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Le peuple and the people

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Dimanche 25/05/2008 • 0 commentaires  • Lu 1418 fois • Version imprimable


Vous le savez depuis longtemps la rumeur court dans tous les salons où ils causent et sa Majesté Média ne dit pas autre chose : le peuple est mort, vive the people !

 

Dans le dictionnaire des mots mettant à mort le politique et qui reste à réaliser, nous trouverions people entre boycott, marketing et star. Si on se réfère aux dictionnaires ordinaires (je prends mon vieux Webster’s dictionnary) people a deux sens suivant le singulier ou le pluriel. Au singulier il s’agit de « nation, community », mais au pluriel ce sont les formules bien connues comme a lot of people pour dire beaucoup de monde sauf que le dictionnaire va plus loin : il s’agit de ceux qui suivent (followers), les supporters en quelque sorte (donc deux notions clefs : le nombre et le mouton). Je ne suis pas assez angliciste pour pousser plus loin la question de la langue donc j’en reviens aussitôt à la politique car par essence, le mot peuple est politique.. d’où sa disparition au registre des mots phares.

En français, le mot peuple a aussi son histoire, la preuve il a disparu. C’est Michelet qui en écrivant Le peuple donne à cet univers, des lettres de « noblesse », le peuple devenant ceux qui luttent pour changer le monde. Dans la foulée des barricades de 1848, le peuple rassemble dans une grande fraternité ceux qui font tomber les rois. C’est la mythologie du peuple debout contre tous ceux qui se couchent et deviennent le peuple indigne. Aujourd’hui, cette aventure se serait achevée dans l’ignoble populisme, dans les masses moutonnières. « Les masses » ou « les masses populaires » (un pléonasme car comment les masses ne seraient pas populaires) deux expressions chères au mouvement communiste qui les abandonna au moment où « les mass-média » l’emportaient ! Comme si le mot « masse » n’avait pas la même dignité dans la bouche des uns et celle des autres ? Parler des moyens de communication de masse n’a rien de péjoratif.

Le peuple c’est donc le nombre et il disparaîtra sous l’effet des statistiques pour se réduire à élément de sondage. Car on l’a compris, si le peuple n’existe plus que d’efforts publicitaires pour l’atteindre ! Telle est une des contradictions majeures du capitalisme actuel : d’un côté il veut vendre aux masses, et de l’autre ces masses ne sont qu’un nombre, du genre 50% des Français sont connectés à internet.

Parmi les abandons multiples des communistes il y a eu le remplacement du mot « peuple » par celui de « gens ». Contre le projet de dictionnaire précédent (les mots assassins du politique) il faudrait un projet de dictionnaire international sur les transferts de mots (il popolo et la gente ; el pueblo unido jamas sera vencido). A Montauban, nous avons encore la Maison du Peuple. Depuis que la municipalité de droite refuse toute initiative teintée de politique à la Maison de la Culture, pour la renvoyer à la Maison du Peuple, il devient plus facile de différencier le peuple de « la bonne société ».

La presse people, c’est donc cette presse qui, à évoquer les célébrités, touche le grand nombre. D’où le lien étroit entre Star et People pour le substituer au lien entre Héros et Peuple. Petit à petit, un imaginaire est reconstruit. Le modèle de la réussite, c’est la réussite financière qui permet à la fois de rester people (les marches de la hiérarchie sociale sont effacées) et de devenir président de la république. De Gaulle s’est placée au-dessus du peuple et le peuple y trouva des raisons de l’admirer comme de l’affronter. Sarkozy se place parmi la foule (les leçons de Le Pen furent apprivoisées) et le peuple y trouve des raisons de l’aimer ou de le haïr. La presse people est au départ du processus comme à l’arrivée. Elle fabrique un imaginaire que lecteur croit y découvrir comme étant le sien !

Tout ceci ne serait que bavardages si la gauche de la gauche n’était pas prise entre les deux feux : le peuple moutonnier et le peuple égaré. Dans les deux cas (ils peuvent se rejoindre) le peuple est la cause de sa propre absence, alors qu’il n’est pas plus mouton ou égaré que quiconque. Ceux là même qui font tout pour déconsidérer le peuple s’étonnent ensuite d’être déconsidérés par le peuple ! Sur tous les grands thèmes, laïcité, sécurité, dignité, inventivité etc. l’alternative reste prisonnière de ses démons très people.

25-05-2008 Jean-Paul Damaggio


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