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Les Suisses prisent leur franc et leur fusil

Lettre genevoise 24

Par Gabriel Galice •  • Vendredi 04/02/2011 • 0 commentaires  • Lu 2149 fois • Version imprimable


La Confédération  affiche présentement deux singularités qui seraient constitutives de son « identité » : le franc suisse et le fusil militaire à la maison.
La dégringolade de l’euro a conduit la Banque nationale suisse (BNS) à soutenir la devise affaiblie pour éviter la déflation, vidant ses réserves, faisant 21 milliards de francs (16 milliards d’€) de pertes au cours de l’exercice 2010. La parité franc suisse /euro n’a jamais été aussi favorable au premier. D’abord fiers de leur franc, les Suisses se disent que le soutien de l’euro leur à coûté cher et que le cours actuel pénalise leurs exportations, tandis que leurs banques s’en accommodent. Les cantons se voient privés de leur part de bénéfices habituels de la BNS et s’indignent. Le président de la Banque Nationale Suisse, défend sa politique interventionniste. Les « marchés » ne désarment pas. Les Suisses se réjouissent, bruyamment ou discrètement, de ne pas faire partie du club monétaire européen. L’arrogance des dirigeants européens n’est pas de nature à les rapprocher de l’Union, les chamailleries entre Français et Allemands non plus. Des mauvais esprits s’interrogent même sur la durée de vie de l’€. 

Dans la foulée survient une initiative référendaire de gauche demandant la suppression de l’arme d’ordonnance à la maison, tradition pas si ancienne mais ancrée dans les cœurs et les mœurs du soldat suisse et chère aux partis bourgeois. Les opposants à cet usage font observer que plusieurs miliciens (il s’agit d’une armée de milice, constituée des citoyens du pays) ont utilisé leur arme de guerre au détriment de leur conjoint. Progressistes et féministes ont leurs raisons, qui sont consistantes. Les raisons des conservateurs ne sont pas moins plausibles. Le peuple en armes est aussi un signe de concorde entre dirigeants et dirigés. Le nombre d’homicides ou suicides est marginal et les criminels trouveraient d’autres expédients s’ils se voyaient privés de leur arme officielle. Et la liberté est une valeur forte, en Suisse comme aux Etats-Unis, qui conduit à préconiser la défense armée de sa vie et de ses biens. La bataille d’affiches est à la hauteur des passions suscitées par un débat sur les armes. A droite, l’Union Démocratique du Centre (appellation insipide que la Suisse alémanique remplace par l’explicite dénomination de Schweizerische Volkspartei, soit parti suisse du peuple), par sa section jeunesse, ose exhiber un homme jeune dénudé que seul son fusil soustrait à l’indécence. La photo en noir et blanc, fort retouchée, est un mélange de Guillaume Tell et de style autoritaire des années 30, avec ce qu’il faut de supplément mièvre convenant à notre époque jeuniste. Une autre affiche choisit le sympathique hérisson, mascotte de l’armée suisse, comme emblème de la capacité à se replier sur soi, piques dehors, en cas de danger. A gauche, une tache de sang sur un nounours en peluche désigne la menace que fait peser l’arme domestique. Les publicitaires, propagandistes et médiologues ont ici un terrain d’élection. 

Ces débats épineux mêlent l’intime et le public, le corps personnel et le corps politique, le charnel, l’imaginaire et le symbolique. Malgré la « mondialisation » (ou à caused’elle), les singularités helvétiques s’affichent et se rebiffent. Force de la devise (lire La violence de la monnaie de Michel Aglietta et André Orléan) et devise de la force armée s’épaulent dans l’affirmation nationale. 

Il est permis d’être Suisse, ou bien ?
 
Gabriel Galice – 2 février 2011.

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