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Réforme de l’audiovisuel public

Comment une réforme à risque devient en définitive possible…

Par Jacques Cotta & Pierre Delvaux • Actualités • Mercredi 26/11/2008 • 1 commentaire  • Lu 2064 fois • Version imprimable


L’Assemblée Nationale a entamé mardi 25 novembre 2008 le débat sur la loi réformant l’audiovisuel public. Dans les pires conditions. Qui imaginait, depuis l’annonce surprise du Président de la République le 8 janvier 2008 qu’un projet aussi énorme parviendrait aussi tranquillement jusqu’aux parlementaires, sans remous majeurs dans le secteur concerné, et aggravé d’amendements tout aussi tranquillement  transmis par le lobby audiovisuel privé ?  Pourquoi cet immobilisme ?

 

La question se pose toujours des motivations de Nicolas Sarkozy. Pensait-il faire un coup politique supposé populaire ? Il est vrai que de tout temps l’aversion pour la publicité qui vient couper des programmes ou qui contraint à attendre de longues minutes avant leur démarrage est unanimement partagée. Et en mesurait-il toutes les conséquences ? Ou bien s’acquittait-il ainsi du soutien sans faille de ses amis des chaînes privées dans sa campagne présidentielle ? Ceux-ci ne manquent en effet pas. Il s’agit entre autre de monsieur Bouygues patron de TF1, de monsieur Bolloré, le propriétaire de direct 8, de journaux gratuits, et accessoirement du yacht sur lequel le président a pu fêter sa victoire présidentielle, ou encore de son « frère » monsieur Lagardère qui n’a jamais caché son envie de revenir dans le monde de la télévision.

 

Si l’annonce impromptue du Président de la République a provoqué un sentiment général d’inquiétude parmi les salariés de l’audiovisuel public, les réactions officielles ont été diverses dans les médias, dans les partis politiques et dans les syndicats. Ainsi, le Parti Socialiste dénonça la suppression de la publicité alors que la CGT décida de s’en saisir pour réclamer l’augmentation de la redevance, sur le principe « service public = argent public » scandé lors de la première manifestation sur le sujet. Plus largement, l’ensemble des syndicats de l’audiovisuel public ne s’opposa pas à la suppression de la publicité, faisant le choix de réclamer « un financement pérenne ». C’est sur cette base commune que se forma une intersyndicale qui décida de participer à la commission Coppé.

 

Mais que pouvait être un financement pérenne ? De toute évidence la question de la redevance était centrale. La France fait partie des pays d’Europe où la redevance est la plus faible. Or immédiatement, et s’appuyant sur la faiblesse généralisée du pouvoir d’achat qu’il entretient lui-même, le gouvernement annonça qu’il était exclu de lever un « nouvel impôt ». La possibilité d’élargir l’assiette de la redevance à d’autres sources que les revenus des ménages ne fût même pas évoquée. En conséquence, la participation à la commission Coppé revenait à « chercher un truc » pour combler le trou financier prévisible avec la suppression de la publicité, sans poser, sans exiger le seul moyen d’un financement pérenne. Dés lors, le ver était dans le fruit. La participation syndicale à la commission pouvait-elle revenir à autre chose qu’à une intégration ayant valeur de caution ? La stratégie qui aurait été la mieux comprise des salariés de l’audiovisuel et de l’ensemble des Français n’aurait-elle pas été d’exiger immédiatement la suspension du projet, le temps que tous les acteurs sociaux et tous les citoyens puissent élaborer ensemble un projet de financement sûr et accepté de tous ? Un peu à l’image de la Grande-Bretagne où on laissa quatre années à la BBC pour se réformer (avec plus ou moins de bonheur…).

 

La possibilité d’agir efficacement était d’autant plus douteuse pour l’intersyndicale      qu’elle était traversée par une fracture politique. Fracture qui lui préexistait, les syndicats de France Télévisions s’étant au mois de décembre 2007 scindés en deux camps : les uns soutenant objectivement Patrick de Carolis dans sa réforme (lancée avant l’annonce de Nicolas Sarkozy) et les autres le Président de la République en dénonçant unilatéralement les choix du PDG du groupe et les risques sociaux qu’ils entraîneraient. Sur le fond, la plupart semblaient ne pas voir qu’entre la réforme de Carolis et le plan Sarkozy, il n’y avait pas opposition, mais totale complémentarité[1]. En effet, le président de France Télévision annonçait notamment le regroupement de nombreux services de France 2 et France 3, aussi bien dans l’administration que dans pour les programmes, avec par exemple une seule direction juridique, un seul service des sports, une seule unité de programmes jeunesse, etc… La conséquence ne pouvait être qu’évidente. D’ailleurs, avec le temps et à mots couverts, le PDG de France télévision ne s’en est pas caché : départs volontaires, mise en retraite, tout devrait concourir à la diminution de la masse salariale à travers la suppression de postes[2]. Logique : pourquoi maintenir deux, voire trois employés pour s’asseoir sur le même siège ? Mais une telle politique n’était pas sans conséquence sur la nature même des chaînes de télévision publique qui en étaient réduites à devenir des marques, entraînant dans leur disparition en tant que sociétés leur singularité éditoriale et créative et le savoir-faire de leurs équipes. Pour compléter le dispositif, la direction de France Télévision prévoyait la remise en cause de la convention collective, nouveau chantier qui devrait démarrer en janvier 2009. Là encore, nouvelle conséquence pour les personnels : voir rediscutés et sans doute remaniés de nombreux et importants  acquis sociaux arrachés dans le passé.

 

La presse n’a pas manqué d’exposer les petites phrases sarkoziennes contre le président de France Télévision Patrick de Carolis, taxé de chiraquien notoire, et les réponses cinglantes de ce dernier. Il n’en suffisait pas plus pour faire passer au second plan la réalité du dossier. Car l’évidence s’impose : comme Nicolas Sarkozy a décidé la suppression de la publicité et la non-augmentation de la redevance, l’heure va être aux économies drastiques. Et c’est là que le plan de Carolis d’unification de services, de dissolution des chaînes dans le groupe France télévisions et de destruction de la convention collective prend toute son importance. A la clé, les services de l’Elysée et de la ministre Christine Albanel comptent trouver les millions d’euros escamotés du budget de l’audiovisuel public par la suppression subite de la publicité.

 

Et les organisations syndicales dans tout cela ?

Séduite par l’idée d’une sorte de nouvelle ORTF et d’une nouvelle SFP, la CGT de France 3 s’est retrouvée, de fait, en soutien de Patrick de Carolis, voyant dans sa réforme la possibilité de préserver l’essentiel des moyens de la chaîne des régions (avec, tout de même, la disparition de certaines stations locales). En effet, depuis plusieurs mois Patrick de Carolis a en effet pris soin de communiquer abondamment sur la création d’une « filière production » mutualisant à l’intérieur du groupe les moyens techniques. Il s’agissait, pour l’essentiel, des cars de réalisation des grosses stations régionales de France 3, échelon stratégique dans le groupe tant d’un point de vue technique que social.

A l’opposé, la CGC de France 2 s’est déchaînée d’emblée contre les « chantiers » de Patrick de Carolis, s’opposant, dans un premiers temps, à la société unique pour, aujourd’hui, ne plus défendre que la convention collective (comme toutes les autres organisations). Depuis le début de l’affaire jusqu’à aujourd’hui et dans une approche très personnalisée, ce syndicat considère que ce ne sont pas les choix du Président de la République qui posent problème mais ceux du Président de France Télévisions. Quant à Force Ouvrière, ce syndicat s’associe aux journées d’action dans une posture de vigilance impartiale. Le SNJ[3] participe aussi à cette intersyndicale en émettant des critiques aussi bien à l’encontre de Patrick de Carolis que de Nicolas Sarkozy.

 

Si, comme on peut le voir, les appréciations sont pour le moins nuancées dans l’intersyndicale de France Télévisions, l’enjeu se situe entre les deux syndicats occupant des positions stratégiques : la CGT de France 3 influente dans d’importantes stations régionales et la CGC de France 2 bien implantée dans les régies de cette chaîne. Cependant, et à l’évidence pour des raisons opposées, ces organisations n’ont pas cherché à créer les conditions d’un ultime rapport de force, n’engageant les salariés qu’à contacter leurs élus locaux pour faire du lobbying politique. Lors de l’Assemblée Générale du Mercredi 19 novembre 2008, le porte-parole de l’intersyndicale déclarait que cette dernière n’était pas en mesure d’appeler à une longue grève. Peut-être que les salariés ne se seraient effectivement pas engagés dans une action à long terme ? Peut-être au contraire auraient-ils alors pu réaliser l’unité dans la grève reconductible (y compris avec leurs collègues de l’audiovisuel extérieur subissant eux aussi une restructuration à la hussarde) ?  Encore eût-il fallut qu’on leur ait soumis la question en toute responsabilité élective !...

 

Dans ces conditions, on ne voit pas bien ce qui empêcherait Nicolas Sarkozy d’aller plus avant dans sa réforme de l’audiovisuel public. C’est maintenant à l’assemblée nationale, ailleurs qu’au sein de l’audiovisuel avec ses personnels, que la question devrait dés lors se décider. Les amis du Président sont-ils partants pour s’emparer à terme des chaînes, celles-ci ayant au préalable été « dégraissées » pour être rentables ? La majorité politique du Président est-elle prête à aller jusqu’au bout dans un contexte de crise économique où de toute évidence les priorités sont ailleurs ? Les rivalités qui se font jour au sein même de la majorité sur ce dossier le permettront-elles ? Une chose est malheureusement pour l’instant certaine : ce n’est pas « l’opposition » toute gagnée en ces temps de crise à « la lutte contre les déficits publics » qui ouvre la moindre perspective. Pas plus dans le domaine de l’audiovisuel public que dans les autres domaines, notamment les services publics en général. La preuve en est la décision symbolique du PS de réfuter une motion de censure[4] sur la loi audiovisuelle suggérée par François Bayrou...



[1] À l’exception notable du SNJ et du SNRT-CGT de France 2

[2] C’est ensuite sur le terrain politique le porte flingue de Nicolas Sarkozy, Frédéric Lefebvre, qui a exprimé cette volonté de supprimer des postes et de diminuer fortement le personnel des chaînes publiques.

[3] Syndicat national des journalistes

[4] Jean Marc Ayrault a déclaré le mardi 25 novembre, à l’ouverture des débats parlementaires, qu’il n’estimait pas, comme le président du MoDem, que le  texte "mériterait une motion de censure". "S'il y en avait un, ce serait contre la politique économique, fiscale et  sociale du gouvernement et ce qui porte atteinte aux libertés fiscales", a déclaré le responsable socialiste, indiquant par là les limites de son opposition à la réforme gouvernementale.

 


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Commentaires

par regis le Jeudi 27/11/2008 à 02:47

Votre texte me conduit à penser que, de même une fausse opposition politique permet à des projets réactionnaires d’aboutir, les responsables syndicaux par le biais du « dialogue social » jugé incontournable agissent de façon identique.

La technique des commissions (à la poste, dans l’éducation nationale notamment) vise à discuter de choses raisonnables entre gens raisonnables et…loin des salariés appelés éventuellement à une journée d’action pour relâcher la soupape ou soutenir l’action des « responsables ».

La pratique syndicale est pervertie depuis longtemps : quel syndicat, convoqué par la direction refuse de « discuter » (ça n’engage à rien dit-on) ?

Par ailleurs, pour avoir connu le problème, on peut sérieusement s’interroger si le but poursuivi ici n’est pas le premier pas vers une privatisation (pour faire face à un besoin d’argent, faire appel, le moment venu, au marché ?).



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