Je quitte « le Media » pour des raisons de fond qui touchent à la fois aux méthodes qui y ont cours, au contenu éditorial dont je ne peux accepter l’inflexion, à la conception de ce que doit être un réel média alternatif et l’exercice de notre profession.
Pour le 7ème numéro de mon magazine, j’ai annoncé à Aude Lancelin ma volonté de traiter « l’Italie, la péninsule des paradoxes », c’est à dire d’exposer et de comprendre la nouvelle situation politique italienne marquée par la constitution du gouvernement Lega-M5S et la présence de personnages peu fréquentables à la tête de l’état, et par l’affrontement engagé avec l’UE, notamment par le vote d’un budget qui défie les règles et les traités au profit des revendications immédiates -retraites, pauvreté, etc…- du peuple italien.
J’ai proposé de traiter les paradoxes de la situation italienne, d’autant qu’elle constitue un laboratoire de ce qui agite toute l’Europe. De plus l’Italie est fréquemment évoquée aujourd’hui de toutes parts dans le débat publique français, notamment par Emmanuel Macron qui recherche une « large union des progressistes » contre les « populistes » ou « souverainistes ».
Pour réponse j’ai reçu un mail m’indiquant une fin de non recevoir sans même un échange direct, sans une proposition de rencontre, sans un coup de téléphone pour argumenter, permettre de convaincre. J’ai même appris du clavier d’Aude Lancelin que ma proposition avait été discutée en mon absence par « tous nos camarades », que « le consensus est total » et que « les chefs de services partagent entièrement » le point de vue de la nouvelle directrice. J’exerce ce métier depuis une quarantaine d’années. De TF1 avec « droit de réponse », à France télévision ou j’animais une collection de documentaires « Dans le secret de… », en passant par plusieurs magazines dont « Envoyé spécial » qui m’a valu un 7 d’or pour « Front national, la nébuleuse », je n’avais jamais été confronté à un tel exercice du pouvoir.
Aude Lancelin m’indique que « le Média ne sera jamais le lieu pour amorcer l'union du souverainisme de gauche et du populisme de droite ». Elle fait donc siens les éléments de langage commun à la presse main-stream, à la macronie, et à la plupart des représentants de la « gauche ». Voilà qui m’interpelle directement. Si cela n’était dérisoire, je me contenterais de demander si je me retrouve ipso facto rangé parmi « les souverainistes de gauche » ou parmi les « populistes de droite ». En réalité, l’important est ailleurs. Il m’est juste indiqué par cette simple formulation qu’un sujet où pourraient être tenus des propos qui par hypothèse ne rentreraient pas dans les normes de la nouvelle responsable du média, qui ne colleraient pas à sa vision idéologique, à ses positions, indépendamment de l’intérêt et de l’importance journalistique, n’a pas à être abordé. Le Média passe ainsi « d’organe de presse » rigoureux qui demande l’analyse et les échanges de points de vue, parfois contradictoires, à un simple lieu de propagande. Mais pour qui et au compte de qui?
Etrange de devoir rappeler ici qu’une pratique rigoureuse de notre profession, notamment au sein d’un média qui a affirmé l’ambition de donner une information différente, qui en a fait son identité, qui s’en est revendiqué, nécessite de ne pas se limiter à traiter ce qui nous est confortable et rassurant, mais de partir des faits, de la vie, de la réalité pour l’exposer, tenter de lui donner sens, permettre de l’appréhender, de comprendre. Un projet de presse sérieux nécessite la pluralité, l’opposition, la diversité, l’ouverture, la synthèse. Telle était du moins l’ambition du magazine DLGL dans ses tentatives répétées de quitter l’entre-soi, d’accueillir des points de vue différents, sans langue de bois ni complaisance.
Enfin, il m’est indiqué comme justification ultime que « La réhabilitation de l'Italie de Salvini dans un de nos programmes (…) ne passerait pas inaperçue, et mettrait le Média en dangers ». Mais en quoi s’agissait-il de réhabiliter qui que ce soit ? Pourquoi une telle accusation, aussi directe qu’infondée ? Comment interpréter un procès d’intention pareil, alors qu’il ne s’agissait que de traiter de la situation politique de l’Italie ? Quelle conception de l’information et du débat est à l’œuvre dans ce refus a priori de toute discussion ? Le média aurait été en danger? Cela signifie que les « socios » qui le financent seraient incapables de comprendre? Position confortable et à la fois méprisante d’une direction qui se retranche derrière ses contributeurs pour ne pas remettre en question ses propres certitudes.
Ainsi donc l’Italie et sa nouvelle configuration ne peut être abordée dans une émission dont les premiers numéros ont pourtant prouvé des garanties de sérieux reposant pour leur confection sur une collaboration professionnelle sans faille avec Henri Poulain, et pour leur déroulement sur le débat contradictoire. Pour « la répartition des richesses », « l’éducation », « les frappes en Syrie », pour « la justice et ses réformes », pour « l’union européenne: vers le chaos», ou encore « la laïcité: liberté ou servitude », j’ai accueilli d’anciens ministres, des députés, des sénateurs, des présidents de commissions parlementaires, des maires ou responsables politiques de tous bords, cela en mettant en place une forme originale. Je m’excuse ici auprès des spécialistes de la situation italienne et des acteurs politiques d’horizons diverses qui auraient répondu présents sur l’Italie de devoir aujourd’hui les décommander, contre ma volonté.
J’ai rencontré au Média avec mon magazine DLGL des équipes formidables, sympathiques, compétentes, dévouées dans tous les domaines. Je leur souhaite à tous le meilleur possible pour l’avenir…
Jacques Cotta
Le 11 octobre 2018