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Antifascisme: la réponse d'un trotskiste

Jean Birnbaum a publié dans Le Monde du 3 mai un point de vue intitulé « l'antifascisme trahi ». Il y fait la critique de ceux qui s'opposent à un vote « antifasciste » pour Macron le 7 mai prochain.

Par Pascal Morsu •  • Jeudi 04/05/2017 • 0 commentaires  • Lu 2113 fois • Version imprimable


Jean Birnbaum a publié dans Le Monde du 3 mai un point de vue intitulé « l'antifascisme trahi ». Il y fait la critique de ceux qui s'opposent à un vote « antifasciste » pour Macron le 7 mai prochain.Plus précisément, Birnbaum vise le courant « où l'antifascisme représente un repère identitaire : le trotskisme ». Je suis moi-même un de ces trotskystes, et passe une grande part de mon énergie à défendre l'indépendance du mouvement ouvrier, donc refuser tout vote pour Macron (et évidemment pour Le Pen). Je me permets donc de lui répondre.

 

Une analogie très discutable...

Disons tout de suite que parler d'(anti)fascisme à propos de Le Pen et son FN ne va pas de soi, contrairement à ce que semble penser Mr. Birnbaum.

Historiquement, le fascisme, c'est la militarisation du lumpenproletariat, des couches moyennes ruinées par la crise capitaliste. Dit autrement, c'est le « talon de fer » écrasant la société et le mouvement ouvrier. Quel rapport avec la situation actuelle ?

Le I° mai, on n'a assisté à nul défilé de chemises noires place de la Concorde. Seulement à un meeting à Villepinte, face à une salle à moitié pleine... Certes, aussi : je détesterais vivre à Hénin-Beaumont. Mais quel rapport avec le Berlin de 1930-33 ?

On est donc en droit de s'interroger. À quoi sert-il de plaquer mécaniquement les analyses de Trotsky relatives à l'Allemagne pré-nazie sur la France de 2017 ?

En tout cas on sait qui cela sert : le candidat qui se présente comme celui de l'antifascisme pour mieux faire oublier ses projets littéralement destructeurs en matière de droits sociaux – et qu'il refuse même d'amender. E. Macron ne répète-t-il pas en boucle que pour mener à bien ses « réformes », il lui faut le socle électoral le plus large possible ?

Le Front Unique au cimetière ?

Selon J. Birnbaum, Trotsky et ses partisans appelèrent «  l'ensemble des militants ouvriers, communistes, socialistes ou sans parti, à constituer un "front unique" contre le nazisme ». C'est cette politique que nous aurions abandonné.

Mais Birnbaum oublie un petit adjectif. Le Front Uni que réclamait Trotsky était un Front « ouvrier », essentiellement un bloc des partis communistes et socialistes : «  il faut imposer à la social-démocratie le bloc contre les fascistes », écrivait-il en 1931 en direction des communistes. Par contre, on l'oublie souvent, son refus d'accords avec les politiciens capitalistes, « libéraux », demeurait totale :

« La social-démocratie soutient Brüning [1], vote pour lui, assume la responsabilité de sa politique devant les masses, en se fondant sur l'affirmation que le gouvernement Brüning est un "moindre mal" (...) Nous, marxistes, considérons Brüning et Hitler ainsi que Braun comme les représentants d'un seul et même système. La question de savoir qui d'entre eux est un "moindre mal" est dépourvue de sens, car leur système, contre lequel nous nous battons, a besoin de tous ses éléments. » [2].

Il y eut même dans ces années un épisode très proche de la situation à laquelle nous sommes confrontés. En 1932, « en défense de la démocratie », la social-démocratie allemande appela à voter pour le vieux chancelier Hindenburg, contre Hitler et le communiste Thälmann. Voici ce qu'en écrivit Trotsky :

« La social-démocratie a livré à la bourgeoisie la révolution prolétarienne de 1918 et sauvé ainsi une fois encore le capitalisme déclinant. (…) Descendant de marche en marche à la recherche du «  moindre mal », la social-démocratie a fini par voter pour le feld‑marschall réactionnaire Hindenburg, lequel, à son tour, a appelé Hitler au pouvoir. Démoralisant les masses ouvrières par les illusions de la démocratie dans le capitalisme pourrissant, la social­-démocratie a privé le prolétariat de toutes ses forces de résistance » [3].

Contrairement à ce que semble croire Birnbaum, le refus trotskyste de tout compromis avec le politicien libéral-capitaliste, anti-social, qu'est Macron ne vaut donc pas pour renonciation au Front Unique Ouvrier, bien au contraire.

En ce qui me concerne je fais d'ailleurs partie des militants qui ont défendu la nécessité d'une candidature unique à gauche avant le 23 avril. Si ces vœux avaient été exaucés, on aurait actuellement d'autres débats… Où étaient alors tous les antifascistes qui se répandent dans la presse et les réseaux sociaux pour nous enjoindre de voter Macron ? Il y a quelques semaines, nous n'étions guère nombreux à expliquer que l'enjeu d'une candidature unitaire à gauche, c'était que le mouvement ouvrier ne soit pas expulsé de la scène au second tour !

«  Le diable et sa grand-mère »

Récemment encore, E. Plenel s'est répandu sur les ondes pour expliquer en substance que « comme Trotsky » et en défense de la démocratie, il était pour des accords avec «  le diable et sa grand-mère », c'est-à-dire selon lui de voter pour E. Macron. J. Birnbaum reprend cette analyse à son compte.

J'ai des doutes sur les citations produites, mais en tout cas, à cette époque, Trotsky se prononçait « pour des actions militantes avec le diable en personne, sa grand-mère et avec Noske, Grzesinsky » [4]. Étant entendu que les personnes citées étaient toutes deux socialistes, pas libérales...

C'est donc parfaitement le droit de Plenel et Birnbaum de se prononcer pour un vote Macron (pas une action militante). Il est par contre beaucoup, beaucoup, plus discutable de se recommander de Trotsky pour justifier une telle orientation.

Aucune amnésie

Il n'y a donc aucune « amnésie » dans la position des trotskystes qui refusent l'Union Nationale aux basques de Macron. Nous ne sommes pas non plus devenus partisans de la politique du pire défendue en son temps par les staliniens - le fameux « social-fascisme ».

Simplement, nous savons parfaitement que Le Pen et Macron jouent un jeu de duettistes. C'est la politique que se prépare à mener Macron qui renforce le vote FN. C'est cette désorientation qui nourrit la xénophobie et le reste.

Précisons d'ailleurs que Macron à l’Élysée, ce ne sera pas simplement la suite de Hollande – ce sera pire. Libéré des contradictions propres au PS et qui reflétaient le rejet sourd du hollandisme par ceux d'en-bas, l'offensive anti-sociale passera à un cap qualitativement supérieur. On le voit déjà à propos des retraites, du code du Travail, etc. Appuyé sur les institutions réactionnaires de la V° République - celles que nous combattons sans relâche -, Macron aura toute latitude pour mener sa guerre éclair contre les acquis ouvriers.

Les dizaines de milliers de militants de la France Insoumise qui refusent de voter pour le candidat des banquiers voient juste : aucun des choix posés le 7 mai ne permet aux travailleurs de défendre leurs acquis, de peser dans le sens de leurs intérêts. Ajoutons même qu'il y a fort à parier qu'un vote de la gauche pour Macron n'aboutira qu'à renforcer le vote pour le Front National lors des échéances électorales à venir.

Résister

Quoiqu'il arrive désormais, dès le 8 mai, l'offensive anti-sociale va passer à un niveau supérieur. Et la seule défense possible se situe désormais sur notre propre terrain, celui de la lutte de classes. L'indépendance de nos organisations face à un pouvoir qui annonce déjà son intention de s'appuyer sur leur collaboration est donc un enjeu décisif.

Contre la politique réactionnaire, la résistance commence dès le 7 mai, en refusant de donner à E. Macron le blanc-seing qu'il demande !


1[] Brüning était un dirigeant « chrétien-démocrate ».

2[] Trotsky : Lettre à un ouvrier communiste allemand. 8.XII.1931.

3[] Trotsky : déclaration, avril 1933.

4[] Trotsky : la seule voie. Octobre 1932.


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