Ce projet s’ordonne sur trois axes :
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rendre possible les suppressions massives de postes de professeurs et leur remplacement éventuel par des contractuels recrutés à l’aide du nouveau « master pro » enseignement que Mme Pécresse vient d’imposer ;
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procéder à la destruction de ce qui reste des « humanités » au lycée, et ce en conformité avec les promesses du président pendant la campagne de 2007.
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accentuer le chaos qui rend peu à peu des établissements ingérables, en attendant le moment où la privatisation de l’enseignement s’imposera comme la seule solution face à un enseignement public totalement délabré.
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En ce qui concerne le premier point, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans toutes les disciplines, on diminue les horaires. La réforme est présentée comme permettant de redonner aux filières leur profit propre en rendant les S plus scientifiques et les L plus littéraires. Mais comme pour tous les discours gouvernementaux, il faut entendre exactement le contraire de ce que les mots veulent dire dans le langage ordinaire. Renforcer le caractère scientifique de la S revient à supprimer de très nombreuses heures d’enseignement. Le projet ne prévoit pas d’enseignement de culture scientifique pour tous et remplace en seconde des enseignements de détermination scientifiques et technologiques de 3h par un seul enseignement d’exploration de 1,5h. La structure proposée en première scientifique entraîne la perte de 4,5h d’enseignement scientifique : 1,5h en sciences physiques et chimiques (33 % de l’horaire actuel), 1h en sciences de la vie et de la Terre (25 %), 1h en mathématiques (20 %) et 1h de travaux personnels encadrés (50 %). Ces diminutions ne sont pas compensées en terminale. Notons que, dans le même temps qu’on rabote les horaires de sciences pour les scientifiques, on supprime purement et simplement les mathématiques pour les premières L ainsi que la spécialité « mathématiques » pour les terminales L – une spécialité, il est vrai, en survie difficile après qu’Allègre l’a une première fois supprimée en 2000. En ce qui concerne le renforcement du caractère littéraire de la L, Sarkozy avait promis plus de langues. Résultat: une heure en moins en 1ère et une heure en moins en terminale. Et pour bien affirmer le caractère littéraire de la L, la littérature passe de 4 à 2 heures en terminale !
Ces diminutions massives d’horaires permettront, n’en doutons pas, de justifier les suppressions de poste déjà programmées en vertu de la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. D’autant que nous n’en sommes qu’à la phase 1 de la réforme du lycée. On peut encore tailler dans le vif dans les séries technologiques qui, pour l’heure, échappent encore à la hache réformatrice. Sans parler de la « réforme » du collège dont le tour viendra si rien ne vient enrayer cette machine infernale.
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La destruction de l’enseignement classique, du lycée des « humanités » est engagée depuis bien longtemps. Cet enseignement classique, marque de la distinction aristocratique et repris par la bourgeoisie ascendante, est considéré aujourd’hui comme une entrave insupportable à la transformation de l’instruction en machine à formater des esprits « employables » et soumis aux impératifs de la rentabilité capitaliste. Le président hait la littérature. Son aversion pour Mme de Lafayette et La Princesse de Clèves est dans tous les esprits. On se souvient moins que, pendant la campagne électorale, il avait dénoncé l’enseignement des langues anciennes comme un luxe qui devait être réservé à ceux qui pouvaient se le payer mais que la république ne devait plus financer. Le résultat est là: dans la réforme Chatel, les langues anciennes ne sont des disciplines optionnelles que pour les séries littéraires, lesquelles ne regroupent que 10% des élèves. Alors que les séries S qui attirent souvent les meilleurs élèves sont celles qui aujourd’hui ont le plus d’élèves étudiant le latin et le grec, avec la réforme Chatel, cela ne sera plus possible.
Que ce « détail » ait échappé à la plupart des observateurs en dit long sur le degré de résignation, d’abandon et même de capitulation en rase campagne auquel nous sommes arrivés. La suppression de l’histoire-géographie en terminale n’est que le complément de cette mesure ravageuse, par laquelle nos gouvernants crachent sur le passé, sur les fondements de notre civilisation. Cela permet également de comprendre la réalité du prétendu débat sur l’identité nationale, un simple miroir aux alouettes pour capter les voix des racistes et des gros benêts xénophobes, les piliers de comptoir et tutti quanti à qui l’on donne un os « nationaliste » à ronger, pendant que l'on organise la liquidation pure et simple de la culture française, latine et grecque, au profit de la dictature totalitaire du capital qui ne parle aucune langue sinon le sabir des salles de marché et l’anglais d’aéroport.
Chatel, cadre commercial d’une multinationale, Lagarde, cadre financier d’une société américaine, Bachelot, ancienne représentante d’une multinationale de la pharmacie et Sarkozy « l’Américain », celui qu’on voit courir en maillot aux couleurs du district de police de New-York : voilà quelques représentants de ce « parti de l’étranger » que Jacques Chirac dénonçait jadis dans son « appel de Cochin » (1976) et c’est ce « parti » qui gouverne la France au profit de l’Empire. Voilà la raison politique profonde de l’entreprise de destruction des humanités. Car la culture classique, cet « éducation libérale » dont parlait Léo Strauss, celle qui nous invite à « écouter la conversation des grands esprits » et à apprécier « les belles choses », est devenue antinomique avec les exigences d’un monde d’où l’esprit a été chassé et où chacun est condamné à nager dans les eaux glacées du calcul égoïste. Rosa Luxemburg affirmait que l’alternative est « socialisme ou barbarie ». Les barbares sont déjà au pouvoir.
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Dans un numéro de 2003 de la revue « Agone », Franck Poupeau et Sandrine Garcia analysent ce qu’est « l’école de la remédiation » qu’on veut mettre en place: « Il suffit à l’État d’organiser la dégradation du service public pour que s’établisse une bipartition entre privé et public, faisant du premier un service éducatif payant et du second un lieu de gestion des plus démunis en capital économique et culturel. Ainsi, le compromis entre les forces économiques et l’État pourrait bien s’établir en laissant aux premières les écoles privées dont elles disposent déjà, au moins jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, et l’enseignement en ligne pour le supérieur non obligatoire, des entreprises spécialisées dans l’éducation pouvant fournir les deux. Le service public d’éducation gardera ceux dont le marché ne veut pas et sans doute quelques formations vraiment sélectives, gratuites ou subventionnées, afin que l’élite de la nation puisse continuer à se reproduire, et cautionner à son tour ce fonctionnement du système d’enseignement. » Le lycée Chatel est la mise en œuvre de ce programme puisqu’il est centré sur la « remédiation », les heures de soutien individualisé, les projets pédagogiques d’établissement et toutes les calembredaines de l’éducation à la mode qui fut longtemps l’apanage de la gauche, notamment de la direction de la FEN (devenue UNSA) et du SGEN-CFDT, rejoints par la FCPE, organisation des parents de la classe moyenne supérieure qui veulent toujours moins d’école pour que leurs rejetons aient le temps de fréquenter les multiples formes d’instruction privée ou associative que les villes mettent à leur disposition.
Le résultat de tout cela est connu. Le partage des heures et des modules, soumis dans chaque établissement au « conseil pédagogique », va être l’objet d’une foire d’empoigne entre les professeurs des différentes disciplines et chacun trouvera de bonnes raisons pour réclamer pour lui les heures « généreusement » mises à disposition de l’établissement par le ministre qui sera débarrassé de tout souci de gestion : tout se passera au niveau de l’établissement. Le professeur de langues essaiera de compenser les heures perdues en 1ère et Terminale en prenant du « soutien » à son collègue d’histoire, le professeur de philosophie cherchera a anticiper le recul annoncé des L en offrant ses services à tous les niveaux, et ainsi de suite.
La multiplication des options autour d’un tronc commun en première va rendre les emplois du temps de plus en plus difficiles à faire. Le cadre de la classe va finir d’exploser – et par la même occasion celui du conseil de classe. Dans ce chaos annoncé, ne resteront, selon le dogme libéral, que des relations interindividuelles, le directeur d’établissement face à chaque professeur, les professeurs les uns face aux autres et seuls face à des élèves avec lesquels ils seront dans des relations purement individuelles, des relations entre le client et le prestataire de service, et on sait bien que dans ce cas, le client est roi. Le processus de « désinstitutionnalisation » analysé par Pierre Legendre va faire un grand bond en avant, un bond dans le vide. Dans ce monde du sujet-roi, souverain absolu, dans ce monde où le tiers, le savoir garanti par l’institution aura disparu, nous serons tout prêt de la guerre de chacun contre chacun. Pour le plus grand bonheur de la caste gouvernante et de la ploutocratie qu’elle représente.
Ainsi, la suppression de l’histoire-géographie doit être conçue comme l’analyseur de la réforme et non comme un motif de protestation isolé de l’ensemble de la réforme. Ce qui est en cause, ce n’est pas la restauration de l’histoire-géographie en terminale S mais l’abandon pur et simple de la réforme Chatel, comme le demande la déclaration commune Sud, Cgt, Fo, Fsu, Snetaa, etc. et cela demandera demain qu’on ne s’en tienne pas aux déclarations ronflantes et au carnaval des journées d’action de 24 heures. La question est d’une manifestation nationale, d’une montée générale sur Paris pour obtenir la reddition du ministère, comme en 1994 le million de manifestants avant fait plier Bayrou.
Cette réforme entre dans le cadre de la réforme du lycée afin d'améliorer l'orientation des élèves et permettre la réorientation jusqu'en classe de première créer deux heures hebdomadaires "d’accompagnement personnalisé" et revaloriser la filière littéraire. A cet effet, les élèves de seconde suivront deux "enseignements d’exploration" dont l’un portera obligatoirement sur l’économie. En classe de première, les élèves suivront des enseignements communs à toutes les filières (deux langues vivantes, histoire et géographie, français) et composés des mêmes programmes. En terminale, les élèves de la filière littéraire recevront de nouveaux enseignements portant sur le droit et les grands enjeux du monde contemporain. En outre, l’enseignement de l’histoire-géographie ne sera plus obligatoire en terminale S. La réforme doit entrer en vigueur à la rentrée 2010 pour la classe de seconde, 2011 pour celle de première et 2012 pour la terminale.
Il apparaît donc que l'enseignement de l'histoire et de la géographie n'est plus obligatoire mais non supprimé selon mes informations, ce qui n'est pas la même chose. L'Union Nationale Lycéenne, premier syndicat lycéen a exprimé des inquiétudes et à lancé une pétition contre cette suppression potentielle de l'histoire et de la géographie. Or pour sa secrétaire Clara Paul-Zamour le but poursuivit par cette suppression serait tout simplement économique ce que je partage entièrement afin de supprimer des professeurs. Comme je l'avais écrit dans le papier que j'avais présenté à "La Sociale" "L'inhumaine suppression des postes", non publié comme les précédents, il s'agit de supprimer 16.000 postes en 2010. Cet avis est aussi exprimé par la Fédération Indépendante Lycéenne "La place de l'histoire-géographie en classe de terminale S n'est pas le sujet le plus important de la réforme de l'Éducation".
Pour Luc Châtel l'argumentaire est que les lycéens se consacrent plus aux matières scientifiques maths, sciences et physique et qu'ils se préparent plus à l'enseignement supérieur. Or, ces matières n'ont jamais été un frein à la préparation des concours aux grandes écoles ou le Français est la discipline qui bien souvent fait la différence au concours, bien au contraire, elles forment le bagage du lycéen scientifique qui par suite de cette orientation est moins à l'aise en culture générale qu'un littéraire. En outre, quand l'on sait que la compréhension politique de notre société ne peut se faire sans la connaissance de notre histoire et de notre géographie conséquence de l'histoire qui la faite, on ne peut s'empêcher de condamner cette orientation.
Or cette réforme est soutenue par Luc Châtel qui proclame que l'on ne supprime pas le programme de l'histoire géo en terminale scientifique qui pour lui il s'agit seulement d'universitaires inquiets. Le directeur de Sciences-Po Paris, Richard Descoings, soutient également la réforme puisqu’il en est à l’origine. Dans son rapport remis en juin à Nicolas Sarkozy, il considérait que «l'excessive généralité de la série S porte atteinte aux besoins d'élèves puis d'étudiants dotés d'un véritable maîtrise scientifique.» Richard Descoings juge la filière S actuelle trop «élitistes et généraliste», empêchant la formation de scientifiques en France. Les syndicats SGEN-CFDT et SE-Unsa, les syndicats lycéens ainsi que les parents d'élèves (FCPE et Peep) n’ont pas non plus critiqué la réforme sur le point de l’histoire-géographie. La Peep dénonce au contraire le «corporatisme» des enseignants d’histoire-géographie qui veulent garder leurs heures de cours au détriment de «l'intérêt des élèves».En outre, l'Association des professeurs de mathématiques et de sciences physiques relèvent que les élèves de terminale S devraient perdre chaque semaine une heure de Sciences et vie de la Terre (SVT), une heure et demie de physique-chimie et une heure de mathématiques, quand ils ne gagneront qu'une demi-heure de maths en plus en terminale.
Il est évident que tout ceci n'est que de la pure élucubration et que le seul but est politique dans la droite ligne des réformes voulues par Sarkozy. De plus, je nai pas lu et entendu que la gauche soutenait cette suppression, je ne comprends donc pas l'allusion faite par l'auteur de cette note laissant supposer par ce que des organisations comme le FCPE d'obédience de gauche que celle-ci soutenait cette réforme. Ce qui est paradoxal est le fait que chaque ministre de l'éducation nationale soit contraint par je ne sais quelle obligation de perturber cette formidable institution laïque Française.