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Afghanistan: la logique de la guerre

Par Denis Collin • Internationale • Dimanche 21/09/2008 • 1 commentaire  • Lu 2388 fois • Version imprimable


Demain, lundi 22, le Parlement est convoqué en vue de débattre de l'engagement français en Afghanistan.Nul doute que la politique de Nicolas Sarkozy de renforcement de la présence française et d'implication croissante dans le dispositif de l'OTAN recevra un appui massif de parlementaires dont le rapport avec l'opinion est des plus lâche quand on connaît le mode d'élection de ce Parlement croupion entièrement dévoué au monarque de la Ve République.

Le président de la république devrait d'ailleurs bénéficier, comme d'habitude du renfort direct ou indirect d'un certain nombre de notables "socialistes". Selon une de ses formules alambiquées dont il a le secret, Lionel Jospin, pourtant co-responsable de l'engagement français à Kaboul, s'adresse aux socialistes en disant: « Je ne leur recommanderai pas d'approuver», « je leur suggérerai de demander la définition de nouveaux objectifs», «il faut préalablement redéfinir une nouvelle politique». Apparemment, Jospin penche pour un rejet de la politique du président, mais la formulation est, en fait, du genre "oui, mais" et finalement permet de donner l'absolution aux députés qui voteront pour le président et à ceux qui s'abstiendront. La plupart des autres notables du PS sont, finalement, sur la même longueur d'ondes. Hollande et Ayrault exigent une "clarification" (c'est pourtant très clair!). Un proche de Martine Aubry, le député François Lamy déclarait le 26 août: «A titre personnel, je ne suis pas favorable au retrait. La France a des responsabilités partout dans le monde. Que vaudrait notre présence au Liban, au Kosovo, dans certains pays d'Afrique, s'il suffisait de tuer dix soldats pour que nous désertions les zones dans lesquelles nous sommes présents? Mais il est hors de question de laisser tuer des soldats si les buts et les moyens sur les théâtres d'opération ne sont pas précisés.» C'est on ne peut plus clair. Dans le Parisien, Pierre Moscovici n'était pas moins décidé: «Le PS ne doit surtout pas être l’avocat du retrait. Ce serait un signal désastreux que la France se retire, un encouragement au terrorisme. Mais on ne peut pas nous demander de confirmer l’enlisement dans un bourbier. Il faut une redéfinition de la mission de l’armée française.» Les voix de la gauche du parti, celles de Dolez et Mélenchon paraissent bien isolées, même si Emmanuelli s'est lui aussi prononcé pour le retrait des troupes françaises d'Afghanistan. Tout a été fait du reste pour que cette question soit mise hors jeu dans les débats préparatoires au congrès de Reims. A Reims, on ne se battra pas pour Kaboul. On laissera les soldats français s'y faire trouer la peau.

L'affaire est pourtant sans grande difficulté et n'a guère besoin de clarification supplémentaire. L'occupation de l'Afghanistan par les troupes de l'OTAN date de l'automne 2001 et fait suite à l'attentat du World Trade Center: immédiatement après cet attentat et sans aucune preuve sérieuse (mis à part la sortie opportune quelques jours après d'une cassette vidéo attribuée à Bin Laden), les États-Unis ont déclaré que les responsables de l'attentat étaient des hommes d'Al Qaïda, lesquels étaient soutenus par le gouvernement afghan aux mains des talibans. Pour ceux qui auraient oublié les épisodes précédents, on rappellera tout de même que les talibans ont été formés dans les écoles coraniques du Pakistan et infiltrés en Afghanistan au cours de la guerre contre l'occupation soviétique, avec l'appui actif de l'armée et des services pakistanais et l'appui financier et logistique des États-Unis.

En ce qui concerne le groupe Al-Qaïda, comme la plupart des groupes terroristes islamiques d'obédience salafiste, il trouve ses origines en Arabie Saoudite: la famille Bin Laden est une richissime famille saoudienne, dont les liens avec la famille Bush étaient fort nombreux. Les Bin Laden figurent par exemple parmi les principaux actionnaires du groupe Carlyle, un fonds d'investissement particulièrement actif dans l'armement ... un groupe où l'on retrouve aussi la famille Bush et depuis peu un certain Pierre-Olivier Sarkozy, demi-frère du président, banquier de son état. Ainsi avant que Bin Laden ne devienne l'énnemi public numéro 1, il était parfaitement intégré au monde de "l'axe du bien" et Al-Qaïda, à ses débuts, a reçu un important soutient des États-Unis en tant qu'élément du dispositif de lutte contre le communisme, alors à l'agonie. Comme il arrive souvent avec les meurtriers que la CIA soutient pour ses basses oeuvres, Bin Laden semble avoir échappé au contrôle de ses maîtres. Le chien de garde est devenu un chien enragé et Al-Qaïda, qui s'est juré de chasser les Occidentaux de la terre sacrée d'Arabie Saoudite, a commencé à s'en prendre durement aux intérêts états-uniens dans la deuxième moitié des années 90.

La responsabilité états-unienne dans la situation créée en Afghanistan au début 2001 est donc écrasante. Au demeurant, l'ancien conseiller du président Carter, Zbignew Brezinsky expose clairement les faits et la stratégie:
« Le Nouvel Observateur : L’ancien directeur de la CIA Robert Gates l’affirme dans ses Mémoires  : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidine afghans six mois avant l’intervention soviétique. À l’époque, vous étiez le conseiller du président Carter : vous avez donc joué un rôle clé dans cette affaire. Vous confirmez ?
Zbigniew Brzezinski : Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan le 24 décembre 1979. Mais la réalité, gardée secrète jusqu’à présent, est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques. (...) Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent.
N. O. : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des États-Unis, personne ne les a crus. Pourtant, il y avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?
Z. Brz. : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : "Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam". (...).
N. O. : Vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes et des conseils à de futurs terroristes ?
Z Brz. : Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la Guerre froide ? » (Nouvel Observateur, 15 janvier 1998)
Que les "quelques excités islamistes" se transforment ensuite en une menace telle qu'elle mérite une guerre totale et "sans limite" trois ans plus tard, cela demanderait sans doute quelques explications complémentaires. Bien que soutenus par les États-Unis, les talibans se sont engagés dans une dynamique incontrôlable, leur régime ne pouvant survivre qu'en mettant toujours plus haut les enchères dans la guerre contre les impies occidentaux, notamment dans la lutte qui les opposait aux autres groupes issus de la résistance anti-soviétique, notamment l'armée du commandant Massoud, assassiné, quel hasard, deux jours avant le 11 septembre.

Dans cette affaire, il y a un autre acteur, le Pakistan. Ce pays, bien qu'ayant des liens très étroits avec les États-Unis, n'est pas une simple annexe de Washington et le gouvernement militaire établi après le renversement de Benazir Bhutto n'était pas un gouvernement fantoche (une dictature militaire réactionnaire, certes, mais pas un gouvernement fantoche). Le Pakistan est peuplé. C'est une puissance régionale et il dispose de l'arme nucléaire. Et il est en conflit (tantôt ouvert, tantôt larvé) avec l'Inde pour le contrôle du Cachemir (une région située  entre l'Inde, l'Afghanistan et le Pakistan). Les États-Unis soutiennent le Pakistan, mais le Pakistan veut utiliser ce soutien aux fins de ses visées propres, anti-indiennes. Et si États-Unis et Pakistan ont intérêt à garder sous contrôle l'Afghanistan, il n'est pas certain du tout qu'ils aient les mêmes objectifs stratégiques,  les États-Unis considérant l'Afghanistan comme un élément de la stratégie de contrôle de l'empire russe (de nombreuses bases états-uniennes sont installées en Ouzbekistan, au Tadjikistan, au Kirghistan et au Turkmenistan) et de "containment" de la Chine. Rappelons, en passant que dans l'affaire du 11 septembre, le rôle des services secrets pakistanais a été mis en cause mais aucune enquête sérieuse ne semble avoir été menée.

Dans cette situation complexe, les troupes de l'OTAN envoyée en Afghanistan ne sont que des auxiliaires pour aider l'impérialisme US à faire la police parmi les diverses bandes de gangsters qu'il a utilisées et financées. La guerre mondiale au terrorisme n'est qu'une couverture dépenaillée quand on connaît le rôle majeur des services US dans les menées terroristes partout dans le monde. On rappellera à toutes fins utiles que le FIS algérien et son bras armé le GIA recevaient le soutien direct de l'Arabie Saoudite et indirect des USA. Et quand le GIA a mené des actions sur le sol français (par exemple, l'attentat du métro Saint-Michel le 25 juillet1995), cela n'a guère ému nos "amis" d'outre-Atlantique et les Britanniques ont généreusement offert l'asile politique aux terroristes poursuivis par les autorités françaises. Il a fallu le 11 septembre pour que la doctrine anglo-saxonne subisse sur ce sujet les changements que l'on sait.

La mission officielle de l'OTAN en Afghanistan était de renverser les talibans et Al-Qaïda et d'aider le pays à construire la démocratie. La première partie du programme, rapidement menée, se révèle finalement un échec: les talibans font un retour en force remarqué, notamment à partir des régions frontalières du Pakistan. Bin Laden et le mollah Omar courent toujours. Quant à la deuxième partie du programme, il est difficile de parler de démocratie dans un pays pulvérisé entre les divers seigneurs de guerre largement financés par le trafic de l'opium dont l'Afghanistan est redevenu et de très loin le premier producteur mondial - grâce à l'intervention de l'OTAN, les dealers du monde entier ne manquent pas de matière première! Pas plus que la révolution, on ne peut exporter la démocratie à la pointe des baïonnettes. Les troupes de l'OTAN sont des troupes d'occupation, vécues comme telles par la population, qui paye d'ailleurs le principal tribu à cette guerre. Et c'est même cela qui redonne aux talibans un ascendant qu'ils avaient largement perdu en 2001. Le maintien et le renforcement de l'intervention étrangère ne pourra que renforcer la dynamique mortifère qui est en route. Les Russes ont payé très cher d'avoir voulu exporter le "socialisme" (?) à Kaboul par la grâce de l'Armée Rouge. Il en sera de même pour l'exportation de la démocratie libérale capitaliste  par l'OTAN. Tous les stratèges devraient le savoir.

L'intervention armée occidentale, cependant, n'est peut-être pas totalement irrationnelle si on lui prête d'autres buts que ceux énoncés officiellement. Dans la situation où ils sont, pour des raisons tant extérieures qu'intérieures, les dirigeants états-uniens ont besoin de guerre (comme dans le monde orwellien de 1984). Les raisons de l'intervention en Afghanistan sont du même ordre que les raisons de l'intervention en Irak ou que les menaces d'une intervention contre l'Iran. L'existence d'un chaos plus ou moins contrôlé sert le maintien de l'hégémonie de la première puissance militaire mondiale menacée d'être détrônée de sa place de première puissance économique.

Dans ces conditions, le soutien même indirect à la stratégie pro-OTAN du président français est la question des questions politiques du moment. Si le PS était encore un parti socialiste, ce devrait être une des questions majeures du prochain congrès. Mais il n'en sera rien. Car le PS est lui-même un des rouages du dispositif pro-OTAN, à la fois par les liens d'une partie de son personnel dirigeant avec l'appareil atlantiste et par son soutien à une pseudo-constitution européenne qui fait de l'OTAN l'outil de la défense européenne. Exiger le retour immédiat des troupes françaises d'Afghanistan et la sortie de l'OTAN, voilà quels devraient être les deux premiers éléments d'un programme socialiste.



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Commentaires

par Anonyme le Dimanche 21/09/2008 à 09:44

Hier, le veau sous la mère (Baylet) a dit qu'il était pour l'engagement Français en Afghanistan(ça se dit de gôoche,beurk)



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