l’Etat » a-t-il poursuivi, « et tout le monde doit diminuer ses dépenses », avant de conclure « on a besoin d’une réforme profonde pour diminuer les dépenses des collectivités locales ».
Mais en quoi cette cohérence a-t-elle quelque chose de nouveau au regard des années écoulées. La chasse aux dépenses, aux services publics, à la fonction publique, est en effet un souci partagé et affirmé par tous les gouvernements depuis plus de 30 ans. Nicolas Sarkozy ne fait que reprendre cette vieille rengaine en la mettant à sa sauce.
-> En 1974, c’est en effet Raymond Barre, alors premier ministre, qui engage une politique de rigueur et d’austérité qui conduira à la victoire historique de François Mitterrand le 10 mai 1981.
-> En 1982 – 1983 celui qui affirmait au congrès d’Epinay que celui qui ne « veut rompre avec le capitalisme, celui là ne peut être adhérent du parti socialiste » décidait de suivre l’orientation de Jacques Delors et Pierre Mauroy d’ouverture européenne aux marchés financiers, inaugurant les plans de rigueur qui permettront à Jacques Attali d’expliquer qu’en 83 tout ce qui avait été accordé depuis 1981 allait être repris. Privatisations, désindexation des salaires sur les prix, puis blocage des salaires, augmentation des tarifs de base pour les citoyens sont mis à l’ordre du jour.
-> En 1986, c’est le premier ministre Pierre Bérégovoy qui s’engage dans un véritable bing bang boursier en déréglementant les marchés financiers.
-> En 1988, c’est l’Europe qui devient la pierre d’achoppement. Les partis sont traversés. Le parti socialiste va pencher pour le vote Oui au traité de Maastricht, épousant le tournant qui légitime la concurrence libre et non faussée inscrite dans le traité de Rome. L’accent est alors mis sur les services publics dont le sort va se nouer dans les années qui suivent. Evidemment, la gauche dira non aux privatisations successives. Mais elle aura créé les conditions politiques au démantèlement des entreprises publiques, aux ouvertures de capital, à la déréglementation, et en fin de compte à leur privatisation.
-> Et il y a les privatisations en cascade opérées par tous les gouvernements, au nom toujours de la chasse aux déficits. Parmi ceux qui se succèdent, celui de Lionel Jospin se distingue…
-> En 2001 apparait la « LOLF », la « loi organique relative aux lois de finance » dont la philosophie est sans ambiguïté. Entrée pleinement en vigueur le 1er janvier 2005, la LOLF est en fait l’outil de la réforme de l’Etat, de la décentralisation, de la régionalisation. Les administrations en sont le cœur de cible. Il s’agit de passer d’une «logique de moyens à une logique de résultats». Nul ne votera contre cette loi. Le parti socialiste et l’UMP voteront pour, les communistes se contentant de s’abstenir. Dans son rapport d’information au Sénat, le 9 juillet 2003, « Mise en œuvre de la Loi Organique relative aux Lois de Finances », Jean Arthuis note que « le vote de la LOLF a été marqué par une quasi-unanimité, et sa mise en œuvre témoigne de la continuité de la volonté de réforme après un changement de majorité. Le thème de la réforme de l'Etat, semble désormais faire l'objet d'un quasi-consensus au sein des principaux partis politiques ».
-> C’est alors qu’en 2007, Nicolas Sarkozy donne sa touche personnelle au consensus qui s’exprime depuis plus de 20 ans. C’est la « RGPP », la réforme générale des politiques publiques, dont l’objectif est de tailler dans les missions de l’état, dans ses services, ministère par ministère, décrétant la règle des fonctionnaires partis à la retraite non remplacés. Nous sommes dans l’adaptation particulière de la LOLF que tous ont approuvé quelques années avant, à l’exception de l’abstention et non d’une opposition du parti communiste. Avec de nouveaux budgets ministériels, une nouvelle comptabilité, des modes de gestions et de contrôle nouveaux, on glisse subrepticement vers une privatisation rampante de l’Etat.
La LOLF comme la RGPP organise le territoire comme l’entend l’union européenne, c'est-à-dire sur la ligne qui lui est chère de l’Europe des régions. C’est une adaptation géographique aux exigences du capital et de la mondialisation qui doit faire voler en éclat les Nations et réduire à leur plus simple expression les Etats. C’est dans cette direction que s’inscrit très précisément la réforme des collectivités territoriales présentée par le président de la république le 20 octobre dernier. Ainsi, les fameuses métropoles « seront créées sur le principe du volontariat » indique le Nicolas Sarkozy en distinguant deux types : Les métropoles d’un seul tenant qui pourront exercer sur leur territoire une grande partie des compétences du département et de la région » et « les métropoles multipolaires ou pôles métropolitains », un statut qui devrait permettre à des villes pas forcément limitrophes « de mutualiser des moyens et des compétences, spécialement pour le développement économique et l’attractivité du territoire ».
L’architecture proposée, la réduction de l’état, la négation du département, la mise à mal des petites communes, la toute puissance du préfet de région sur le préfet de département, voila autant d’éléments qui permettent de conclure la fin de l’égalité républicaine assurée par l’Etat sur le territoire national.
Conclusion provisoire
On voit bien que la question électorale, l’arrivée des conseillers territoriaux en lieu et place des conseillers généraux et régionaux, les manœuvres politiciennes qui visent à réduire l’opposition à la portion congrue, voire à la faire disparaitre, ont certes une grande importance, mais ne saurait résumer la réforme des collectivités territoriales de Nicolas Sarkozy.
Cette réforme écarte les citoyens des choix, les éloigne des centres de décision, les écarte de leurs élus, au profit d’un pilotage venu du haut et la mise en place d’une concurrence entre régions et métropoles dans le cadre européen.
Il y a dans cette réforme une rupture avec le modèle social français issu de la résistance au profit du capitalisme, des capitaux mondialisés. Et il y a également rupture avec son modèle politique né de la Révolution et de la fondation de la République.
Rappeler que cette réforme s’inscrit dans une continuité qui implique toutes les formations politiques, et tous les leaders, permet de remettre les réalités à leur place. Il ne sert à rien de fustiger la politique présidentielle si la critique s’arrête à sa propre porte. Il s’agit juste, à un moment donné, parce que la situation l’exige, d’en appeler à la responsabilité collective et individuelle pour que le bilan du passé, tiré dans le débat sans sectarisme, mais en toute clarté, soit gage d’un avenir prometteur.
Cette réforme que d’aucuns voudraient contenir dans le champ de la technique souvent incompréhensible par les non spécialistes, est en fait très claire, et nécessite que les citoyens en fassent leur affaire. Pour le leur permettre, les formations politiques, syndicales et associatives, les personnalités attachées aux valeurs républicaines et à la République elle-même ont-ils d’autre alternative que d’en appeler au peuple afin qu’il fasse entendre sa voix. Vu l’enjeu, il y a là une question démocratique élémentaire.
Jacques Cotta
Le 25 octobre 2009
Bravo Jacques pour cette analyse. Cette réforme et tute l'actualité de ces dernières semaines, montrent et démontrent le danger que fait courir le président à la démocratie. Comment les oppositions ne comprennent-elles pas la nécessité de s'unir pour battre ce régime qui nous conduit droit dans le mur????? Ah si les responsables pouvaient prendre conscience du danger que court la République et les LIBERTES individuelles et collectives! Encore bravo pour ton analyse