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Une société malade

Sur l'Italie aujourd'hui

Par Gianfranco La Grassa • Internationale • Dimanche 29/06/2008 • 0 commentaires  • Lu 2773 fois • Version imprimable


L’article de Gianfranco La Grassa [1] publié ici est traduit de l’italien. Il a d’abord été publié le 19 juin 2008 sur le site Ripensare Marx. Les lecteurs feront d’eux-mêmes les parallèles qui s’imposent avec la situation française.

 

1. Entendons-nous bien : je ne crois pas que la lune de miel du centre-droit pourra durer très longtemps. Qu’il soit clair que ce que j’exprimerai dans ce qui, suit ce sont des convictions hypothétiques, fondées sur des signaux à partir desquels je construis des enchaînements rationnels ; cependant, non seulement, les évènements concrets ne se déroulent pas toujours ainsi, mais, par-dessus tout, je ne possède pas de boule de cristal, je n’ai pas de rapports privilégiés avec les milieux politiques importants et les services secrets, et donc je pense en faire déjà trop par rapport aux banals répétiteurs de lieux communs simplement entendus à la Tv, dans les médias, dans les discours des « gens ».

Il existe dans le centre-droit plusieurs attitudes, même contradictoires, des sensibilités différentes face au problème qui intéressent en tout cas ce qu’on appelle l’opinion publique (généralement très superficielle dans ses états d’âme), mais ces attitudes n’ont pas de valeur stratégique authentique, surtout pour ce qui regarde un minimum d’autonomie du pays par rapport à l’UE et encore plus par rapport aux USA. Berlusconi, pour le dire « affectueusement », me semble un peu couillon mais ne me semble pas « en avoir » ; il ressemble trop à un flasque démocrate chrétien d’autrefois, de ceux qui naviguaient, certes avec beaucoup de fourberie, mais à vue. Les temps sont aujourd’hui encore plus durs et ils vont aller encore en se durcissant et je ne crois pas qu’il y ait des marges pour les médiations longues et complexes.

Un des premiers nœuds qui devrait être passé au peigne fin semble être celui d’Alitalia. Jusqu’à présent, nous sommes parvenus sans difficulté à comprendre que la vente à Air France était une authentique braderie - avec des pertes de postes de travail supérieures aux 2000 déclarées et avec le drastique redimensionnement de Malpensa - voulu par le chef du gouvernement précédent et ses ministres chargés des questions économiques. En tenant compte du lien, toujours discuté, entre Prodi et Bazoli (Intesa), on s’est trompé relativement à cette affaire puisque la banque en question semblait s’être rangée derrière AirOne pour l’acquisition de notre compagnie nationale. Pourtant, il est impossible de tenir compte de tous les jeux et contre-jeux - couverture, tromperie, détournement de l’attention - qui existent dans tous les camps politiques aussi bien qu’économiques. L’opération, de toute façon, était déjà engagée avec un appel d’offres feint qui contraignaient tous au retrait, sauf les Français ; rien de plus facile que même Intesa, avec son appui « convaincu » à AirOne fasse partie du jeu pour jeter de la poudre aux yeux. Donc, faisons maintenant très attention à ne pas tirer d’autres conclusions erronées du fait que la même grande banque a été nommée advisor (« conseillère » et chargée d’opération) par le nouveau gouvernement pour Alitalia (je parierais sur une chose : que Bazoli et Passera ne sont pas devenus à l’improviste des amis de Berlusconi, d’autant plus qu’ils insistent sur le désastre que subit la compagnie aérienne et que vraisemblablement, ils se feront les porteurs d’eau pour la vente de la compagnie ou la faillite qui en sera le prélude). D’ailleurs, personne ne semble non plus voir cette « coalition italienne » composée sur le papier, il y a quelque temps, par tant de volontaires modestes souscripteurs qui, tous ensemble, ne donnent pas de garanties d’un quelconque plan industriel de relance, à part mettre ensemble un capital de redémarrage pas non plus trop consistant.

J’ai cité Alitalia, mais il ne me semble pas que pour l’instant on aille beaucoup au-delà des paroles (certes, plus énergiques que d’habitude mais pour le moment ce ne sont que des paroles) sur la sécurité, sur les ordures napolitaines, sur la réforme de l’efficacité des administrations publiques, la lenteur des procès et la « mauvaise justice », surtout les besoins en énergie satisfaits par la reprise du nucléaire et la construction d’au moins 4-5 regazéifieurs, alors qu’on soutient vouloir rediscuter des accords de Kyoto sur les émissions de CO2. On sait bien qu’il n’y a pas un éventail de données ; on en peut toutefois citer deux, diffusée par la confédération de l’artisanat relativement au seul secteur des PME (petites et moyennes entreprises), données qui pourraient peut-être être significatives. Le déficit dans le secteur des transports (en se référant seulement à la somme des déficits d’Alitalia, Trenitalia et Anas) vogue autour des 7,6 millions d’euros par jour, avec une vitesse de 300.000 à l’heure ; seule la vitesse de la lumière lui est supérieure puisqu’elle est de 300.000 à la seconde (mais il ne s’agit pas d’euros). La mauvaise justice au contraire coûterait aux PME 2,3 milliards par an.

Ceci dit, nous sommes encore loin des problèmes centraux relatifs aux stratégies du « système-Italie. » Il est nécessaire de décider comment les mettre en œuvre : avec quels secteurs porteurs et de pointe, avec quel type d’autonomie relativement aux politiques des autres pays (en particulier de celui qui est aujourd’hui prédominant et le sera encore probablement pour longtemps), avec quelle articulation entre capital industriel et financier et avec quelle autonomie de la finance relativement aux complexe politico-financier étatsunien (une autonomie aujourd’hui manquante, de type vaguement « weimarien »). Enfin, même les néo-libéristes [2] savent que sont nécessaires une série de règles de fonctionnement de l’économie dite de marché ; si, ensuite, on abandonne l’économisme, typique tant des libéraux que des « marxistes de la chaire », en passant par toutes les nuances intermédiaires des différentes écoles économiques (les sciences « sociales » les plus arriérées qui soient), on se rendrait compte que les règles, si on ne s’arrête pas au banal formalisme juridique, concernent de manière particulière les conflits entre groupes dominants (à l’intérieur du pays et dans ses rapports internationaux) ; et c’est donc ici qu’on doit éviter une série de fausses oppositions entre secteur « public » et secteur « privé », l’élément de travestissement idéologique le plus dangereux qui soit en circulation depuis un siècle et même au-delà.

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2. Les prémisses nécessaires étant posées, il est décourageant de constater que, pour la énième fois, après une brève période de (quasi) sage examen de conscience, le centre-gauche - encouragé comme d’habitude par la gauche radicale la plus insensée qui existe - a recommencé sans mesure à concentrer tous ses papiers sur la diabolisation d’un seul homme, l’habituel « homme noir », le fasciste masqué. D’autre part, le défaut « était dans le manche », le fait d’avoir rédigé le seul accord électoral avec un parti obtusément et salement réactionnaire comme celui de Di Pietro [3], était extrêmement indicatif ; et je suis satisfait d’avoir soutenu, jusqu’à il y a peu, qu’une certaine modération du PD, relativement à sa précédente bruyante et sotte polémique, était purement tactique, concernait la tentative de se différencier un peu de cette formation qui avait donné vie au gouvernement le plus désastreux de l’histoire de l’Italie, afin de tenter de rapporter à la maison un résultat honorable. Vu que les choses ne se sont pas passées ainsi (et les élections successives à Rome et en Sicile ont démontré l’inanité du tour de passe-passe ainsi tenté), ils en sont à suivre sans retenue ces désastreux personnages qui, outre le suscité magistrat symbole de la plus folle opération accomplie par la magistrature en Italie (mani pulite), répondent aux noms de Scalfari, Travaglio, Furio Colombo, les politologues du Corriere, les organisateurs de ronde et compagnie. Naturellement, la gauche radicale, chassée avec infamie du Parlement, est en état fibrillation parce que l’odeur de la poudre lui fait croire qu’elle peut retourner sur la crête de la vague ; il semble donc vrai que « les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre ». Nous sommes vraiment au bout. Il existe plus désormais un seul cerveau dans cette formation ; même le fameux D’Alema s’est montré tel qu’il a toujours été : un nain politique envieux et présomptueux, avec une culture de pouilleux qui est celle dont je me souviens bien quand, à Pise, dans les années 68 et suivantes, et alors qu’il avait encore vingt ans, il était avec Mussi le seul de la Fgci [4] qui soit resté (un coup certes fourbe, mais seulement par un politicien habitué aux manœuvres de pouvoir « petit petit » ; en 1973, il état déjà secrétaire de la fédération « pécéiste » [5]de ville). Le problème n’est pas que cette gauche (dans tous ses « courants ») soit sur le plan politique et sur celui du gouvernement aussi pire que la droite ; plus ou moins, nous en sommes là. Toutefois, la dégradation culturelle et politique est épouvantable ; quand on n’a pas un programme qui en soit un, et qu’on se limite à indiquer une seule personne comme ennemie pour cimenter l’instable unité d’action, il est évident que l’on a dépassé toutes les limites de la décence et de l’inintelligence : nous en sommes à une maladie mentale qui se prolonge - grâce aux classes « gauche » de la « petite bourgeoisie », dédiées aux travaux inutiles, classes caractérisées par une boueuse demi-culture demi-intellectualiste, mille fois pire que la culture peut-être moindre de ceux qui au moins contribuent à produire et à distribuer des biens nécessaires à la vie de la population - dans une maladie de la société.

On ne voit rien à l’horizon qui soit en mesure la guérir, même en empoignant un instrument adéquat pour exécuter une profonde incision avec excision du tissu malade. Nous risquons ainsi de mourir, c’est-à-dire de prolonger au-delà des limites du supportable cette situation de putréfaction et de métastases, pour laquelle un processus de renaissance (s’il était encore possible) serait extrêmement douloureux. Personne ne voulait me croire il y a seulement même deux ans quand j’affirmais que la gauche - dans toutes ses formations mais avec des modalités plus ou moins pourries et en putréfaction au fur et à mesure qu’on se déplace vers celles qui sont apparemment les plus extrêmes - était de loin le pire péril, et donc à abattre, à extirper jusqu’à ses racines ultimes, et certainement pas à refonder de quelque façon que ce soit. Qui ne s’en est pas rendu compte aujourd’hui n’est plus récupérable sur ce point.

Je ne le dis pas, que cela soit clair, en tenant pour léger et insignifiant l’obtuse et grossière politique réactionnaire et encore anticommuniste de beaucoup de gens de droite ; je suis même de l’opinion que ce n’est pas à elle de régler les comptes, elle qui doit répondre de sa face mauvaise et reconnaître avec fermeté que le vieux communisme n’a jamais provoqué les dégâts, jamais commis les crimes horribles des libéraux, qui non seulement l’ont été en paroles, mais ont massacré, exploité, commercialisé les hommes, agressé et occupé les territoires des autres, les dévastant et pratiquant la terre brûlée avec des bombardements sauvages et des assassinats (y compris nucléaires : ils sont les seuls à avoir usé de telles armes et ils sont donc hypocrites en plus d’être des bandits), etc. Ils ont, en somme, commis les plus horribles « crimes contre l’humanité », pour cela il faudrait un autre tribunal de Nuremberg pour eux !

Maintenant, cependant, je ne parle pas en général, je me réfère, beaucoup plus modestement, à la situation en Italie dans la phase historique actuelle. Et c’est ici que se sont produits les dégâts qui ont conduit aux métastases que j’ai soulignées. Le PCI est passé dans l’histoire comme le meilleur parti communiste d’occident. Erreur gravissime ! on confond une duplicité tacticienne et l’adhésion au démocratisme hypocrite, qui cachent la « meilleure forme » (et la plus exploiteuse) des diverses « dictatures bourgeoises » (comme le dit Lénine), avec la voie maîtresse, et populaire, pour accéder pacifiquement au socialisme. Le « parti de masse » est devenu à l’inverse le principal canal de l’invasion du parti par une marée de petits bourgeois opportunistes et clientélistes ; ces « petits bourgeois » dont le grand Pasolini avait compris qu’ils étaient - véritablement en voyant leurs rejetons soixante-huitards, donc ceux qui étaient apparemment les plus radicaux - les individus les plus dégoûtants qui soient, véritable « mutation génétique » du genre humain (s’il en existe un), qui n’ont aucun caractère insigne (et bien cela s’était vu assez si on prend l’année 77 et ce fut pire encore dans les décennies suivantes).

Au fond, les petits partis communistes européens (et des pays capitalistes avancés) ont été moins immondes. Ils ne pouvaient accomplir aucune révolution pour n’avoir pas pris acte de ce que le signataire de ce texte soutient depuis des années, relativement à l’inexistence de la Classe, prêchée depuis plus d’un siècle, au mépris de ses faillites réitérées, ce sujet de la révolution avec transition vers le socialisme et ensuite vers le communisme (« le mouvement réel qui abolit l’état de choses présent »). Toutefois de tels petits partis - bien que se sclérosant et se réduisant à de petites églises porteuses d’une « religion » qui ne peut même pas promettre une autre vie meilleure que celle que nous sommes contraints pour toujours de supporter ici et maintenant - ont à la longue maintenu un caractère plus populaire et plus sain. Le PCI, à l’inverse, est devenu graduellement la « foire aux horreurs » de la classe moyenne dont on a parlé plus haut : semi-inculte, semi-intellectuelle, petitement banale, politiquement tolérante par surmenage, un indigne mélange de catholicisme mineur et bricolé (privé de cette très grande tension morale qu’eurent, précisément, les Pasolini, les Bresson, avec derrière eux Bernanos, etc.), de radicalisme de pure habillage, aussi dégénéré et vomitif, de WWF pour toutes les « diversités » à traiter ouvertement comme telles pour pouvoir mieux les encadrer et donc s’en servir pour créer un cadre social de « grande maladie » presque terminale, de vulgarité absolue et méprisable, etc. Berlusconi n’a pas été en effet la cause de la décadence du goût et des mœurs, il a été l’entrepreneur qui en a profité pour gagner avec elle, mais le climat d’inculture et de dégénérescence morale, politique et des mœurs est à mettre au « mérite » de la gauche .

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3. Toutefois, la profonde dégradation subie par la société italienne, qui ressemble aux autres pays de la « civilisation occidentale » mais en est aussi assez différente, est véritablement due à cette particularité du PCI qui non seulement est graduellement devenu « pécéiste » (à cause de ces incompréhensions théoriques et pratiques que j’ai souvent soulignées, seul ou en commun avec Preve), mais il s’est transformé en « la gauche ». Il l’est cependant devenu sans jamais réussir néanmoins à accéder à un statut réellement social-démocrate, il l’est devenu en entraînant derrière lui toute la vieille classe petite-bourgeoise du « parti de masse », avec toutes ses malformations propres à faire émerger un cadre dirigeant de politiciens immondes habitués seulement aux manœuvres de palais, privés d’idées programmatiques (que le vieux cadre pécéiste était au moins possédait) et sans la pratique concrète de l’entrepreneur qui a quelque inventivité même si ce n’est pas toujours exaltant (et le vieux cadre pécéiste, amendolien [6], des entrepreneurs, il en a produits : les « ingraiens » [7] ont été le véritable véhicule des dégénérescences dont je suis en train de parler). Un groupe d’homoncules politiques dirigeant une dégénérescence difficilement constatable dans d’autres pays. Ils ont trouvé le moyen de vivre à l’œil au dépens de nous tous, avec une torve politicaillerie ; autrement qui sait ce qu’ils seraient devenus (j’en ai une idée, mais je préfère ne pas courir le risque de la querelle).

Ici on arrive à un nœud véritable et essentiel, que ce blog (ou mieux le site) devra bien affronter un jour. Il est nécessaire de reconstruire les pièces de notre histoire d’après-guerre ; en portant une attention particulière à ce qui est advenu après « la chute du mur » et cette cochonnerie d’opération dénommée mani pulite, opération de pouvoir pour démanteler le vieux bloc social et pour en mettre sur pied un nouveau beaucoup plus parasitaire et plus soumis aux États-Unis (au-delà des différents accents de pure forme, plus sincère et nette est la subordination de la droite, plus hypocrite mais plus dangereuse celle de la gauche, dans toutes ses variantes et travestissements, y compris pacifistes, non violents, philo-arabes et anti-israéliens, etc.). Aujourd’hui est passée dans la conscience des personnes qui raisonnent un minimum l’idée que la classe politique contemporaine est nettement pire que celle (démocrate chrétienne et socialiste) d’avant le tournant des années 90. Cette histoire qui est la nôtre à analyser à nouveau. Ici je me limite à quelques battues (qui seront tout autant mal comprises par les débiles de la gauche ; mais je les méprise tant que je m’en moque). Au-delà du bloc social construit par la DC dans les années précédant le boom, un bloc de nature encore agraire et paysan de manière prédominante (y compris les paysans pauvres des régions blanches [8] ), il a existé un ciment très important pour la formation de pouvoir : l’industrie dite d’État, celle déjà créée par le fascisme avec l’IRI, et que la DC par le travail de quelques génies entrepreneuriaux comme Mattei, a étendu avec la création de l’Eni et ensuite avec la nationalisation qui a conduit à l’ENEL (ce mouvement requiert une enquête soignée étant donné qu’il coïncide avec l’arrivée du gouvernement de centre-gauche et donc la récupération définitive des socialistes, pour toujours séparés des communistes, qui de ce moment environ accentueront leur transformation en pécéistes en tant que phase de transition de la dégénérescence de la gauche, initiée par Berlinguer et accélérée après mani pulite ; on renvoie comme en écho à tout ceci).

Au-delà du caractère obligatoire de l’opération liée à la crise de 1929 et aux faillites industrielles et bancaires des premières années 30, l’opération IRI fut, au moins objectivement, prévoyante et positive ; mais non parce qu’elle aurait été le fait de la « main publique » comme le pensent les « radicaux » de la gauche encore aujourd’hui. Politique et économie se donnèrent la main mais la dernière maintint son autonomie (Beneduce à la Banca d’Italia ou Mattioli à la Commerciale ne furent pas de simples exécutants du fascisme ; un Mattei, mais aussi d’autres de l’Iri ne suivaient comme des marionnettes les directives des gouvernements démocrates chrétiens). L’important est de comprendre que, de toute façon, l’intrication entre les deux sphères rend seulement plus étroite la connexion entre les deux éléments clés de toute activité économique (dans ses deux partitions, financière et productive) : a) il existe une sorte « d’infanterie » qui avance en stabilisant des positions et têtes de pont, hors de toute métaphore stabilisent des aires de relations variées, même au moyen de la corruption, de la création de clientèles, en favorisant (aussi avec de personnels différents) des courants politiques et donc de pouvoir qui peuvent être utiles dans de nombreux contextes, attirent des secteurs extérieurs du même type qui sont indispensables aux stratégies externes, etc. ; b) ensuite arrivent les « batteries lourdes » et les « troupes cuirassées », c’est-à-dire la véritable activité économique, plus ou moins efficace et plus ou moins bien conduite et donc avec des effets différents de plus ou moins grand renforcement de tel ou tel groupe dominant, mettant en œuvre une stratégie plus ou moins ajustée.

Ce n’est pas simplement à l’époque capitaliste, mais dans toute époque - surtout si une communauté n’est pas close sur son particulier, si elle n’est pas de pure subsistance et d’autoconsommation - il n’y aucun développement social ni économique sans croissance de la puissance et n’y a pas de croissance de la puissance sans l’arrivée de « l’infanterie » et des « premiers commandos ». Le moralisme est soit un dommage qui provoque le naufrage qui n’est pas entièrement close sur elle-même ou de simple subsistance, soit un moyen différent, fondé sur l’hypocrisie et la fiction, au moyen duquel des blocs donnés des groupes dominants en mettent d’autres dehors (exactement comme ce qui est arrivé avec mani pulite, opération particulièrement honteuse pour le simple motif qu’elle a consenti l’accès au pouvoir des pires groupes dominants italiens, parasites de la plus belle eau, comme la bien connue GF&ID [9]).

Nous disons que, durant le fascisme et, avec des modalités diverses durant le gouvernement DC (élargi ensuite aux socialistes) le secteur étatique de l’économie - en tant que société mixte de cette dernière et de la politique, avec intrication et autonomie relative réciproque - a fonctionné autant avec l’infanterie qu’avec les batteries lourdes et troupes cuirassées. Toutefois, on peut admettre que dans trop de cas, surtout après-guerre avec la DC - pas tant cependant avec l’Eni, Enel, Ansaldo et autres entreprises, alors que la situation fut différente et pire dans le secteur bancaire - il y a eu une certaine prédominance du régime de corruption et de clientèle, d’embauches dues aux pressions excessives, de financements pour arroser différentes activités même criminelles, etc.. Toutefois, sans une étude adéquate, indépendante des journaux et des éditeurs financés par ceux qui ont jeté à bas ce régime pour en édifier un autre encore pire, il ne sera pas facile de séparer le grain de l’ivraie. La classe intellectuell(oïd)e des dernières décennies s’est laissé corrompre dans une mesure jamais constatée auparavant dans notre histoire : ainsi nous devons aller précautionneusement. Surtout, « tuons » avant tout les « moralistes » (aussi immoraux, les autres ne le sont jamais !).

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4. Il semble que personne n’ait noté la contradiction. La vague « moralisatrice » (immorale) des premières années 90, conduite par une magistrature qui était comme la pointe de diamant d’un nouveau bloc de pouvoir, qui recevait une aide ample d’outre-océan, conduisit au sommet de la politique (c’est-à-dire un sous-sommet au service de la GF&ID en formation ou encore le petit establishment regroupé en bonne partie dans la Rcs [10] la majorité des pécéistes, ceux qui désormais ont dégénéré en une gauche (non social-démocrate au sens propre) de très bas niveau éthique et de capacités politico-gouvernementales extrêmement minces ; renégats prompts à obéir aux volontés de qui les a portés à la place de la coalition Dc-Psi, en les sauvant du désastre général du pécéisme après « l’effondrement du mur ». Un personnel tellement faible que l’auteur de ce texte, en commun avec Preve, n’a eu aucune difficulté à l’identifier comme le protagoniste d’une dégénérescence de notre tissu politique (et économique) dont nous avons écrit tous les deux à la fin de 1994, Il teatro dell’assurdo [11].

Incroyablement (en apparence seulement), ce furent véritablement ces personnages avec peu de qualités, qui acceptèrent la « grande » saison des privatisations portée en avant par un surévalué et encensé (et pour cause) « homme de l’économie », ce Ciampi - arrivé ensuite, je ne sais si c’est pour le récompenser (je n’ai pas d’élément à ce propos) jusqu’à la présidence de la république - qui remplit pour le nouveau bloc de pouvoir, une fonction peut-être encore plus importante que celle, postérieure, des Padoa-Schioppa [12] et Visco (et évidemment Prodi). Pensez : les « étatistes » du Pci, ceux de la supériorité du « public » sur le « privé » devinrent les garants des privatisations massives. Et les gauches « radicales » - avec de continuelles convulsions refondatrices, petit à petit toujours plus minoritaires et plus plaintives, avec de continuelles résistances à la renonciation aux noms purs et aux symboles du passé, désormais souillés par eux-mêmes avec leurs menées honteuses et opportunistes, toujours à la bouche la même écœurante supériorité du « public » (je cite à peine la feinte fidélité à la Classe parce que j’éprouve trop d’horreur en pensant à leur hypocrisie abjecte) - firent toujours la pantomime pour soutenir le formation de centre-gauche, au moment même où ils cédaient toujours plus à ce nouveau bloc de pouvoir. En somme : une gauche servile, sordide comme ne l’avait jamais été, dans sa longue histoire de dégradation, ce courant de la « démocratie bourgeoise ». Il n’y a pas de trahison à l’époque de la Grande Guerre, il n’y a pas de plein appui à la purulente République de Weimar, qui puisse égaler le caractère mesquin, la grossièreté et la vulgarité, la saleté (bien illustrée par les déchets napolitains dont elle est responsable en premier lieu), de notre gauche, dans toutes ses composantes (je parle toujours de l’Italie dans cette phase historique, ne l’oubliez pas !).

Avec les privatisations, avec le démantèlement de l’industrie et des banques publiques - toutes choses indispensables pour désagréger le vieux bloc de pouvoir Dc-Psi - le concept de « public » a subi un changement total. Tout d’abord, au moins en partie, il signifiait l’intrication entre la politique et l’économie pour la corruption et le clientélisme, mais aussi comme « infanterie » pour les avancées successives de la production et du développement. Après mani pulite et l’arrivée du nouveau personnel politique asservi à la GF&ID, le « public » a signifié seulement corruption et clientélisme pour les classes improductives et inutiles, les saccageurs de la richesse italienne, les soutiens du nouveau bloc de pouvoir qui s’est montré toutefois incapable de créer un nouveau bloc social comme finalement on commence à le noter jusqu’avec la séparation des classes ouvrières - pour ne pas parler des travailleurs indépendants - d’avec la gauche, d’avec ces dévoreurs et dilapidateurs de la richesse nationale.

Nous avons vu encore plus « nains et ballerines » qu’avec Craxi ; un rassemblement de travailleurs (si on peut dire !) qui vivent arrosés de financements publiques ; artisticules à quatre sous (mais pleins d’eux-mêmes), organisateurs de festivals et de spectacles de « variétés (in)humaines », opérateurs touristiques (pour voyages de l’imbécilité et souvent de l’imbroglio), écrivassiers et journalisticules, vieux (ou moins vieux) baveux qui crachent des sentences d’économie ou de politologie, antifascistes AOC (avec autant de titres de cette « nouvelle noblesse »), enseignants à chasser des écoles, publicitaires et designers des plus colossales bêtises, comiques lourds qui font rire seulement les demi-cultivés déficients de gauche. Entendons-nous : ce n’est pas qu’avec tous ces personnages décrits négativement il n’y en ait pas aussi de valeur, parfaitement respectables. Précisément pour cette raison, on reste pantois parce qu’aucun d’entre eux ne semble se rendre compte combien ils sont odieux avec leurs airs de supériorité ; surtout ils ne comprennent pas qu’ils s’approprient de la richesse nationale une quote-part nettement supérieure à leur apport à la production. Pour la défense de ces personnages - je le répète : beaucoup d’une tristesse caverneuse, et à l’inverse, une certaine partie de personnes de valeur - se tient une ceinture de protection constituée des appareils syndicaux qui vivent eux aussi du financement public, et certainement pas des cotisations des adhérents constitués pour 50% de retraités (à pardonner en totalité) et de troupes toujours moins nombreuses de rescapés d’un passé, qui, comme cela arrive toujours, a encore ses fans nostalgiques qui n’ont rien compris de l’effondrement du vieux et réellement glorieux communisme et de son actuelle transformation en acolyte des défenseurs courbés de la GF&ID.

Ce « public » - qui n’a plus rien à voir avec un minimum de fonction positive pour notre développement, mais au contraire sur ses ailes des poids de plomb toujours croissants - a cherché à s’ennoblir grâce à des économistes s’étant comportés de manière peu digne par pur intérêt, qui ont mis sur le tapis un keynésianisme, à mon avis, de plaisanterie. Ils ont soutenu que la dépense publique - tirée seulement pour alimenter des parties improductives (dans le sens commun du terme) - est fondamentale pour relancer le développement via la croissance de la demande. Ils sont honteux ces « messieurs » ; ils se servent de ce qui pourtant devrait une savoir pour frauder et se gaver à « quatre meules » sur le dos de la population qui commence à avoir une série de difficultés. La dépense publique doit servir à la production et une finance qui lui soit subordonnée ; et non à une production quelconque mais à celle des secteurs de pointe avec la recherche scientifique qui en constitue la base ; et elle doit alimenter « l’infanterie » dont j’ai déjà parlé, en tant que troupe qui sert à élargir le terrain des relations, y compris internationales, qui peuvent nous servir, etc., etc.

Pourtant, cette gauche incapable, ces classes qui pèsent sur notre richesse, ces syndicats purement bureaucratiques et pesants, ces simili-keynésiens fauteurs de la demande de la part des dévorateurs et des dilapidateurs, sont très utiles à notre droite qui ne brille certes pas ses idées et prospère par l’intolérance croissance de parties non indifférentes de la population en proie à quelques difficultés (encore trop peu). Elle peut se permettre de raconter, en effet, des bobards sur la bonté de l’inconscient et l’irresponsable « main invisible » du marché, de laisser parfaitement libre de dévaster ce qui ne l’est pas encore de manière à permettre à d’autres trafiquants (d’une espèce différente, mais pas trop) de s’enrichir sans se fatiguer excessivement ; la droite semble surtout intéressée à la superficielle popularité de mesures qui corrigent certains massacres commis par le « tolérance », le laxisme et la permissivité des idiots de l’autre partie. Ce ne sera cependant pas la sécurité, le fédéralisme, la déréglementation, la flexibilité ou la précarité du travail et ainsi de suite qui permettront de résoudre quelque chose. Ou d’empêcher la crise ou au moins la stagnation. Il y a besoin de bien d’autres actions réellement stratégiques : économiques et politiques, et de politique internationale aussi, en montrant bien moins soumis face aux actuels prédominants.

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5. Comme blog et comme dernier article avant de brèves vacances, ça suffit et ça avance. De toute façon, j’ai besoin que les amis - et par seulement ceux qui écrivent ici mais aussi d’autres, s’ils sont sensibles à ce qui est avancé ici - se montrent prêts à entreprendre une recherche plus approfondie et avancée sur notre histoire (bien que parmi nous il n’y en ait pas beaucoup qui soient versés dans cette discipline). Il est inutile de fuir, comme tant le font, vers la « tolérance » et la solidarité intéressée face aux déshérités. Ça va bien, les palestiniens, ça va bien la non (on doit désormais dire cela) résistance irakienne, ça va bien l’agitation pour les agressions (pour le moment encore non militaires) contre l’Iran, etc. Mais c’est ridicule que nous ne fassions pas le bilan de notre histoire.

Où vivons-nous ? Au Moyen-Orient ? Dans des républiques d’Asie centrale ou au Tibet ou en Birmanie ? Stationnons-nous toute l’année à Caracas, à Lima ou à Bogota ? En somme, refusons-nous d’être sérieux et de faire notre travail avant tout dans le pays où nous vivons et où nous travaillons ? Ceci aussi est une attitude « de gauche », sotte et futile, de celui qui a seulement envie de faire le bordel, de protester, de participer à des petites marches, de distribuer des tracts (certes, « de feu », avec lequel on « fait de la mousse »), de se mettre en vedette comme non-violent et pacifiste (comme nous faisons peur aux USA avec le « Non au Dal Molin » [13] !). Nous sommes littéralement ridicules. Tout ceci est précisément la gauche. Laissez où il est le communisme qui a été une chose très sérieuse dans le passé. Et au lieu de bavarder sur Gramsci, prenez exemple sur sa capacité à faire le compte de l’histoire tout entière et de la culture de notre pays.


[1] Gianfranco La Grassa a enseigné l’économie aux Universités de Pise et Venise. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur le marxisme et la théorie du capitalisme. (toutes les notes de bas de page sont du traducteur.

[2] Les Italiens différencient traditionnellement le libéralisme (politique) du libérisme (la défense de l’économie de marché et du « laissez faire » en économie.

[3] Le PD n’a passé d’accord électoral qu’avec le parti de Di Pietro, « L’Italie des Valeurs ». Di Pietro était l’un des principaux magistrats de l’opération mani pulite.

[4] Federazione Giovanile Communista Italiana, l’organisation des jeunes communistes. D’Alema et Mussi étaient étudiants à l’école normale de Pise et avaient réussi à éviter l’exclusion de l’école à la suite des mouvements de contestation de l’année.

[5] Les Italiens créent facilement des mots. Un partisan du PC (pi-ci) est un piciisto. Un partisan du PD est un pidiisto... La Grassa oppose les communistes (à l’ancienne) au « piciisti » (en voie de dégénérescence). Pour rendre cette nuance, j’use donc du terme pécéiste.

[6] Giorgio Amendola (1907-1980), résistant, dirigeant et député du PCI a été longtemps l’incarnation du courant « réformiste » de ce parti et de l’alliance avec les socialistes.

[7] Pietro Ingrao (né en 1915) a été le premier président communiste de la chambre des députés (1976-1979). Bien qu’en désaccord, il a accepté la transformation du PCI en PDS, en 1992 et finalement rejoint le PRC- Rifondazione en 2004.

[8] Régions ou domine après guerre le vote DC, comme la Vénétie, le Trentin, la Calabre, la Basilicate ...

[9] Grande finanza e industria decotta : « grande finance et industrie de crotte ». La Grassa désigne par cet acronyme la fraction dominante du capitalisme d’aujourd’hui, celle qui unit le capital financier et les nouveaux secteurs industriels comme les médias, etc.

[10] RCS est un groupe essentiellement investi dans les médias, la presse, l’édition. Il possède le Corriere delle Sera et a appuyé Prodi.

[11] “(cronaca e storia dei recenti avvenimenti italiani)”, con Costanzo Preve, Punto rosso (Milano) 1995,

[12] Ministre des finances du dernier gouvernement Prodi.

[13] En référence aux manifestations contre l’extension du camp militaire de Vicenza ... approuvée par le gouvernement de gauche soutenu par la gauche radicale...


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