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L’affaire Woerth Bettencourt s’installe comme le feuilleton de l’été. Si elle se contentait de mettre en scène un des ministres les plus en vue du gouvernement d’une part et le milieu des affaires, de l’industrie et de l’argent d’autre part, avec une des premières fortunes françaises et européennes acquise à la tête de L’Oréal, fleuron du CAC 40 et champion mondial de la cosmétique, cette affaire ne serait que celle d’une dérive politico-mafieuse présumée comme la 5ème république en a connu d’autres au cours de son histoire. Mais en toile de fond se trouve le dossier des retraites, « le plus important du quinquennat », que le ministre des finances Eric Woerth a la responsabilité de faire aboutir avec les partenaires sociaux. Un imbroglio au cœur d’une situation politique dont l’instabilité n’est contenue que par un consensus qui pourrait bien avoir du mal à résister…
Crise au sommet…
Depuis plusieurs semaines éclatent au grand jour une succession de révélations qui éclaboussent le gouvernement. L’incapacité soudaine de relativiser, d’amoindrir, de contenir, d’étouffer le flot de scandales qui nourrissent les allées du pouvoir est une donnée nouvelle de la situation politique qui exprime la vie d’un régime en pleine décomposition.
Comment comprendre en effet la révélation d’une série d’évènements tout aussi nauséabonds que minables ?
L’explosion des scandales est d’abord le revers de la médaille présidentielle, le produit d’une politique appliquée depuis 2007 avec assiduité et constance.
Les rivalités à droite ou une lutte à mort semble engagée entre plusieurs fractions –c’est du moins ce qui apparaissait déjà lors du procès Clearstream et des propos de Nicolas Sarkozy qui promettait « un croc de boucher » à l’ancien premier ministre de Jacques Chirac, Dominique de Villepin- sont renforcées par les ambitions deux ans avant l’échéance de 2012. Pour apparaitre à droite légitime, il faut affaiblir le président en exercice au point de rendre une nouvelle candidature peu crédible.
De plus, le régime subit les retombées de la politique mise en œuvre depuis 2007. Dans plusieurs milieux professionnels, dont celui de la justice notamment où l’opposition aux réformes, dont celle de la procédure pénale qui menace le juge d’instruction au profit du parquet lié à la chancellerie, donc au pouvoir, les « écarts » des politiques, la liberté qu’ils prennent avec la loi, permettent d’affirmer indépendance et volonté de survie.
La question démocratique refait surface. Mise au pas durant tout un temps, la presse, si sensible aux ordres du pouvoir, trouve dans sa faiblesse les moyens de se refaire une image à moindre frais. D’autant que les « attentions » présidentielles passent mal, notamment avec la nomination du PDG des chaines publiques par le président de la république lui-même, ou encore avec les pressions incessantes qui sont autant d’ingrédients qui poussent à des révélations régulières dont le contenu est dévastateur pour le régime.
L’explosion des scandales est aussi l’expression de la défiance d’une partie même des forces qui ont porté Nicolas Sarkozy au pouvoir et qui sentent bien que le style de l’homme, de son entourage, comme le contenu de sa politique, risquent d’être défaillants face aux impératifs du capital financier. Des retraites aux postes de fonctionnaires, de la limitation des salaires à la réduction des déficits publics sur le dos des services publics, cette fraction de la bourgeoisie considère que le président de la république et son gouvernement ne font qu’effleurer les questions là où il faudrait trancher dans le vif.
A la crise politique, à la crise sociale, à la crise internationale, s’ajoute ainsi une « crise morale ». Les faits mis sur le devant de la scène sont d’autant plus terribles pour le pouvoir qu’il en est le cœur au moment même où il veut imposer de nouveaux sacrifices à des millions de travailleurs et salariés. D’un côté il est question d’une rigueur et d’une austérité qui ne cache que son nom, de l’autre les plus grandes largesses, aussi choquantes que minables.
Avant l’affaire Woerth Bettencourt, il est ainsi question du ministre Christian Estrosi et de ses appartements de fonction, de la secrétaire d’état aux banlieues Fadéla Amara, l’ex chef de file de « ni pute ni soumise » liée au parti socialiste, transfuge dans le gouvernement au nom de l’ouverture, qui se fait remarquer pour son logement de fonction et ses « largesses familiales », de Rama Yade, donneuse de leçon à une équipe de France de football trop bien logée qui pourtant dépense pour elle-même plus que la note incriminée, du secrétaire d’état Jouyandet, un autre transfuge au nom de l’ouverture, capable de s’arranger avec un permis de construire d’une résidence secondaire au sein du golf de Saint-Tropez, ou encore de Christine Boutin et du cumul comme d’autres ministres d’ailleurs, de sa retraite et d’un salaire de 9500 euros par mois pour une mission gouvernementale, sans parler de Christian Blanc et de sa note de cigares de 12 500 euros payés par le Trésor Public….
Avec Woerth, dans la foulée des tratidions de la 5ème république, un cap est franchi…
Parce qu’elle est plus sérieuse et emblématique que les précédentes, l’affaire Woerth devient une des données de la situation politique. Tous les ingrédients sont là. Elle concerne donc d’abord un ministre du budget qui est à la fois trésorier de l’UMP chargé de récolter des fonds pour les campagne du président Nicolas Sarkozy et pour la vie du mouvement, qui donc est en contact permanent avec les « généreux donateurs » dont Liliane Bettencourt fait évidemment partie. Elle concerne la femme du ministre qui participe à la gestion des biens de Liliane Bettencourt qui se trouve au centre d’une fraude fiscale de grande ampleur. Elle concerne un gigolo de service, amateur de photos, qui passe par là et qui empoche pour ses charmes naturels la modique somme d’un milliard d’euros. Elle concerne le déchirement familial, l’opposition de l’héritière face au patrimoine qui s’envole dans l’escarcelle du photographe qui bénéficie de toutes les largesses… Elle concerne des écoutes rendues publiques au compte goutte qui fond état d’une certaine compréhension de l’administration, notamment celle qui se trouve sous le contrôle du ministre Woerth, et surtout de recommandations au plus haut niveau de l’état…
Dans la presse pourtant peu suspecte de sympathies gauchisantes, du « Point » à « l’Express » en passant par « le Monde », sans oublier « le Figaro », après quelques sites Internet dont « Médiapart » auxquels les grands titres emboitent le pas, le scandale grandit chaque jour. Il est question entre autre d’une réception remarquée de madame Bettencourt par les plus hautes autorités de l’Etat, dont le ministre Eric Woerth en 2008. Il est question de garanties données par le conseiller juridique de l’Elysée d’alors contre toute poursuite à l’encontre de la richissime patronne de l’Oréal[1]… Il est question de la fraude fiscale de 85 millions d’euros, d’un compte en suisse qui fait désordre, puisque c’est précisément au nom de la lutte contre l’évasion fiscale que le ministre Woerth, quelques temps plus tôt, affichait des listings suisses et mettait sur la sellette les banques helvétiques dont les gestionnaires aujourd’hui, sourire aux lèvres, se frottent les mains. A l’époque d’ailleurs, à la question de savoir si madame Bettencourt faisait partie de la liste, le ministre refusait toute réponse. Il est question de chèques de cette dernière à l’UMP et plus précisément à un micro parti, créé pour recevoir des dons, dont le responsable direct est justement le ministre Woerth. Il est question de légion d’honneur décernée par le ministre Woerth au directeur financier de madame Bettencourt, par ailleurs employeur de la femme de monsieur le ministre. Il est question aussi d’une contre attaque du procureur de Nanterre Philippe Courroye qui déclare avoir bien transmis un rapport au fisc -qui dépend du ministre du budget Eric Woerth- sur les suspicions de fraude fiscale de madame Bettencourt, sans qu’aucune enquête ne soit diligentée… Et nul doute que dans l’été le feuilleton se nourrira de nouveaux rebondissements.
L’affaire Woerth qui dépasse le cas du seul ministre, du seul gouvernement permet de dégager deux conclusions provisoires qui illustrent bien la crise atteinte au plus haut niveau, crise de gouvernement, de pouvoir, de régime, de la 5ème république.
· D’abord elle met à jour dans ses différentes ramifications les liens « incestueux » entre le monde politique et celui des affaires. Nicolas Sarkozy a accentué cette donnée avec son accession au pouvoir. L’affaire Woerth Bettencourt s’inscrit dans la continuité de la soirée du Fouquet’s le soir de l’élection présidentielle où le monde du CAC 40 venait féliciter son candidat. D’ailleurs les amitiés sont utiles aux « grands » de ce monde. Madame Woerth, contrainte de démissionner de son poste dans la gestion financière de madame Bettencourt ne s’est-elle pas recyclée au conseil de surveillance du groupe de luxe Hermès, filiale de LVMH, dont le patron Bernard Arnaud est un des très proches du président de la République, Nicolas Sarkozy…
· Cette affaire s’inscrit ensuite dans la longue liste de toutes celles qui ont traversé la 5ème république et qui mêlent parti au pouvoir, personnel politique, affaires crapuleuses, comportements mafieux, et qui toutes expriment à leur façon la « république des copains et des coquins » et ont en commun une volonté d’étouffement au sommet de l’Etat[2]. « L affaire Auriol » par exemple qui illustre l’efficacité des « réseaux parallèles », l’existence d’hommes de mains placés sous la responsabilité de ministres de premier plan de la 5ème république, jouissant d’une impunité pratiquement totale. « L’affaire Ben Barka », illustration des barbouzes et des coups tordus de la 5ème république, du ministre de l’intérieur de l’époque, du premier ministre Pompidou du général De Gaulle. « L’affaire Chalandon » et ses « chalandonnettes », les avions renifleurs, gigantesques escroqueries qui impliquent encore ministres et agents de services secrets aux ordres. « L’affaire Boulin », celle d’un autre trésorier du parti au pouvoir, retrouvé noyé, « suicidé », dans une flaque d’eau… « L’affaire Clearstream », plus récemment, qui fait apparaitre des noms plus contemporains, celui de président en exercice ou de l’ancien premier ministre Dominique de Villepin… Autant d’affaires dans la lignée desquelles s’inscrit celle de Woerth et Bettencourt qui illustrent l’opacité inscrite dans le fonctionnement de nos institutions. Tout se déroule sur un mode totalement anti démocratique, au service d’un clan, dans un régime d’irresponsabilité et d’impunité absolues, garanti par les pleins pouvoir du président qu’assurent les institutions bonapartistes de la 5ème république qui interdisent au peuple de peser, d’exister, de se faire entendre, d’être réellement représenté…
Ainsi, la volonté d’occuper les postes de pouvoir cadenassés par un président tout puissant au service d’un clan permet une fantastique débauche d’énergie du personnel politique au détriment des intérêts immédiats de la société et des principes élémentaires de la démocratie.
Mais derrière tout cela, les forces sociales !
Le plus cocasse de l’affaire tient à la position particulière du ministre concerné et aux tâches qui lui sont dévolues. Eric Woerth a en charge le dossier des retraites qui constitue pratiquement et symboliquement le dossier le plus important de la présidence de Nicolas Sarkozy. Il incarne l’austérité, le blocage des salaires des fonctionnaires, la rigueur généralisée…
Dans un contexte international où il s’agit de faire payer aux peuples la gabegie du capital financier, le gouvernement fait de la remise en cause des 60 ans comme âge de départ à la retraite et des 40 annuités de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein une question de principes. Et c’est précisément celui qui apparait comme le protecteur des grandes fortunes, en l’occurrence de Liliane Bettencourt, la bienfaitrice de l’UMP, qui a en charge d’accoler son nom à cette contre réforme sociale au prétexte évidemment de sauver le système par répartition…
Rien ne pouvait être plus démonstratif sur la nature politique de ces contre réformes et le niveau de pourriture qui atteint les sommets de l’Etat que de voir le même homme, ministre clé du gouvernement, tenir d’une main la trique destinée à bastonner les millions de salariés et de travailleurs du pays pendant que son autre main est destinée à soutenir les plus fortunés dont il tire bénéfice.
Les indices de popularité de nos hommes politiques, s’ils doivent être relativisés, sont tout de même une photographie à l’instant T. Jamais Nicolas Sarkozy n’a été au plus bas. Jamais François Fillon n’a été entraîné dans la chute à ce point. C’est bien tout le personnel, tout l’exécutif qui à travers la politique et les scandales se trouve exposé à la vindicte populaire. Dés lors une seule question se pose. Comment tout cela, qui incarne une grande violence contre la société dans son ensemble, peut-il tenir ? Comment les corrompus présumés peuvent-ils prétendre asséner au nom de la morale publique tous les coups portés, dont celui des retraites qui est programmé ? La question contraint à jeter un œil de l’autre côté. Vers les organisations ouvrières syndicales qui ont théoriquement en charge la défense des intérêts matériels et moraux des salariés.
Lorsque les responsables syndicaux, François Chèréque en tête, suivi de prés par Bernard Thibault, affirment au nom de la responsabilité qu’il faut bien réformer, et s’engagent à discuter de « façon responsable » pour négocier, n’apportent-ils pas le soutien dont le gouvernement ébranlé a encore besoin pour tenir et tenter d’appliquer sa politique ?
Lorsque Jean Claude Mailly oppose à cette stratégie celle de la grève interprofessionnelle un jour, seul, pour refuser le cadre des discussions et exiger à juste titre le retrait pur et simple du plan gouvernemental que porte Eric Woerth, fait-il autre chose que d’opposer une journée d’action, la sienne, aux journées d’actions des autres dont nous savons l’inefficacité et le découragement qu’elles engendrent ?
Lorsque les responsables politiques d’opposition, toutes tendances confondues, du PG au PCF en passant par le PS, s’engagent plus ou moins à revenir sur la remise en cause des retraites une fois élus en 2012, ne manquent-ils pas de la clarté élémentaire nécessaire concernant la nécessité d’abroger toutes ces réformes, et ne laissent-ils pas le terrain libre à un gouvernement failli en indiquant « vous avez encore deux ans pour agir » ?
En réalité, dans le contexte de crise politique, sociale, économique et morale que connait le pays, la logique ne voudrait-elle pas que se réalise un large front unique pour dire simplement « retrait de la contre réforme » et ouvrir ainsi une brèche par la grève générale et la manifestation dans laquelle pourraient tout de suite se poser les questions essentielles dont celles de l’emploi, des licenciements, des salaires ?
C’est d’en bas que pourrait émerger cette solution, l’unité réalisée et imposée à des sommets complaisants, trouvant énergie dans la conjonction des mesures insupportables qui concernent à la fois l’emploi, les licenciements, les salaires, les retraites, les services publics, etc…
A ne pas y répondre, les dirigeants des partis d’opposition et des syndicats feraient bien de prendre garde. Ce qui est vrai pour l’appareil d’Etat, le pouvoir, la 5ème république l’est tout aussi pour les organisations installées. Le poisson, quel qu’il soit, pourrit toujours par la tête…
Jacques Cotta
Le 3 Juillet 2010
[1] Dans un enregistrement, le directeur financier de la patronne de L’Oréal, Philippe de Maistre, confiait à cette dernière : « Le conseiller juridique de l’Elysée m’a dit que le procureur allait annoncer le 3 septembre que la demande de votre fille était irrecevable, et donc classer l’affaire ». Puis un peu plus tard concernant la perspective du procés Barnier (le photographe) prévu courant 2010, il indique : « En première instance on ne peut rien faire de plus, mais on peut vous dire qu’en cours d’appel, si vous perdez, on connait fort bien le procureur ».
[2] On lira l’article Clearstream ou la crise du régime sur notre site à l’adresse suivante : http://la-sociale.viabloga.com/news/clearstream-ou-la-crise-du-regime
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Oui, il y a là tous les éléments d’une crise majeure et laisser passer l’instant serait criminel à l’égard des besoins des salariés, ce que font, sans état d’âme, ceux qui prétendent les représenter. La responsabilité majeure dans ce processus revient à B.Thibault et l’état major dela CGT , premier syndicat de France, de plus réputé d’être de « combat » qui s’accroche à Chérèque et sa CFDT dont on a pu éprouver l’efficacité réactionnaire notamment en 2003, renouvelée à l’occasion de son dernier congrès.
Les petits suiveurs FSU, SUD etc…ne méritant pas même d’être cités (ce dont vous vous êtes bien gardé).
Je ne mettrais pas sur le même plan Mailly pour lequel je n’ai aucune tendresse particulière mais FO a été bien seule à exiger une vraie suite au 23 mars, sous le regard ironique d’autres…qui se sont empressés à allumer un contre feu le 24 juin, en exigeant que le maintien de l’âge légal de la retraite (appel intersyndical du 31 mai non modifié par la suite). Ca mange pas de pain, les vacances arrivent et à la revoyure en septembre !
Grève générale ? Je le souhaite ardemment mais comment faire si l’on ne commence pas par énoncer fermement le RETRAIT ?