C’est dans une ambiance bien différente de celle de 2008 que Barack Obama vient d’être réélu, avec une faible avance : 50,2% des voix contre 48,3% à Mitt Romney et 1,5% à la quinzaine d’autres candidats. On ne connaitra les chiffres de la participation que dans plusieurs semaines, car le système est tel, avec ses votes par anticipation, ses votes par Internet, ses dépouillements contestés … Gageons que lorsque ce taux sera connu, s’il l’est, aucun grand média n’en parlera, alors qu’il est un indicateur de première importance : une chose est sûre, la participation s’est effondrée par rapport à 2008, où des millions d’Américains avaient voté pour en finir avec Bush, arrêter la guerre, et pour le changement symbolisé par cet intellectuel noir. Elle est revenue au niveau considéré comme normal aux Etats-Unis, un taux inférieur à 50% des seuls inscrits. Il est apparemment « normal » aussi que les résultats de la Floride ne soient pas connus plusieurs jours après le scrutin…
Des secteurs de la société, du monde du travail, de la jeunesse, des défenseurs des libertés et des droits, et particulièrement semble t’il les hispaniques effrayés par le racisme du parti républicain, ont fait la petite différence en faveur d’Obama : le vote latino explique les défaites des Républicains dans le Colorado, le Nevada et le Nouveau-Mexique, et, conjointement avec le vote noir, la Virginie. Les appels des syndicats AFL-CIO et Change to Wind, dans l’Ohio dont on a beaucoup parlé, ainsi que dans l’Iowa et le Wisconsin, ont pesé. Mais ce vote « de gauche » pour Obama s’est fait sans aucun enthousiasme des électeurs, qui n’ont pas fait la fête ce mercredi alors qu’il l’avait faite en 2008, et en s’étonnant, pour ceux d’entre eux qui ont quelques illusions dans le parti démocrate, que celui-ci n’ait pas mis l’accent aussi sur les élections locales pour avoir une majorité au congrès : la réponse leur a été apportée par Obama qui dés son discours de victoire a proclamé vouloir gouverner avec Romney et les républicains, car si peu de choses les séparent, dit-il …Beaucoup d’Américains et beaucoup de gens dans le monde entier ont le sentiment de l’avoir échappé belle avec le chef d’entreprise mormon, un sentiment compréhensible et respectable. La peur de la répression et de l’obscurantisme en cas de retour des Républicains à la Maison blanche a été une alliée d’Obama, et cette peur fut elle-même entretenue par le délire idéologique des couches petites-bourgeoises qu’organisent le tea party, jouant à être convaincues que des bolcheviks musulmans tiennent le pouvoir fédéral !
Mais notons tout de même, pour rappeler à la réalité, que la branche américaine d’Amnesty International a judicieusement choisi la semaine présente pour publier un rapport accablant pour les quatre années qui viennent de s’écouler, et que les drones d’Obama ayant réussi à faire des victimes américaines y compris au Pakistan, en Afghanistan, au Yemen ou en Somalie, des familles de victimes se tournent vers la justice américaine …
La réalité est que nous ne venons pas d’assister à la victoire populaire d’Obama pour un second mandat, mais simplement à la défaite du Parti républicain, à la limite de la décomposition, qui présentait un candidat particulièrement mauvais, dont le faible écart avec le président sortant est en fait une performance, un candidat qui n’était en outre soutenu que du bout des lèvres par les franges tea party, libertariennes et chrétiennes fondamentalistes, devenues hégémoniques dans les structures de base du Grand old party, elles-mêmes divisées. Ces franges avaient partiellement perdu la dynamique que la première déception causée par la politique d’Obama leur avait permis d‘acquérir lors de la montée du tea party et des premières élections mid-terms, en 2010, grâce au retour de grands mouvements sociaux avec le Wisconsin au printemps 2011, puis le mouvement Occupy Wall Street et, en pleine campagne, la grande grève populaire des instituteurs de Chicago contre le maire Emmanuel Rahm, bras droit d’Obama.
C’est donc une Maison blanche inchangée et largement immobiliste qui se trouve face à l’aggravation de la crise économique du capitalisme, à la crise climatique spectaculairement affirmée par l’ouragan « Sandy » dit aussi « Frankenstorm » l’avant-veille du vote, au « mur budgétaire » US (amputation massive des dépenses publiques et militaires au 1° janvier 2013 faute d’accord entre président et congrès sur les modalités de réduction de la dette soit-disant publique), aux guerres en Afghanistan, Irak, Somalie … bref à un pourrissement général. La continuité même de cette réélection ne saurait donc être considérée, comme en d’autres temps sous Roosevelt ou même sous Reagan et Bush, comme un signe de puissance, de résilience ou de résistance de la première puissance impérialiste du monde, mais bien comme un signe même de son affaiblissement.
Cela alors que, parallèlement, l’ouverture du congrès du PCC à Pékin, loin de manifester la montée d’un leadership alternatif, illustre elle-aussi, avec la désignation, faisant suite à des querelles sanglantes et sombres dans les allées du pouvoir qui ont été menées à leur terme provisoire avant le congrès officiel (liquidation de la faction Bo Xilai), l’absence de « charisme » des grands de ce monde, ce qu’ils appelleraient sans doute, dans leur jargon, une « crise de gouvernance ». Les classes dominantes, dans l’épicentre nord-américain de la finance et de la circulation des capitaux ou dans le grand foyer asiatique de production de la plus-value réelle, n’ont aucune issue à la crise dans laquelle elles enfoncent le monde.
La réélection d’Obama ne signifie donc rien d’autre que l’absence de solution au sommet conjuguée à l’absence de représentation politique indépendante du côté de ceux d’en bas, de ceux que l’on appelle maintenant, en Amérique, les « 99% ». Si une hirondelle ne fait pas forcément le printemps, il faut cependant faire connaître à toutes et à tous cet évènement historique qu’est le score de 27% d’une candidate socialiste, classée à l’extrême-gauche (son groupe, Socialist Alternative, est membre du Comittee for a Worker International, courant se réclamant du trotskysme), une syndicaliste féministe et hispanique, à Seattle. 27% dans un score certes local, mais d’une ville importante, cela a une signification nationale et même internationale. Bravo à la camarade Kshama Savant !
Mes souvenirs manquent de précision mais il y eut un précédent — du temps de Reagan me semblerait-il — à Chicago (où Obama fit ses premières armes) un candidat ouvrier, noir, militant syndicaliste, se réclamant du trotskisme et qui obtint 30% des voix. Mais le printemps n'a pas suivi... Cela étant il faudrait peut-être s'intéresser à d'autres cas possibles dans d'autres Etats et de leur éventuelle correlation avec les mouvements de l'été dernier comme Occupy Wall Street ou mieux encore avec ce qui s'est produit à Oakland Sources : http://occupyoakland.org ...
Amicalement, Robert Pollard