Bref commentaire concernant les critiques adressées à mon article « Mali janvier 2013 »
Toutes ces critiques disent la même chose : que la France de Hollande est une puissance impérialiste, ex coloniale, qu’elle défend ses intérêts impérialistes, qu’elle n’a jamais renoncé à exercer son emprise sur des Etats clients en Afrique etc. Le lecteur de mon article constatera que je ne dis pas autre chose et que j’en tire la conclusion : la France, telle qu’elle est, ne peut pas contribuer à la reconstruction du Mali. A moins d’un miracle auquel je ne crois pas : qu’elle abandonne les concepts « libéraux » du « développement ».
Mes critiques font dériver directement de leurs prémices une conclusion et une seule : la condamnation de l’intervention française. Sans proposer d’alternative autre que rhétorique et générale : il appartient aux Maliens et aux Africains de régler seuls ce problème, sans dire comment. Les critiques ne disent rien du projet de pouvoir dit « islamique » établi au Nord Mali. Quels intérêts se profilent derrière ce projet ?
De facto donc leur attitude permet aux sécessionnistes du Nord d’établir leur Etat, voire de conquérir le Sud malien et d’établir un ou deux Etats « islamiques ». Ce résultat correspond précisément à l’objectif poursuivi par les Etats-Unis et, dans leur sillage, l’Europe. Ce projet avait d’ailleurs été entériné par Sarkozy.
Les peuples africains et malien tireront-ils un avantage de cette solution ? Ces Etats dits « islamiques » constitueront-ils un rempart contre l’impérialisme ? Mes critiques ne disent rien sur ces questions décisives. Ce que je dis par contre, c’est que cette solution répond parfaitement à la poursuite du contrôle de la région par l’impérialisme, qu’elle n’affaiblirait pas ce contrôle mais au contraire le renforcerait.
La preuve en est donnée chaque jour : les Etats-Unis et l’Europe ne « suivent » pas Hollande. Les positions prises par de nombreuses ONGs dont certaines sont connues pour leur inspiration directe par la CIA se joignent au chœur. Certes la diplomatie française s’emploie à cacher ces faits en prétendant que les Etats-Unis et l’Europe sont engagés avec la France, ce qui n’est tout simplement pas vrai.
Il y a une fissure qui s’est dessinée entre la France et ses alliés majeurs, qui restent ses alliés en Syrie et ailleurs. Face à ce fait, que mes critiques paraissent ignorer, que faire ? Soutenir de facto le projet de Washington et de ses alliés européens, accepter le démantèlement du Mali et l’installation de régimes dits islamiques ? Je dis que c’est la pire solution. Les critiques en question font comme si les Etats-Unis et l’Europe étaient « moins impérialistes » que la France. Ils prennent position de facto comme si le soutien des Etats-Unis « contre » la France pouvait servir les intérêts des peuples africains. Quelle erreur tragique ! Ces critiques font comme si on pouvait ignorer que la « conquête » du Nord du Mali n’a pas été le produit d’un mouvement populaire. Pas du tout, cette conquête a été le fait de groupes armés dont les motivations restent douteuses, pour le moins qu’on puisse dire : imposer par la violence leur pouvoir, piller et organiser leurs réseaux de trafics en tout genre. La base militaire des « djihadistes » établie dans la région vise directement l’Algérie. Ses émirs poursuivent l’objectif d’en détacher le Sahara algérien, à défaut de pouvoir prendre le pouvoir à Alger. Une perspective qui n’est pas pour déplaire forcément aux Etats Unis. L’incursion d’In Amenas, préparée longtemps avant l’intervention française au Mali, en donne une preuve lisible.
Que la minorité touareg du Nord Mali ait en grande partie soutenu ces groupes « djihadistes », en réponse aux politiques inacceptables de Bamako à l’endroit de leurs revendications légitimes est tragiquement malheureux ; et dans l’avenir Bamako doit changer d’attitude à leur égard. Mais dans la situation créée par l’intervention des groupes armés prétendus « islamiques » il fallait accepter les risques que comporte l’intervention française.
La France est mal placée pour contribuer au redressement économique du Mali. Car la reconstruction du Mali passe par le rejet pur et simple des « solutions » libérales qui sont à l’origine de tous ses problèmes. Or sur ce point fondamental les concepts de Paris demeurent ceux qui ont cours à Washington, Londres et Berlin. Les concepts « d’aide au développement » de Paris ne sortent pas des litanies libérales dominantes. Au plan politique la France, avec les pays de la CDEAO, préconise l’organisation rapide d’élections. Cela n’est certainement pas le moyen de reconstruire le pays et la société ; c’est même le moyen le plus certain pour ne pas y parvenir, comme toutes les expériences, du monde arabe par exemple, le démontrent. Et de quel droit la France, ou même la prétendue « communauté internationale » (cad les Etats Unis, leurs alliés subalternes européens, et les acolytes du Golfe), peuvent se prévaloir à ce titre ? Il appartient au peuple malien de s’organiser pour définir les moyens de sa reconstruction. Travailler avec les forces progressistes maliennes et africaines pour que le Mali parvienne à imposer sa solution juste à son problème : reconstruire l’unité du pays, de sa société et de l’Etat, dans le respect démocratique de la diversité de ses composantes.
Certains de mes critiques mettent en avant avec insistance les droits des Touaregs, selon eux minorité opprimée par l’Etat malien. Cette question des minorités (parfois majorités) des peuples ou « ethnies » (appelez comme vous voulez) victimes de discriminations n’est pas sans importance. Mais quelle est la réponse qu’il faut donner à ces questions ? Les critiques suggèrent la généralisation de la mise en oeuvre de formules « d’autonomie » (et Paris reprend cet objectif pour le Mali de demain). Ils défont par là ce que les mouvements anticolonialistes avaient réussi à construire : l’unité des peuples en question contre le colonialisme qui, lui, pratiquait la devise « diviser pour mieux régner ». Est-ce là un pas en avant ou en arrière ? Ne favorise-t-on pas l’éclatement de petits Etats déjà jugés « non viables » en Etats encore plus petits, donc encore davantage non viables ? Et à quels objectifs répond cette stratégie ? Ne s’agit-il pas là de la stratégie des Etats Unis et de leurs alliés européens ? Et oui, la géostratégie, ça compte !
Le peuple touareg réclame-t-il l’autonomie ? ou la fin des discriminations ? Le mouvement autonomiste donne tous les signes d’être l’œuvre de petits groupes, animés de surcroît par quelques individus au passé discutable (les accusations de trafic de drogue ne sont pas sans fondements). L’armée malienne de Modibo avait-elle « écrasé dans le sang » la révolte du peuple touareg en 1962/63 ? On oublie qu’à l’époque la France caressait encore le projet de détachement du Sahara malien (par le moyen de l’Organisation commune des régions sahariennes). Cette révolte était celle de groupes minoritaires chez les Touaregs, qu’on peut soupçonner d’avoir été manipulés par Paris.
La manipulation des questions « ethniques » n’est pas chose nouvelle dans la géostratégie (et oui la géostratégie ça existe) des puissances. Et on pourrait illustrer la mise en œuvre de la règle « deux poids, deux mesures » pratiquée en l’occurrence. Washington a créé un (et même deux) Etats kurdes en Iraq, tandis qu’elle soutient Ankara contre les Kurdes de Turquie.
La seule réponse à ces questions implique le soutien aux forces démocratiques africaines, en lutte pour l’égalité de traitement de tous les citoyens. Elle ne passe pas par l’éclatement des Etats.