Trump, Poutine, et quelques questions
C’est avec promptitude qu’on assiste ces derniers jours à un emballement pour le moins préoccupant.Donald Trump, qui à l’inverse de Hillary Clinton, semblait réticent à plonger dans un tel bourbier, fait monter la pression jusqu’à annoncer « de façon imminente » l’envoi de ses missiles sur la Syrie.
La Russie de son côté, alliée d’Assad, avertit. Des missiles qui viseraient tout autre site que « ceux occupés par les rebelles » seraient considérés comme une agression directe.
Chacun montre ses muscles. Chacun pense peut-être se trouver engagé dans une partie de poker menteur. Mais pourtant, jamais la situation n’a été aussi inquiétante.
- De la part de Trump d’abord, qui sait pertinemment que s’engager dans une opération militaire en Syrie rendrait inévitable une confrontation avec la Russie notamment, et participerait à une déstabilisation de cette partie du monde avec des risques d’extension difficilement maitrisables.
- De la part de Poutine aussi. Si les russes connaissent vraisemblablement la teneur des armes utilisées par l’armée régulière syrienne, comme d’ailleurs par les rebelles eux-mêmes, s’ils étaient en mesure -au cas où- de condamner le régime d’Assad qu’ils soutiennent, ils demeurent officiellement dans l’expectative, dans l’incertitude. Leur inertie aurait pu être comprise comme un appel à Trump pour prendre la relève. Mais en même temps leur présence sur les lieux rend pratiquement impossible toute absence de réaction en cas de mise à exécution des menaces américaines.
Macron plus transparent
Emmanuel Macron a le mérite de la transparence. Contrairement aux chefs américains ou russes, ses motivations semblent d'abord déterminées par une situation intérieure exécrable.En but à la grève des cheminots, qui en période de vacances scolaires ne suscite pas les réactions d’hostilité espérées par le pouvoir, en but à une situation de mécontentement dans les universités contre « Parcoursup » qui mène à des grèves, blocages, occupations qui débordent le seul cadre étudiant pour atteindre aussi et surtout le milieu enseignant du supèrieur, en but à un divorce consommé avec les retraités atteints par la CSG, Emmanuel Macron a montré sa volonté de tout saisir pour tenter de détourner l’attention générale. Il a d’abord usé des évêques, reléguant Nicolas Sarkozy dans ses déclarations anti laïques loin derrière lui. Il a ensuite usé de Notre Dame des Landes et de l’évacuation de la ZAD comme point de fixation médiatique. Il a enfin convoqué la presse, TF1 d’abord, et l’homme de la proximité avec la france profonde qui présente chaque jour à 13h les clochers de france, Jean-Pierre Pernaut, pour tenter un « exercice de pédagogie ». Puis il a prévu Bourdin, le va-t-en guerre déclaré face à Adrien Quatennens le 11 août, dans une ITV ou comptaient plus les mimiques de réprobations que les réponses apportées, et Edwy Pleynel, le confrère à l’image contestataire lorsqu’il conteste -peut-être sans s’en rendre compte- la république en légitimant sans recul les Ramadan et autres frères musulmans. Emmanuel Macron donne de sa personne, au risque d’ailleurs de s’exposer. Mais cela suffisait-il? Apparemment pas.
Quelques jours avant sa déclaration de soutien à Trump et à l’OTAN, il recevait le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane par ailleurs visé par une plainte pour complicité d'actes de torture au Yemen. Lorsqu’on connait l’axe entre l’Arabie Saoudite et Israel dans cette région du monde, les menaces répétées contre l'Iran, on ne peut que s’interroger sur la teneur des discussions entre Jupiter et le prince. Puis l’Elysée annonçait avec fracas les échanges entre Trump.
Ainsi, la France qui devrait user de son influence pour calmer le jeu, pour promouvoir toute solution possible autre que la guerre, qui devrait en faire une affaire de principe, se retrouve à la remorque des USA dans une aventure, répétons le une fois encore, dont tout le monde peut aisément envisager le départ, mais dont nul n’est capable de prévoir l’issue. La France engagée par ses plus hautes autorités non pour des considérations morales mais pour de simples raisons opportunistes de politique intérieure. Car si la considération morale devait présider, si le "droit d’ingérence" avait pour justification le bien-être de populations éloignées, il faudrait s’interroger sur des amitiés à géométrie variables. Macron accueille Erdogan, le dictateur Turc qui se voit à la tête de l’empire Ottoman. Macron réaffirme aussi ses amitiés avec les grandes « démocraties » que sont les régimes du golfe, le Qatar, l’Arabie saoudite et autres émirats qui financent et organisent frères musulmans et autres groupes dont on parle régulièrement au chapitre terrorisme…
Retour sur la propagande…
Et si tout cela venait de loin. Rappelons-nous. Il y a eu l’affaire de l’espion russe, le renvoi des représentations diplomatiques, le début d’une organisation des tensions pour arriver au point ultime… Sous fond d’affaire d’espionnage digne des meilleurs James Bond, voila que la Russie a été désignée par Theresa May ennemi n°1 des démocraties. Le Russe qu’on retrouve sur le banc des accusés pour la réélection de Poutine à la présidence avec un score sans contestation possible et pour sa présence aux côtés de Bachar El Assad dans la Ghouta orientale… Et nous voila retrouvés au point de départ…C’est alors que Le Media -çà manquait au tableau- a été remis dans la tourmente médiatique.
Après l’exploitation des difficultés rencontrées depuis son lancement -le départ d’Aude Rossigneux suivi de l’épisode Mamère et des déclarations des différents soutiens de Benoit Hamon- tout cela commençait sérieusement à tourner de façon ridicule en boucle, il fallait régénérer les arguments. La Syrie et El Khal -journaliste du média qui expliquait la nécessité d’avoir des sources fiables avant de diffuser des informations et images témoins d’attaques chimiques- permettaient de reprendre la fronde dans un double objectif.
- D’abord affaiblir « le Media » dont les prétentions de traitement de l’information autrement sont jugées insupportables par l’oligarchie qui possède journaux, télévisions, radios, édition. L’exemple de la grève SNCF est illustratif. Les grands patrons qui préfèrent entendre râler les « clients » pour casser la grève trouvent insupportable une chaîne qui donne la parole aux cheminots et se fait l’écho de marques de solidarité d’usagers qui bien que « dans la galère » comprennent et soutiennent.
- Ensuite et surtout pousser l’opinion dans le sens préparé, voulu, appelé par les grands groupes financiers. La guerre, voila le but camouflé derrière l’humanitaire, pour ouvrir de nouveaux marchés, créer les conditions d’une nouvelle accumulation, régler de la sorte quelques « différends » sociaux sans avoir à discuter, à négocier.
« Ce n’est pas si grave, ce sont des frappes aériennes, pas des troupes au sol qui seront engagées », voulait rassurer un chroniqueur sur LCI. Absurdité, bêtise, volonté délibérée d’en découdre, ou tout cela à la fois. La guerre demeure toujours la guerre avec ses cortèges de misères, de malheurs, d’atrocités… Cela pourrait passer par pertes et profits si encore en découlait une solution viable. La situation n’appelle pas la guerre et sa généralisation car elle exige des solutions politiques, notamment autour des discussions difficiles mais incontournables qui se mènent à l’ONU, et dont les Etats-Unis et ses alliés annoncent déjà qu’ils sont prêts à s’affranchir. Les mêmes, politiques, journalistes, chroniqueurs, qui hier condamnaient Villepin dans sa résistance aux USA sur l’Irak, exprimée dans son discours à l’ONU, refusant les frappes et la guerre, qui ensuite ont fait autocritique, approuvent aujourd’hui Macron. On connait la suite…
Jacques Cotta
Le 11 avril 2018