Bien au-delà des bavardages électoraux, les questions majeures de la situation sociale et politique sont clairement établies dans les déclarations dépourvues de toute ambiguïté , des Fillon, Macron, Gattaz, Kessler (cf annexe 1). En finir avec le Code du Travail et les conventions collectives, en finir avec la Sécu fondée sur les cotisations sociales, tels sont, entre autres, les objectifs affichés....
C'est, avant tout, par rapport à ces enjeux décisifs qu'un débat sur la position à prendre le 23 avril au premier tour des Présidentielles s'impose.
Certes, ce n'est certainement pas sur le terrain de ces élections que se régleront les questions sociales en jeu. Pour autant, ce serait une position purement doctrinaire et idéologique que de se contenter à répéter ce fait et de se mettre sur l'Aventin en se limitant à la réaffirmation de la nature bonapartiste de telles élections pour justifier aujourd'hui une position abstentionniste.
Jusqu'au début avril, je demeurais convaincu, vu l'impasse politique, qu'en fin de compte, l'abstention était la seule position acceptable. Les développements de ces dernières semaines et de ces derniers jours m'ont amené à reprendre l'analyse de la situation et à changer d'angle.
La déclaration largement médiatisée de L. Berger, secrétaire général de la CFDT, du 8 avril, qui a joué un rôle pivot dans l'adoption des contre-réformes de Hollande, au premier chef de la loi El Khomri, appelant à combattre la candidature Mélenchon, qualifiée de « menace totalitaire » est, entre autres éléments, un facteur éclairant.
Il existe aujourd'hui une donnée incontournable : bien au-delà de sa personnalité et de son programme, Mélenchon est, pour les partisans de la loi El Khomri et de la remise en cause des acquis sociaux, l'homme à abattre. Pourquoi ?
Il n'y a aucune illusion à avoir sur Mélenchon : même s'il est très positif qu'il se prononce notamment pour l'abrogation de la loi El Khomri et pour l'élection d'une Assemblée Consituante, il demeure, sur le fond, un « mitterrandiste » convaincu (cf annexe 2). Et on peut estimer que l'abandon du drapeau rouge et de l'Internationale au bénéfice du drapeau tricolore et de la Marseillaise est beaucoup plus qu'un choix symbolique...
En fait, ce qui inquiète le MEDEF et les milieux financiers, ainsi que leurs porte-parole politiques, ce n'est pas le tonitruant tribun Mélenchon, c'est le mouvement qui s'est enclenché autour de sa candidature. L'inquiétude, c'est qu' indépendamment de ses fortes limites, ce mouvement rassemble et mobilise une force cherchant à faire échec aux mesures et aux projets anti-sociaux, une force qui menace l'opération ''Union républicaine'' autour de Macron, une force qui annonce que - quelle que soit d'ailleurs l'issue de ces Présidentielles - la résistance ouvrière et populaire sera farouche.
A cette inquiétude s'en rattache une autre, celle exprimée très directement dans cette interrogation du journaliste du Figaro en direction de D. Kessler (cf annexe 1) prônant « un traitement de choc »:« Les Français accepteront-ils des réformes aussi profondes, ou tout cela ne finira-t-il pas dans la rue ? »
Bref, décider de voter et d'appeler à voter Mélenchon le 23 avril ne relève pas d'un choix tactique électoral. Il s'agit d'un choix politique concret refusant le confort « idéologique » d'une position apparemment plus radicale (telle que l'abstention ou encore le vote Arthaud ou Poutou) pour s'inscrire (sans illusion, mais avec détermination!) dans un mouvement qui, dans l'immédiat sur le terrain miné des Présidentielles et surtout demain dans les luttes sociales inévitables, peut contribuer au rassemblement de tous ceux qui veulent défendre et reconquérir tous les acquis sociaux et démocratiques.
Le 16 avril 2017.
Al. Ch.
Annexe 1. Déclarations de Fillon, Macron, Gattaz, Kessler.
Ainsi « François Fillon comme Emmanuel Macron jugent que l’emploi souffre d’un manque de souplesse. [Il faut] changer les règles pour donner plus de flexibilité aux employeurs. » (Le Monde -11 avril)
Dans un entretien au Journal du dimanche du 9 avril, E. Macron définit ses objectifs :
- « procéder de manière rapide et efficace » en légiférant par ordonnances.
- présenter dès l'été, « un projet de loi d’habilitation pour simplifier le droit du travail et décentraliser la négociation ».
- «donner plus de place à l’accord majoritaire d’entreprise ou de branche, d’une part, encadrer les décisions des prud’hommes d’autre part ».
De son côté, Pierre Gattaz, président du Medef, dans Le Parisien du 9 avril, déclare :
L’un de nos « deux problèmes fondamentaux » se situe dans « la rigidité de notre code du travail » (le second étant la « compétitivité des entreprises »). [...] « Ce qui est important, ce sont les mesures. Et celles qui sont les plus détaillées, ce sont celles de Fillon, même si celles de Macron vont dans le bon sens. Lorsqu’on a la légitimité d’une élection, il faut aller très vite, car il y a une vraie urgence. On a six mois, on doit faire passer des ordonnances. »
Denis Kessler , PDG de la société de réassurance SCOR, l'un des principaux porte-parole des milieux financiers, connu pour ses déclarations antérieures sur la nécessité de détricoter tous les acquis sociaux de la Libération, a accordé une longue interview au Figaro (le 8 avril) :
« Le prochain quinquennat sera décisif (…). La France a besoin d’un traitement de fond et de choc ! » […]. [Il faut] « une véritable réforme de toute notre organisation collective, État en tête . (…) La protection sociale doit être du ressort de l’État » (càd qu'il faut en finir avec la Sécu fondée en 45 avec le financement par les cotisations sociales). [...] « Il faut dénationaliser les relations du travail» (donc en finir avec le Code du travail et les conventions collectives) et donner « aux partenaires sociaux la liberté de négocier dans l’entreprise toutes les questions relatives à la durée ou à l’organisation du travail dans le cadre de l’ordre public défini au niveau européen ».
Le Figaro interroge avec inquiétude l’ancien vice-président du Medef : « Les Français accepteront-ils des réformes aussi profondes, ou tout cela ne finira-t-il pas dans la rue ? »
Telle est bien la question qui explique les angoisses et les attaques au sujet de Mélenchon de tous les partisans du maintien et de l'élargissement de la loi El Khomri, et en particulier de ceux qui oeuvrent à une « recomposition » autour de Macron....
Annexe 2. A propos de Mélenchon.
Le 30 janvier dernier était diffusé à la télévision un documentaire de Gérard Miller sur J-L. Mélenchon, lors duquel ce dernier se prêtait à une large confession. Il s'y affichait comme un ardent mitterrandiste, affirmant avec émotion que Mitterrand était son maître en politique et son « grand homme ». Il se disait aussi très satisfait et fier de sa participation au gouvernement Jospin (champion en privatisations, rappelons-le), l'un des meilleurs moments de sa vie politique, disait-il...
Après ce documentaire, je notais ce 30 janvier : « Fondamentalement, il demeure un carriériste mégalo, cherchant à chevaucher un mouvement voulant défendre les acquis sociaux et démocratiques. Il dénonce en termes fort éloquents la financiarisation, la recherche à tout prix du profit et du fric. Mais que propose-t-il ? Jamais rien de précis dans ses propos pour porter effectivement atteinte à la domination des banques et des sociétés financières et pour mettre fin à la spéculation financière. Rien sur la nationalisation sans indemnité des grandes banques et sociétés financières.... »
Tout cela demeure vrai. La critique des « limites » (euphémisme!) des positions politiques et du programme électoral de Mélanchon est aisée. Pour autant, peut-on s'en satisfaire, compte tenu du mouvement en cours à propos de la candidature Mélenchon et de ce qu'il signifie sur le plan politique et social, pour éviter de prendre une position concrète immédiate, au nom d' une sorte d'absolu doctrinaire ?