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Laïcité : une raison de plus de voter Mélenchon le 23 avril !

Une tribune de Henri Pena-Ruiz et Jean-Paul Scot

Par la-sociale •  • Mardi 18/04/2017 • 0 commentaires  • Lu 1749 fois • Version imprimable


          La laïcité est un principe de droit politique qui assure indissociablement la liberté de conscience, l’égalité de traitement des convictions spirituelles, et l’orientation de la puissance publique vers le seul intérêt général. En phase avec le triptyque républicain, elle garantit la liberté de culte, mais aussi la liberté de pensée de tous les êtres humains, égaux en droits. Surtout elle fonde une émancipation individuelle et collective universelle en découplant la loi civile et la loi religieuse. Une loi religieuse trop souvent solidaire du patriarcat qui opprime les femmes et de traditions rétrogrades qui réduisent la sexualité à la procréation, véhiculent l’homophobie et stigmatisent l’ humanisme athée ou maçonnique. La défense et la promotion  de la laïcité doivent donc prendre toute leur place dans les choix déterminants que nous avons à faire dès le 23 avril.

          Charlie Hebdo a demandé à tous les candidats de s’engager par écrit à « ne pas modifier la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité », à ne pas introduire des « aménagements particuliers à l’égard d’une communauté religieuse » et à ne pas tenter de rétablir le « délit de blasphème » aboli en France depuis 1789. Tous ceux qui ont répondu ont promis de défendre la laïcité. Mais nous ne sommes pas tenus de les croire sur parole car parfois leurs programmes et leurs actes contredisent leurs engagements écrits, que nous saurons rappeler à l’occasion.

          Marine Le Pen, qui n’a eu la révélation laïque qu’en 2011, prétend non seulement défendre mais encore « promouvoir la laïcité ... et l’étendre à l’ensemble de l’espace public ». Méfions-nous des ouvriers de la vingt-cinquième heure !  Que dit le programme du Front National ? « Laïque, la République n'accepte aucune religion ni aucune idéologie d'Etat dans l'espace public. » Marine Le Pen est-elle donc prête à interdire les messes en plein air, les processions catholiques et les manifestations des intégristes chers à sa nièce qui ne se prive jamais d’affirmer en public ses convictions religieuses ? Non, car le programme du FN précise : « Laïque, la République [...] reconnait le rôle du christianisme en général et du catholicisme en particulier dans l'histoire de France et la construction de la civilisation française ». La contradiction est ici flagrante. Au passage une confusion de taille semble faite entre l’espace public civil et la sphère publique officielle de l’Etat. En réalité sous le nom de laïcité, idéal universaliste qui ne saurait privilégier une civilisation et une religion en les opposant aux autres, le FN cultive l’opposition entre le « eux » et le  « nous » chère à Carl Schmitt, penseur  d’un nationalisme d’exclusion que cultiva l’extrême droite allemande en 1930. Il reprend aussi à son compte le thème du prétendu « choc des civilisations » dont le penseur américain Samuel Huntington affirme la fatalité. Deux sources idéologiques hélas banalisées et totalement contradictoires avec l’universalisme laïque. Oublier les bûchers de l’Inquisition et la chasse aux sorcières pour ne s’en prendre qu’à un islamisme politique mal distingué de la religion musulmane ce n’est pas être laïque mais pratiquer l’histoire et la politique de façon discriminatoire. Une discrimination érigée en idéologie compensatoire qui flatte le peuple plutôt qu’il ne le défend. C’est tourner le dos à l’émancipation laïque et à la paix qu’elle rend possible. Champion des « racines chrétiennes de la France » le FN est si peu laïque qu’il réunit encore des intégristes hostiles au Concile Vatican II. Marine Le Pen a justifié sur France 2 l’installation d’une crèche chrétienne dans la mairie de Béziers par son ami Robert Ménard, qui simultanément interdit les paraboles sur les balcons! Privilège d’un côté, discrimination de l’autre ! Voilà bien l’usurpation que constitue l’invocation purement verbale de la laïcité ! Marine Le Pen prétend garantir la laïcité en faisant inscrire dans la Constitution la formule : « la République ne reconnait aucune communauté ». Ici l’ignorance le dispute à l’imposture ! En droit français, ne sont reconnus que des individus libres pouvant former des associations, y adhérer ou s’en retirer : en France, aucune « communauté », aucun corps intermédiaire, n’a d’existence légale depuis... 1789 ! Le paradoxe est que le FN dénonce sans cesse « toute forme de communautarisme qui favorise l'extension de modes de vie étrangers à la civilisation française » alors que lui-même entend imposer un modèle communautariste pour la France. Il dit rejeter « toutes les formes de discrimination positive » en faveur des « minorités » ; mais est-il prêt à abolir les subventions publiques aux écoles privées confessionnelles ? Il prône ouvertement l’« assimilation », et la « préférence nationale » en condamnant « la diversité, nouveau nom de la préférence immigrée ». Contradiction à nouveau. La laïcité dite « identitaire » du FN est le contraire de l’authentique laïcité fondée sur l’universalisme égalitaire des pères de la Loi de 1905. A force d’exalter un nationalisme d’exclusion,  ne  risque-t-on pas de nourrir  le racisme et la xénophobie ? Jean Marie Le Pen a d’ailleurs vendu la mèche en indiquant que selon lui l’invocation de la laïcité par sa fille était purement « contingente », donc sans nécessité pour l’idéologie du FN. Il est grand temps de dire haut et fort qu'il n'y a pas parti plus antilaïque que le Front National ! 

          François Fillon admet que la loi de 1905 est « une loi de liberté » et qu’elle fonde la neutralité de l’Etat. Mais pour lui, le principe de laïcité « s’est forgé tout au long du XXe siècle » : pas question donc de remettre en cause le Concordat d’Alsace-Moselle, ni la loi Debré de 1959 qui seraient le fruit d’un « consensus au bénéfice de tous » ! Bigre ! A croire que pour lui la « protection apportée aux religions par la République » est plus importante que la liberté de conscience des agnostiques et des athées. L’égalité n’est pas respectée! Drôle de conception de la laïcité pour un candidat soutenu sans gène par  « Sens commun » et affichant sans retenue sa catholicité érigée en référence identitaire ! Il n’est pas sûr qu’il accorde les mêmes égards aux citoyens de confession musulmane. Il a beau jeu de dénoncer aujourd’hui, autant que Marine Le Pen, un « fondamentalisme musulman particulièrement préoccupant »! Mais dans cet esprit ses excellentes relations de naguère avec les Frères musulmans, l’UOIF, et les monarchies du Golfe paraissent bien paradoxales. Il est vrai que le néolibéralisme peut oublier les droits humains lorsque des marchés juteux se présentent. Soucieux de marquer son ancrage chrétien, François Fillon aspire à une démarche concordataire  de collaboration entre l’Etat et les « religions reconnues », comme sous Napoléon, car supposées d’utilité publique pour leur contribution à l’éducation, à l’intégration, à l’assistance, voire au maintien de l’ordre moral et politique. Tout le contraire de la laïcité, incompatible avec l’octroi de privilèges aux croyants.

          Emmanuel Macron, dans sa réponse à Charlie, reconnaît que le principe de laïcité « a offert à notre société jusqu’à aujourd’hui 110 ans d’apaisement » grâce à la séparation des Eglises et de l’Etat. Son programme prétend l’appliquer strictement. Cela reste à voir ! Pour lui, une laïcité bien comprise suppose de développer « la connaissance des différentes religions à l’école en prévoyant un enseignement spécifique du fait religieux ». Un tel projet traite la spiritualité de façon discriminatoire, car il laisse de côté la connaissance des humanismes athée et agnostique, qui concernent aujourd’hui un Français sur deux. Mais surtout cet homme  qui se dit nouveau et prétend moraliser le capitalisme renoue par son néolibéralisme avec le capitalisme débridé des origines, en faisant de la religion le supplément d’âme d’un monde sans âme. Ministre des finances attentif aux intérêts des capitalistes, cet ancien banquier ne proposa pas d’autre idéal à la jeunesse que celui de « devenir  milliardaire ». Farouche partisan de la Loi El Khomeri qui rature le Code du travail, il veut d’ailleurs l’aggraver par ordonnance. Dans cet esprit il nie la lutte des classes, jugée stérile et dépassée, pour favoriser les religions  qui seraient seules capables de ré-enchanter le monde et de donner une espérance! Il affirmait en quittant son poste de ministre : « Les religions, notamment l’islam, offrent un accès à l’absolu ; elles proposent du sens … ». Libre au croyant d’affirmer ainsi sa foi, mais il est abusif de suggérer que sans la vertu théologale de l’espérance en l’au-delà le monde perd son sens. Un peu de considération pour celui qui ne croit pas au ciel et cultive l’espoir d’être heureux sur terre grâce à la justice sociale ! La maxime d’Emmanuel Macron, en somme, est typique du couplage propre au dix-neuvième siècle français : exploitation libre et charité ici-bas, compensation dans l’au-delà. Messieurs Rothschild et ses amis de la finance peuvent dormir tranquilles !

          Benoit Hamon, curieusement, est optimiste : « je ne crois pas que la laïcité soit en danger ». Mais il fait fausse route dès lors qu’il veut voir dans la loi de 1905 un « riche compromis » entre les religions et l’Etat et non un principe de séparation et de neutralité. Aussi peut-on lui demander à quoi il s’engage quand il dit refuser « tout accommodement avec les pratiques culturelles ou cultuelles qui supposeraient de modifier la loi de 1905 ». Le fait est qu’il n’a pas dénoncé deux propositions antilaïques du groupe de travail « Cohésion républicaine » validées par le parti socialiste le 30 janvier 2015 : « recenser les besoins en lieux de culte et examiner les moyens de répondre aux manques dans certaines parties du territoire » et, « développer les établissements scolaires privés sous contrat. L’enseignement privé confessionnel musulman doit pouvoir se développer dans le respect des principes républicains ». Ce n’est pas le rôle de la République laïque de financer des lieux de culte, ni d’encourager le développement de l’enseignement privé sous contrat alors que l’Ecole publique manque de moyens pour assurer sa mission d’intérêt général. IL ne remet pas en cause les privilèges financiers de l’école privée confessionnelle, financée sur fonds publics alors que les religions n’engagent que les croyants. Il va même jusqu’à introniser l’enseignement privé comme partie prenante reconnue du service public d’éducation en prônant un partenariat privé-public ! Et il ne trouve pas grave l’interdiction de la présence féminine dans certains bars de Seine Saint-Denis !  Benoit Hamon serait-il un adepte inavoué d’une curieuse « laïcité multiculturelle » ?

          Jean-Luc Mélenchon n’a pas de brevet de laïcité à présenter, mais c’est pourtant lui qui répond avec le plus de clarté et de précision à Charlie Hebdo. Pour lui la loi de séparation des Eglises et de l’Etat doit être appliquée sur tout le territoire, en Alsace-Moselle comme Outre-mer. Puisque tous les citoyens sont égaux devant la loi, « il ne peut être  question d’aménagement particulier pour telle ou telle religion ». Ce serait créer des discriminations entre croyants et non croyants et même entre croyants eux-mêmes. « Je m’engage donc, déclare Jean-Luc Mélenchon, à refuser les financements publics pour la construction des édifices religieux, des activités cultuelles et des établissements confessionnels. » Un engagement net, conforme à l’idéal républicain. Le principe laïque est clairement réaffirmé : consacrer l’argent public aux services publics de portée universelle. A notre sens cela implique de réserver l’effort de la nation à l’école publique. Ce qui suppose une remise en cause progressive de la loi Debré, non pour nuire à la liberté d’enseignement, mais pour réaffecter l’argent public à sa destination légitime : l’intérêt général, commun aux croyants et aux athées. Par ailleurs le candidat de la France Insoumise est le seul qui fasse ouvertement le lien entre la laïcité et les droits des femmes victimes des « prescriptions à caractère sexuel » de toutes les religions. Il considère donc à juste titre la laïcité comme un  principe d’émancipation » et pas seulement comme une simple sécularisation. « Aucune prescription religieuse, écrit-il, ne doit être imposée par la loi ». La religion relève de la sphère privée : elle ne doit donc engager que les croyants et eux seuls. La laïcité leur permet au demeurant de vivre librement leur éthique de vie dans le respect du droit commun. Voila pourquoi il entend « combattre tous les communautarismes et l’usage politique des religions ». Emancipatrice, la laïcité l’est à plusieurs titres. A chaque personne humaine, elle assure la  liberté de conscience  qui englobe entre autres la  liberté de culte, la liberté d’avoir une religion et d’en changer, ou de choisir un humanisme athée, et la liberté de pensée. Plus radicalement, elle permet à chacun la libre disposition de son corps et de ses actes, de son style de vie et de son être même. Comme elle lui assure le droit de mourir dans la dignité. Ainsi le cadre laïque rend possible la libre construction de l’identité individuelle. En fondant l’ordre public sur les droits humains et non sur les particularismes coutumiers et religieux la laïcité vaut principe de paix, d’intérêt général et d’émancipation.

          Dès le 23 avril, pour défendre la laïcité en même temps que la justice sociale et la refondation écologique, votons Jean-Luc Mélenchon !

          Henri PENA-RUIZ, philosophe, auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité, Plon, 2014 et 2017 pour la dernière édition revue et augmentée.

          Jean-Paul SCOT, historien, auteur de « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ». Comprendre la loi de 1905, Points Histoire, Seuil, 2005 et 2015, et de Jaurès et le réformisme révolutionnaire, Le Seuil, 2014.


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