Pendant des siècles les Espagnes n’ont fait qu’une, sous la tutelle de la royauté. Avec l’âge des républiques, les Espagnes ne savaient plus trop comment tenir ensemble. Franco est venu imposer son ordre et ce n’est pas par hasard s’il a souhaité confier sa succession à une dynastie.
Même symbolique, le roi est celui d’Espagne. Dans les faits une alternance politique s’est mise en place avec une droite tournée vers le centre et une gauche tournée vers le centre.
L’entrée dans le Marché commun a pu pendant longtemps confirmer cette alternance «douce» d’autant que le pays a été fortement subventionné par l’Europe, comme le Portugal et la Grèce qui étaient dans le même wagon. Mais voilà que le Mur de Berlin tombe, et que l’Europe s’ouvre à l’Est, celle du Sud devenant secondaire. Les trois pays vont entrer en crise à partir de la secousse de 2008 et dans les trois pays un autre type de gauche va naître. Dans la foulée de Syrisa, Podemos et le Bloc de Gauche tentent de sortir des sentiers classiques de la gauche à partir des situations locales.
Pour Podemos qui va naître avec les Elections européennes de 2014 un des défis reste le même que celui des partis classiques pourtant fortement contestés : comment tenir ensemble les Espagnes ?
Podemos est un parti espagnol pour qui l’Espagne reste l’horizon commun, en conséquence, il peut subir des accusations l’assimilant à la droite ou au PSOE. Sauf que Podemos ne souhaite pas un maintien de l’Espagne contre la volonté des nationalités, donc il est d’accord pour le référendum d’autodétermination, ce que ni le roi, ni les autres partis ne peuvent accepter.
Sauf que le débat interne de Podemos, en plus du débat politique général, est traversé par la question des Espagnes.
Ce parti n’est pas né de féodalités locales mais d’une volonté centrale sauf que ça ne le dispense pas d’être secoué par les turbulences.
Les médias ont beaucoup parlé du cas catalan. Podemos restant ferme sur sa double position, difficile cependant à faire admettre dans un contexte de polarisation : non à l’indépendance mais oui au référendum d’autodétermination.
Aujourd’hui le cas de l’Andalousie déplace la question et les élections au Parlement de la région en mars 2019 posent problème.
Ces derniers temps l’Espagne a été réduite au face à face Madrid-Barcelone, comme si Séville n’avait plus rien à dire. Je rappelle qu’en 1992 dans le grand souci d’équilibre du pouvoir central, Barcelone a eu les Jeux Olympiques et Séville la Foire internationale.
Ce qui complique la situation pour Podemos c’est que l’Andalousie a toujours été entre les mains du PSOE (la droite du PSOE parfois plus à droite que la droite elle-même) en alliance plus ou moins stable, avec Izquierda Unida. De 52% en 1982 à 35% aujourd’hui pour le PSOE. Le PP a pris le pouvoir entre 2012 et 2015 suite aux divisions de la gauche. En 2015 le PSOE s’est retrouvé avec 35% et le PP avec 26%. Pour sa première candidature Podemos est arrivé à 14% et IU uni aux Verts à 6%. De plus Podemos en Andalousie est animé par la députée européenne représentante de l’aile dite anticapitaliste, Teresa Rodriguez.
Pour bien comprendre la situation notons par exemple que Pedro Sanchez a pris dans son gouvernement, pour les finances, celle qui s’occupait des finances en Andalousie, acte indispensable pour bénéficier de l’appui de son adversaire n°1 dans le PSOE, Susana Diaz qui dirige… l’Andalousie.
Pour les dernières législatives, Podemos a réalisé une alliance avec IU, une alliance qui n’a pas été concluante puisque les résultats électoraux ont été inférieurs à ceux de Podemos seul. Cette alliance va-t-elle être reconduite aux prochaines européennes ? Le mode de scrutin ne l’impose pas mais le titre d’une liste unitaires a été avancé : Unidas Podemos cambiar Europa.
L’alliance Podemos-IU en Andalousie peut devenir une alliance entre féodalités, par-dessus la direction nationale de Podemos. En conséquence cette direction a mis quatre conditions à cette alliance :
- Que Podemos ne disparaisse pas dans cette alliance. Il est prévu un seul sigle : Adelante andalucia
- Qu’elle se fasse après consultation des adhérents (dans un vote précédent 98% demandaient la présence du sigle)
- Que la direction nationale puisse assister aux négociations
- Que la transparence soit générale.
Tenir ensemble les Espagnes va, dans tous les cas, pour Podemos, devenir un casse-tête. Sur le site politique de ce parti on peut utiliser cinq langues : castillan, basque, asturien, galicien et catalan. Il vient juste d’ajouter l’anglais. Une façon d’afficher une prise en compte des nationalités mais ces nationalités ne peuvent «s’émanciper» de la stratégie centrale. Pas question comme chez les communistes d’hier d’avoir d’un côté un PCE avec sa stratégie et un PSUC avec la sienne. Quant au PSOE c’est un conglomérat de féodalités qui interdisent toute stratégie politique centrale.
Une affaire d’ordre privé, a compliqué les relations entre Podemos et Teresa Rodriguez. Son mari de Podemos, le maire de Cádiz, José María González, dit Kichi, a dénoncé l’achat par Iglesias et sa femme Irene Montero d’un chalet de 600000 euros ce qui lui semble indigne d’un dirigeant de Podemos. Le différent est cependant plus politique : il a soutenu l’indépendance de la Catalogne.
L’apparition de Ciudadanos qui veut rénover la droite au nom de l’Espagne et contre les Espagnes a été un facteur qui a bloqué la progression de Podemos. En Catalogne par exemple, les couches populaires peu catalanistes ont en partie penché vers Ciudadanos quand socialement elles auraient dû, comme pour l’élection de la maire de Barcelone, rester du côté de Podem-Podemos.
Placer au premier plan la lutte sociale, avant les luttes nationalitaires, ne peut pas être simple quand tout l’appareil économique, politique et culturel, répète : l’Espagne d’abord, et la crise après. J-P Damaggio