Lorsque Jacques Attali – Monsieur une idée à la seconde – avait dans son rapport, entre autres, préconisé la suppression des départements, le Président de la République avait déclaré « je ne supprimerai pas les départements, puisque majoritairement les français refusent cette réforme »
Ouf ! pouvaient dire les partisans du maintien de cette division de la République, mais néanmoins, il restait une question, le message du Président était-il sincère ?
La réponse vint rapidement. Lors d’un déplacement à Limoges au cours de l’été, l’hôte de l’Elysée a rallumé la mèche, expliquant qu’il y avait des économies à réaliser en matière de dépenses publiques en ouvrant « le grand chantier de la réforme de nos administrations locales »
Depuis les choses se sont accélérées. Une mission sera confiée à Edouard Balladur (pour un homme qui se dit rangé du jeu politique, bien des responsabilités lui sont attribuées après le dossier de la révision constitutionnelle) et trois groupes de travail seront constitués avec un thème spécifique à chacun. Les travaux devraient débuter en janvier 2009 pour des conclusions vers la fin de l’hiver conduisant à saisir le Parlement et peut-être le Congrès avant les vacances d’été.
Nous sommes donc avertis, le débat s’impose.
La question est donc de savoir pourquoi faudrait-il supprimer les départements ?La raison la plus souvent avancée et de manière publique par les pourfendeurs des départements, dont Jacques Attali se fait le fer de lance, est la présence d’un mille-feuille administratif – communes, intercommunalités, agglos, cantons, pays, départements, régions etc.. etc…Si le constat est réel, encore faut-il s’interroger du pourquoi, au cours des quinze dernières années, on a rajouté de nouvelles strates ?
Le Président de la République ajoute d’autres arguments, celui d’alléger les dépenses publiques pour consacrer plus d’argent au développement économique. La Révision Générale des Politiques Publiques n’est pas loin.Cette chansonnette n’est pas nouvelle.
En 2003, le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin l’entonnait déjà pour vendre l’acte II de la décentralisation, régionalisation.
Cette loi devait « libérer les énergies » selon celui qui, cinq ans après, prenait une véritable gamelle pour l’accession au perchoir sénatorial.J’ose le rapprochement des deux faits, car selon des sources bien informées, une bonne partie de la majorité sénatoriale ne lui aurait pas pardonné son excès de régionalisme.
En fait, les élus locaux confrontés quotidiennement aux réalités du terrain, mesurent concrètement les effets d’une décentralisation excessive et due en particulier, à l’équation de plus en plus difficile entre la pingrerie de l’Etat, la nécessité d’assurer un service public et la volonté de contenir la fiscalité locale et régionale.
C’est par milliers que des emplois d’Etat, de l’Equipement et de l’Education Nationale ont été transférés sur les départements et les régions. Cette loi Raffarin intégrait également la culture et le patrimoine dont l’objectif était de se délester du patrimoine… coûteux.Les élus locaux ne se sont pas laissés piéger.
La règle du volontariat s’appliquant sur ce secteur d’activité, quelques collectivités locales se sont portées acquéreurs de monuments, de sites et de bâtiments historiques mais uniquement ceux économiquement rentables, c'est-à-dire attirant du public et assurant des entrées payantes.
Mais les ruines, aux valeurs historiques indiscutables, n’ont pas trouvé preneurs, d’où le danger d’exposer le patrimoine culturel et historique aux lois du marché.
Quant à la régionalisation de l’économie et corrélativement de la formation, les résultats enregistrés sont loin des promesses. La fameuse adéquation, formation/emploi est très perfectible et pour cause, la dispense de formation est une chose, la création d’emplois par une bonne santé économique en est une autre. Par contre, ce qui fonctionne bien, c’est l’octroi des fonds publics aux entreprises y compris, et peut-être surtout, aux multinationales qui font de faramineux bénéfices et n’hésitent pas à délocaliser leurs sites de production et même leurs centres de recherche et de développement.Le monde économique utilise parfaitement cet effet d’aubaine, par la pratique discrète mais efficace du lobbyisme à l’aide publique.
D’ailleurs, les chantres du système n’hésitent pas à préconiser la mise en concurrence des régions !!!
Ce bilan explique, pour une bonne part, la volonté de voir disparaître les départements.Mais cette pratique n’est pas le fait du hasard, elle n’est que la mise en place, au mépris de la démocratie, d’une volonté politique de quelques uns, dépassant largement les frontières de l’hexagone.
Le département dont l’origine remonte à 1790 fut, jusqu’aux années 70 du siècle dernier, l’une des clés de voûte de notre édifice républicain.
La régionalisation, indispensable option pour la construction d’une Europe libérale et fédérale trouve sur son chemin un handicap, le département. Ainsi, depuis une vingtaine d’années, un débat de fond secoue la société française car deux options s’opposent pour la construction de l’Europe.
L’une défend la préservation des Etats/Nations au sein d’une sorte de confédération d’où le slogan « Faire l’Europe, sans défaire la France », l’autre c’est l’Europe des régions (des grandes régions, 6 ou 7 pour notre pays) et par voix de conséquence la fin des Etats et donc pour la France, des départements.
C’est l’Europe fédérale dotée, de plus, d’un système économique libre et non faussé.Au-delà de l’aspect faussement moderniste de la suppression des départements, se profile le renforcement politique des régions par une succion supplémentaire des responsabilités de l’Etat.
Ceux qui contesteraient ce scénario devraient se rappeler que le 26 avril 2006 une délégation de Présidents de régions conduite par Alain Rousset, Président de la Région Aquitaine, rencontra, à sa demande, le Président de la commission européenne afin d’obtenir le versement direct aux régions des aides européennes, sans transit par les structures de l’Etat.
La volonté de s’affranchir de l’Etat était donc évidente, d’autant que Ségolène Royal plaida pour une régionalisation plus poussée.En matière de rejet de l’Etat, on ne peut mieux faire.
Le message de la délégation (socialiste) des Présidents de régions ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Un règlement européen apparu permettant la création de groupements européens de coopération territoriale (G.E.C.T.) permettant l’association des régions frontalières qui veulent travailler ensemble.
L’Assemblée des régions européennes (l’A.R.E.) créée pour renforcer le régionalisme ne pouvait que se réjouir de cette décision.
Le G.E.C.T. le plus avancé est celui concernant l’Alsace et le land de Bade-Wurtemberg associant Strasbourg et la ville allemande de Kehl. L’association entre Colmar et Fribourg en Brisgau est également engagée.
De ce fait, à titre expérimental, l’Alsace gère en direct certains programmes européens.
Conjointement à ces opérations de partenariat interrégional européen, le gouvernement fait montre d’un activisme certain dans le domaine de la régionalisation.
Ainsi, dans une circulaire du 7 juillet 2008, adressée aux Préfets (Régions et Départements) le Premier Ministre donne des instructions, dans le cadre de la R.G.P.P. sur « l’organisation de l’Administration territoriale de l’Etat à l’échelon départemental »
Jugez plutôt :
- Le niveau régional est le niveau de pilotage de droit commun des politiques publiques de l’Etat sur le territoire.
- Pour le pilotage des politiques publiques, le Préfet de région a autorité sur les Préfets de département et dispose d’un « pouvoir d’évocation ».- Le Préfet de région a autorité sur les directions régionales des administrations civiles de l’Etat…..
Quant à l’organisation régionale, celle-ci reposera sur huit structures dont les Préfets de régions auront autorité sur les Préfets des départements. Il est précisé dans cette circulaire que la mutualisation des ressources humaines sera pilotée par les Secrétaires Généraux des Affaires Régionales (SGAR) au travers de probables plateformes dédiées à cette activité.
On ne peut être plus clair en matière de volonté d’effacement des départements, reste à convaincre de « faire sauter » l’entité politique du département, le Conseil Général.Autre action, qui peut paraître bénigne, mais qui sournoisement fera son œuvre dans l’inconscient populaire, celle de supprimer les numéros des départements sur les plaques minéralogiques des automobiles. Certes, on peut se réjouir que ces numéros soient maintenus, mais ravalés dans un petit coin de la plaque et surtout associés au logo de la région.
La résistance à la suppression des départements n’est ni de la nostalgie, ni du passéisme, mais simplement un acte de défense de notre système originel républicain opposé au régionalisme européen destructeur des valeurs de solidarité auxquelles nous sommes très attachés.Au non à Maastricht, au non au T.C.E., au non à l’hypothétique Traité de Lisbonne, il faut associer le non à la suppression des départements, si nous voulons être cohérents.
Jean-Louis Ernis