Sommaire
Si la saga de l’été était une valse, elle se jouerait pour le moment en trois temps… Au premier temps de la valse le ministre Eric Woerth, par ailleurs trésorier de l’UMP et la milliardaire Liliane Bettencourt chez qui est appointée la femme de monsieur le ministre s’emparent de la piste de danse. Au second temps de la valse apparaissent le président de la République et le procureur Philippe Courroie, dont l’indépendance n’est de fait qu’illusoire puisqu’il se trouve lié statutairement au ministère de la justice, à la garde des sceaux et donc au président de la république dont il est d’ailleurs un ami intime. Vient alors le troisième temps de la valse. Sur l’air entonné par le président de la République - « nous irons jusqu’au bout sur la réforme la plus importante du quinquennat qui concerne les retraites et qu’Eric Woerth doit mener à bien »- ce sont alors les responsables syndicaux, Bernard Thibaud en tête, qui font leur apparition sans que nul d’ailleurs ne signale vraiment leur présence…
Bilan d’étape
Il serait hasardeux de vouloir ici récapituler l’ensemble des éléments qui font de l’affaire Sarkozy – Woerth – Bettencourt une des plus rocambolesques de la 5ème république. Un amas de faits nouveaux s’accumulent en effet jour après jour.
Il y a d’abord eu le témoignage de Claire Thibout, l’ex comptable de la milliardaire, qui fait état de retraits d’espèces importants dans plusieurs agences bancaires de la région parisienne, de visites multiples d’hommes politiques dont Eric Woerth au domicile de la troisième fortune de France, de remises d’enveloppes bien fournies… Puis en écho, l’Elysée et ses soutiens, ministres et portes parole de l’UMP en tête, ont engagé un tir groupé contre la presse indépendante dont le site Médiapart, s’appuyant notamment sur les précisions apportées par l’ex comptable devant la police financière pour tenter d’en décrédibiliser la portée…
Mission accomplie ? Durant quelques heures seulement les plus optimistes des sarkozystes ont voulu y croire, jusqu’à de nouvelles révélations, celles du majordome et d’une ancienne secrétaire particulière des Bettencourt- venues corroborer les propos de l’ex comptable….
Et puis affaire Woerth pour affaire Woerth, voilà que vient s’ajouter la dernière en date impliquant à nouveau madame la ministre, comme si cela devait être une règle, avec la vente « 10 fois moins cher que le prix du marché » d’un terrain à Chantilly comprenant golf et hippodrome…
Jusqu’à la garde à vue prolongée pour des questions de fraude fiscale de quatre proche de Liliane Bettencourt , Patrice de Maistre son gestionnaire de fortune –qui aurait embauché à l’époque madame Woerth sur demande de son ministre de mari- Fabrice Goguel son ancien avocat fiscaliste, François-Marie Banier, son photographe et ami, et Carlos Vejarano, le gérant de l’ile d’Arros aux Seychelles, propriété de Bettencourt, qui aurait été dissimulée au fisc…
En attendant la suite….
Quelle arrogance !
C’est dans ce contexte que le président de la république en personne vient à France télévisions –dont il a lui-même désigné le futur Président conformément à la loi qu’il s’est fait voter sur mesure- au journal de France 2, pour tenter de siffler la fin de la partie.
L’exercice ne méritait pas de demi-mesure. Le président a donc nié la réalité au point de voir les sondages sanctionner assez nettement l’exercice et les arguments auxquels il a pu se livrer[1]. Contrairement à l’effet recherché, c’est une certaine arrogance qui est ressortie de l’exercice. Avec le sentiment diffus qu’une catégorie sociale et politique était au dessus des lois et du sens minimum de la morale.
Mais plus. L’affaire à ce stade permet au moins au président et à sa majorité de se féliciter de deux réformes qui pourtant risquent de n’être pas suffisantes à la défense de leurs intérêts.
La première concerne l’audiovisuel. La venue sur un plateau de télévision pour ne pas être contredit lorsque les contre-vérités s’accumulent passait par la mainmise institutionnelle sur la hiérarchie des chaînes en l’occurrence publiques. Certes, la télévision n’a jamais fait preuve dans ses éditions quotidiennes d’information d’une impertinence parfois nécessaire à la manifestation des faits et à la démonstration de son indépendance. Mais des « niches » ont toujours existé. Magazines, documentaires… La nomination du nouveau PDG de France Télévision par le président de la République lui-même fait craindre une proximité avec le pouvoir contraire aux intérêts d’une information libre et indépendante…
La seconde concerne la justice. La suppression du juge d’instruction au profit du Parquet lié à la chancellerie et donc au gouvernement trouve dans l’affaire Woerth Bettencourt une illustration assez limpide. C’est en effet le procureur Courroie qui gère le dossier directement. C’est donc à ses supérieurs qu’il en réfère. Au garde des sceaux, au Président, à Eric Woerth donc… Sans indépendance, la justice, comme l’information, devient aux ordres. Certes, l’agitation judiciaire tente de prendre le pas sur l’activité journalistique de sites ou hebdomadaires qui ont « sorti » l’affaire et révélé plusieurs de ses développements[2]… Mais rien n’indique que le procureur n’agit pas pour mieux colmater les brèches qui peuvent atteindre jusqu’au sommet de l’état… Pour se défaire de cette suspicion, il n’aurait qu’à nommer un juge d’instruction pour diriger de façon indépendante les investigations. Mais pour le moment, il s’y refuse…
Dans son allocution, le président de la République a indiqué à nouveau la priorité des priorités de son quinquennat que la délinquance en col blanc ne saurait pas plus ébranler que la mobilisation sociale ne saurait le faire reculer. « La réforme des retraites sera faite, coûte que coûte » ! A bon entendeur, salut !
Bernard Thibault et les responsables syndicaux à la rescousse !
Là encore, quelle arrogance ! Comment donc un gouvernement ébranlé dans son sein comme l’est celui de Nicolas Sarkozy, François Fillon, et Eric Woerth[3] peut-il prétendre mettre en œuvre des contre-réformes qui vont à l’encontre de millions de salariés, du public comme du privé ? Où trouve-t-il les ressources nécessaires alors que sur le simple plan de la morale et des principes républicains, c’est son existence même qui pose aujourd’hui question.
La réponse, aussi désobligeante soit-elle, est à rechercher dans la politique de responsables syndicaux qui ont décidé de jouer le jeu de la réforme au nom d’un syndicalisme d’accompagnement et pour cela d’apporter le soutien indispensable à un ministre ébranlé par les affaires et à un gouvernement affaibli, incapable seul de faire passer la moindre mesure.
Affirmation gratuite ? Qu’on en juge.
Dans la tourmente médiatique, politique et judiciaire, les responsables syndicaux ne seraient-ils pas en droit, voire en devoir, de se saisir de la situation pour la pousser à leur avantage ? D’exiger par exemple le retrait immédiat de la contre réforme avant d’engager la moindre discussion pour la suite?
Bernard Thibault, discret sur l’affaire Woerth Bettencourt elle-même, non seulement ne demande en rien le retrait de la réforme, mais va jusqu’à légitimer le ministre atteint dans l’affaire Bettencourt. « Que le président de la République change ou non le ministre du travail n’est pas mon problème » a rassuré le leader de la CGT, arguant du fait que de toutes les manières, quel que soit le ministre amené à défendre la réforme, les décisions seraient prises à l’Elysée !
Bernard Thibault n’a rien à envier à Jacques Voisin, le président de la CFTC, qui appuie pour qui n’aurait pas compris. Inutile de vouloir demander la démission d’un ministre affaibli, en charge de la liquidation du système actuel des retraites. « Nous n’avons pas à choisir nos interlocuteurs, nous faisons avec ceux que nous avons » affirme le leader chrétien avant de poursuivre « on en a assez de la valse des ministres du travail ces dernières années, on ne peut rien construire ». Nul doute qu’avec la stabilité assurée à Eric Woerth la « construction » ira bon train…
Ne serait-il pas légitime, pour un responsable fidèle aux intérêts des salariés, d’inscrire ses déclarations et ses actes dans l’ouverture d’une crise politique qui rendrait impossible la contre réforme des retraites, le passage à 62 ans, l’allongement de la durée de cotisation, etc…. ?
Là encore il suffit de lire : Ce que déplore le responsable de la CGT, c’est que « le débat sur la reforme des retraites soit prise en otage par la situation politique créée par les liens prêtés à Eric Woerth avec la femme la plus riche de France »…
Une fois encore, la bataille pour l’unité des salariés avec leurs organisations sur le seul point du retrait de la réforme peut modifier la situation. Mais à lire les responsables syndicaux, dans la foulée de Bernard Thibault qui pour l’occasion donne le « la », il y a loin de la coupe aux lèvres…
Une discussion, une bonne, une vraie, permettant de négocier ce qui pourtant semble du point de vue des salariés non négociable. Voila ce qui pour le moment rassemble les responsables syndicaux à la suite de Bernard Thibault… Ainsi le « spécialiste retraites » de la CFDT Jean-Louis Malys trouve « dommage que le débat sur les retraites passe au second plan ». Ah, si seulement monsieur Woerth ne s’était pas fourvoyé chez cette milliardaire de Bettencourt… Pour lui encore, qu’importe Woerth puisque « les décisions se prennent à l’Elysée ». Plus, il rassure les inquiets du gouvernement en affirmant que « si Eric Woerth était contraint de partir avant le vote de la réforme des retraites programmé au début de l'automne, on négociera avec celui qui sera en place". Ceux qui aurait voulu voir lier le sort de la contre réforme à celui du ministre qui l’a en charge en seront pour leurs frais !
Les discours sont unanimes.
Sur cette ligne, l’estocade semble portée par François Chérèque qui déjà se dit prêt à accepter « beaucoup » si quelques concessions sont faites, sur la « pénibilité » par exemple… Qu’il soit rassuré, cette piste a déjà été annoncée par le ministre Woerth qui risque fort, au train actuel, d’être présenté à la rentrée par les responsables syndicaux, François Chérèque en tête, comme un ministre responsable, conscient des véritables enjeux. Un comble !
Reste l’incertitude du mois de septembre. Le 7, journée de mobilisation, est conçu sur une ligne qui annonce un enterrement de première classe. Mais nul ne maitrise ni ne contrôle les forces sociales. Dans nombre d’entreprises des sections syndicales différentes, CGT, FO, CFDT, SUD, etc.… affirment leur volonté de voir retirer le projet que porte Eric Woerth. Tout simplement. Une orientation contraire à celle des responsables syndicaux, dont le succès dépendra de la capacité à submerger la politique des appareils unis dans leur démarche à celle du gouvernement….
Jacques Cotta
Le 16 juillet 2010
[1] Outre que le président de la république fait de moins en moins recette à la télévision -2 millions de téléspectateurs de moins que pour sa précédente prestation- il ressort selon l’institut CSA qu’une grande majorité l’ont trouvé fort peu convaincant sur ses explications concernant l’affaire Woerth Bettencourt qui visaient à dédouaner son ministre, ami, et trésorier de l’UMP.
[2] Notamment « Médiapart », « Le Canard Enchaîné » ou encore « Marianne ».
[3] Voir sur notre site l’article « de l’affaire Woerth à la crise politique, sociale et morale, le poisson pourrit toujours par la tête » à l’adresse suivante : http://la-sociale.viabloga.com/news/de-l-affaire-woerth-a-la-crise-politique-sociale-et-morale-le-poisson-pourrit-toujours-par-la-tete
Jacques écrit : (tout) …dépendra de la capacité à submerger la politique des appareils unis dans leur démarche à celle du gouvernement…
c’est le nœud du problème, car dans toute cette affaire, ils (le gouvernement, certains membres de l’ump et ceux qui font semblant de les croire et les soutiennent encore (pour combien de temps ?) ne maîtrisent pas grand chose pour le moment. L’actualité ou l’info (la vraie) c’est sur le net que ça se passent, même si sarkozy cadenasse et sert les boulons de l’ORTF et de certains médias, il a toujours un métro de retard ; en toute logique (la stratégie) c’est celui qui maîtrise l’action qui gagne, pas celui qui la subit.
Politiquement, suite à la gestion désastreuse de cette affaire et de ses nombreuses ramifications, il est mort et il le sait ; il n’a plus les moyens d’agir (malgré ses gesticulations désespérées) ni d’en assurer le prix politique. Si malgré tout, il passe en force sa contre-réforme des retraites, il devra en assumer les conséquences…