Je ne veux pas entrer dans une discussion de spécialistes des choses constitutionnelles. Il y a une question décisive et qui pourtant ne semble guère poser de problème, celle du mode de scrutin. C’est elle qui concentre ce qui est en cause. La première mesure prise par De Gaulle dès son retour au pouvoir fut la suppression de la représentation proportionnelle et l’instauration du scrutin uninominal à deux tours pour élire les députes. Résultat garanti : aux élections de novembre 1958, l’UNR gaulliste avec 28% des voix obtient 189 députés, le PCF avec 20,1% en a 10. Avec 13% la SFIO obtient 40 députés, les centristes et indépendants en ont 139 avec 18%… Le système a un but : organisé un bipartisme qui se résume à une alternative entre la droite de droite et une gauche « raisonnable », une gauche au fond d’accord avec les grands principes de la droite. Pour que le système atteigne cet objectif, il a fallu une bonne trentaine d’années. Nous y sommes.
Le deuxième élément clé de la constitution de la Ve république, plus peut-être que les pouvoirs particuliers du président, réside dans son mode d’élection. C’est un mode plébiscitaire dans lequel tout choix se résume à savoir si on est pour ou contre le bonaparte ou le postulant bonaparte. On pourrait penser que le choix direct du chef est démocratique en ce sens qu’un fait majoritaire peut se constituer. Il n’en est pas du tout ainsi. Condorcet avait déjà souligné le paradoxe du vote.
- - 1 préfère A à B et B à C donc A à C
- - 2 préfère B à C et C à A donc B à A
- - 3 préfère C à A et A à B donc C à A
Une majorité donc préfère A à B et B à C. Donc on pourrait que la majorité préfère A à C. Mais en fait une majorité préfère C à A. C’est de cette manière que se retrouve élu. On reconnaît ici la mécanique qui permet à un candidat ayant moins de 1/3 des voix de pouvoir se prévaloir du titre de représentant de la majorité des citoyens (il suffit de remplacer A par Bayrou, B par Royal et C par Sarkozy pour comprendre l’élection de 2007). Quand on élit un parlement au scrutin proportionnel, le peuple, dans toutes ses composantes, est représenté au Parlement. Quand on élit un parlement au scrutin uninominal, la représentation est scandaleusement déformée mais il reste une petite chance que les fractions minoritaires ou plus radicales du peuple puissent se faire entendre. Mais avec l’élection du président, suivant le principe « le premier ramasse la mise », il ne reste rien de la représentation. L’élection du président au suffrage universel est par construction une escroquerie politique gigantesque visant à exproprier la majorité du peuple. C’est à cette escroquerie que la prétendue « gauche » donne sa caution.
Il suffit donc d’étudier les modes de scrutin pour comprendre que la Ve République est non pas une démocratie mais une oligarchie. Par conséquent, savoir si le président peut venir parler à l’Assemblée ou non, savoir qui nomme le directeur de la villa Médicis, etc., ou même savoir s’il faut corriger l’élection des sénateurs, tout cela n’est qu’un rideau de fumée destiné à aveugler les citoyens sur la réalité politique du pays.
S’il y avait une gauche dans ce pays, elle proposerait la suppression de la présidence de la république (ou à un président élu par les parlementaires avec uniquement une fonction de représentation) et l’élection du parlement au suffrage proportionnel intégral. Malheureusement, il n’y a plus de gauche dans ce pays.