J’appartiens au Paraguay de l’écrivain Augusto Roa Bastos et c’est à lui que j’ai pensé quand j’ai appris la victoire de Fernando Lugo à la présidentielle. Ce très réjouissant succès ne peut nous dispenser d’étudier de près le rapport des forces en présence, d’autant que, comme toujours, les médias nous tendent des pièges dans lesquels les progressistes ne sont pas les derniers à tomber (ce qui doit m’arriver aussi sur des sujets que je ne connais pas).
Le premier des pièges consiste à parler de l’élection des présidents sans jamais parler de celle des députés or, dans toutes les démocraties, le pouvoir des présidents est plus ou moins sous contrôle des assemblées législatives. Aussi, la victoire d’un authentique homme de gauche (40%) ne peut pas être à elle seule, l’hirondelle qui annonce le printemps. La victoire de Lugo est tout autant le résultat de la division de la droite que celle de la mobilisation des forces sociales (paysans, indigènes, féministes), et ce fait se retrouve dans les résultats des législatives gagnées par le Parti libéral nettement de droite, même s’il a soutenu à la présidentielle le candidat de gauche. Même avec le parti libéral, les forces des mouvements sociaux ne seront pas majoritaires à l’assemblée ! Et quand on sait les divisions internes aux mouvements sociaux, la tâche sera donc rude pour le président.
Le second piège c’est de tout réduire à l’affrontement entre USA et Amérique latine. Les plus féroces exploiteurs du Paraguay comme de la Bolivie, ce sont la bourgeoisie brésilienne que Lula n’a jamais cessé de soutenir au nom du nationalisme, et celle d’Argentine, un pays où par ailleurs vivent un grand nombre d’immigrés économiques paraguayens (un million sur 6,5 millions d’habitants).
Les retenues hydroélectriques du Paraguay (Itaipu - la pierre qui chante - date de 1984 et Yacireta de 1994) fournissent l’électricité au Brésil (20 à 25% de l’énergie électrique utilisée dans ce pays) et à l’Argentine (15% de sa consommation), sur la base d’un contrat fixant le prix, soit au prix du marché, soit au « prix juste ». Dans le contrat, la moitié de l’énergie va au Paraguay et l’autre moitié au Brésil. Mais le Paraguay consomme seulement le sixième de ce à quoi il a droit et il vend le reste. Sur le marché il aurait 3645 milliards de dollars (estimation de l’expert Ricardo Canese) et il reçoit seulement 102 millions de dollars ! Le prix juste adopté par Lula et les siens, c’est le colonialisme à un tarif inégalé ! Dès son élection, Lugo a donc demandé de doubler au tripler le prix de l’électricité mais Lula a crié au scandale, la mesure pouvant dans son pays provoquer de forts troubles sociaux (et surtout mécontenter les industriels). Cette polémique permet à Lugo de calmer les craintes du gouvernement US puisqu’il n’est pas le premier visé par sa politique, et de trouver un bol d’oxygène financier pour son pays. Les compagnies brésiliennes achètent 2,72 dollars le méga-watt une énergie revendue 80 dollars le méga-watt !
L’autre réforme majeure annoncée c’est la réforme agraire comme en Bolivie, une réforme qui, en plus de la répartition des terres, pourrait faire sortir le pays de la domination du soja comme production d’exportation (quatrième exportateur mondial), quand dans le pays c’est la misère. Fernando Lugo qui, pendant toute la campagne électorale, a tenu à répéter qu’il n’avait aucun modèle préférant dire que le pays se libèrerait à sa façon, a cependant, l’élection passée, fait référence à Tabaré Vazquez d’Uruguay qui, tout en prônant une politique de gauche, maintient des liens étroits avec les USA, contre les autorités argentines et brésiliennes.
Le troisième piège tourne autour du mot « corruption ». La notion fait fureur aux Amériques car c’est une triste réalité mais qu’est-ce que la corruption ? Un capitalisme à l’ancienne qu’il faut moderniser ou le stade futur du capitalisme qu’il faut empêcher ? Rares sont les livres sur le sujet d’où souvent ma référence à Eva Joly. Par exemple : ne faut-il pas plutôt lutter contre les corrupteurs ? Lugo va donc entreprendre une œuvre de salubrité publique contre la corruption au bénéfice des pauvres. En Italie, nous savons comment l’opération Mains propres a tourné à l’avantage de Berlusconi.
Enfin, un mot sur la théologie de la libération, ce sujet tabou de nos médias savants. Le Paraguay n’a pas le droit d’élire un religieux comme président en conséquence pour empêcher l’élection de l’évêque Lugo, le Vatican refusa de lui enlever le titre d’évêque. L’évêque, malgré lui, a du batailler avec ses amis pour faire prévaloir dans son pays sa décision sur celle de sa hiérarchie. Un fait qui montre d’une part que la théologie de la libération n’est pas une vue de l’esprit (si je puis me permettre cette formule) et que la guerre que continue de lui livrer la papauté ne cesse pas. L’échec sur ce point des maîtres en religion et en médias est d’autant plus réjouissant !
3-04-2008 Jean-Paul Damaggio
P.S ; : Informations provenant d’articles divers dont celui du 27 avril sur La Jornada mexicaine écrit par Guillermo Almeyra qui tient chronique tous les dimanches : Paraguay, tout dépendra des mouvements sociaux et celui sur Il Manifesto de Maurizio Matteuzzi : la résurrection passe par l’électricité.