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Continuons le débat sur la laïcité

Une contribution après l'article de Jacques Cotta du 17 octobre

Par Alain Chicouard • Débat • Jeudi 24/10/2019 • 0 commentaires  • Lu 1701 fois • Version imprimable


Nous publions bien volontiers la texte que nous a proposé notre ami Alain Chicouard, en réponse à l'article de Jacques Cotta, paru dans le 17 octobre, Lorsque la gauche et la Macronie offrent le monopole de la laïcité au RN". Comme nous sommes partisans de la libre discussion, nous espérons que la contribution d'Alain Chicouard suscitera de nouvelles prises de positions, de nouveaux arguments pour avancer ce terrain passablement miné.
La rédaction de .


Le 18 octobre 2019 .
 
Bonjour Jacques,
 

Je viens de lire ton texte du 17 octobre « lorsque la gauche et la Macronie offrent le monopole de la laïcité au RN... ».

Tu y accordes un brevet de laïcité aux ennemis patentés de la laïcité telle qu'elle est définie et institutionnalisée par la loi de 1905. Ainsi tu affirmes : « A l'époque [des présidences Sarkozy, puis Hollande], comme le représentant RN du conseil régional de Bourgogne-Franche Comté aujourd'hui, le socialiste Peillon ou l'UMP Chatel sont du bon côté du manche ».
Ainsi le lepeniste Odoul, le sarkozyste Chatel, le socialiste Peillon, ces deux derniers jadis ministres de l'Education nationale et, à ce titre, promoteurs de la dislocation de l'enseignement public, assureraient, parce qu'ils se proclament frauduleusement « laïques intrinsigeants », la défense de la laïcité, alors que, par ex., ils refusent l'abrogation du statut d'Alsace-Moselle ou la cessation du financement par l'Etat de l'école privée (à 95% catholique)... Pour ces preux chevaliers soi disant « laïques », la laîcité telle qu'ils l'entendent se ramènent au fond à pourfendre principalement tout ce qui, peu ou prou, a rapport avec l'islam.
Ton texte repose sur une affirmation entièrement erronée – sur laquelle s'appuient les Odoul, Chatel, Peillon et autres confrères : «  La loi de 1905 visait les signes ostentatoires chrétiens dans l'espace public ». Archi faux ! La loi de 1905 est une loi de séparation des Eglises et de l'Etat et établit la neutralité de l 'Etat par rapport aux religions, ce qui implique la neutralité (notamment vestimentaire) des personnels des services publics. La loi de 1905 (qui est une loi anti-cléricale, mais non anti-religieuse) n'interdit en rien l'expression religieuse au sein de l'espace public (dans le respect des lois définisant l'ordre public). A ce sujet, plutôt que de revenir sur les faits intolérables du 11 octobre au conseil régional de Bourgogne – Franche Comté ( à ce sujet, je renvoie au communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme du 13 octobre), je joins - pour le débat – des notes extraites d'une conférence tenue en avril dernier.
 
Cordialement,
Alain Chicouard.
 
 

Notes extraites de la conférence publique du 29 avril 2019.

A propos des tenues vestimentaires
– ou du rapport entre string et soutane....
 

[…] Dernièrement, en février-mars , a surgi une nouvelle affaire, que certains se sont empressés de faire mousser, l'affaire du « hijab de running ». De quoi s'agissait-il?

La marque Décathlon a annoncé la création et la commercialisaton d'un nouvel habit sportif appelé « hijab de running » permettant de pratiquer la course tout en couvrant la chevelure et le torse.

Aussitôt l'annonce connue, une nouvelle polémique a surgi, rappelant celle qui avait concerné le burkini. En fin de compte, Décathlon (qui n'était motivé que par des intérêts commerciaux), par crainte d'un boycottage impulsé par les partisans de l'interdiction de cette tenue, a décidé d' annuler sa commercialisation en France.

Même s'il ne s'agit en fin de compte que d'une affaire subalterne rappelant, presque mot pour mot, l'affaire du burkini, il n'est peut-être pas superflu de revenir sur les termes de cette polémique dans le but de rappeler quelques principes laïques à propos des expressions « espace public » et « sphère privée »  ?

Du point de vue laïque, la neutralité vestimentaire dans l'espace public est-elle exigible ? Cette question amène à préciser ce qu'il faut entendre par « espace public »

La neutralité vestimentaire est une exigence légale pour toute personne en fonction dans un service de l'Etat ou dans une institution publique. Tel est le cas par ex. pour tout enseignant dans l'exercice de sa fonction. L'exigence du port d'un vêtement spécifique (tel par ex. un uniforme) est requise dans l'exercice de telle ou telle profession (par ex policier, agent de la SNCF, facteur, etc...).

Par contre, une totale liberté de se vêtir, à titre privé, comme on l'entend et selon son bon plaisir, ne doit souffrir , en application des principes laïques et démocratiques, aucune entrave (naturellement dans le respect du droit public, exigeant par ex. le respect de la décence), non seulement évidemment dans la sphère privée, mais aussi dans l'espace public.

Ainsi par ex le « burkini de bain » - qui est interdit, comme la soutane ou la kippa, dans les piscines publiques – doit être évidemment libre sur une plage au même titre que n'importe quel autre habit. tels soutane ou robe d'une religieuse... ou string.... Bien sûr, libre à chacun de porter le jugement critique qui lui semble pertinent. On a le droit de préférer le string au burkini. On a le droit d' estimer que telle tenue est sexiste ou aliénante.
 
Mais la laïcité implique, en ce qui concerne les tenues vestimentaires dans l'espace public, une pleine liberté pour les femmes et les hommes de choisir leur tenue vestimentaire (dans le respect de l'ordre public ), le même droit pour une femme d'être sur la plage et de se baigner, que ce soit en string ou en burkini – et le même droit pour un homme d'être sur la plage avec une soutane ou une djellaba ou avec un simple cache-sexe (à défaut de reconnaissance du nudisme en toute plage).

Ce serait le contraire de la laïcité de mettre en cause la liberté de se vêtir au sein de l'espace public.
Bref, un Etat démocratique et laïque doit s'interdire (en dehors des obligations liées à des fonctions publiques) toute réglementation concernant les tenues et les modes vestimentaires dans l'espace public – réglementation qui serait attentatoire aux principes qui fondent la liberté des femmes et des hommes comme individus et comme citoyennes et citoyens.

En fait, ce n'est pas parfaitement exact puisque, depuis 2010, la loi interdit le port de la burqa (voile intégral masquant le visage) dans l'espace public, mais cette loi (qui fut propulsée, on peut le rappeler pour l'anecdote, par l'honorable M. Fillon) fut présentée et votée non pas en rapport avec la laïcité, mais pour des raisons d'ordre public. 
 
Iran-France.... à propos du port du voile....

Nombre d'Etats, tels par ex. la République islamique d'Iran ou le Royaume wahabite d'Arabie saoudite, imposent de manière obligatoire aux femmes le port d'un voile couvrant toute la chevelure et d'habits cachant entièrement le corps. C'est évidemment une atteinte intolérable aux droits des femmes qui doivent avoir la possibilité de porter ou de ne pas porter telle ou telle coiffe ou tel ou tel habit.
 

En Iran, l'avocate Nasrin Sotoudeh, en raison de son refus de porter le foulard dans l'espace public (port obligatoire depuis l'établissement du régime khomeiniste en 1979) a été condamnée en mars dernier à dix années d'emprisonnement supplémentaires et à 148 coups de fouet par la justice iranienne .

Condamnée en 2010 à 6 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l'Etat », elle avait été libérée en 2013 après une grève de la faim de 50 jours et après l'obtention du prix Sakharov en 2012. Elle a défendu plusieurs femmes arrêtées en décembre 2017 – janvier 2018 pour avoir enlevé leur foulard en public.

C'est une exigence immédiate envers les autorités iraniennes que la levée des dernières mesures prises à l'encontre de Nasrim Sotoudeh et sa libération, l'exigence principielle demeurant la suppression de l'obligation du port du voile. 

En Iran comme en Arabie saoudite et en d'autres pays, l'Etat impose aux femmes le port obligatoire du voile. C'est évidemment une atteinte intolérable aux droits des femmes. La suppression du port obligatoire du voile est une exigence démocratique élémentaire

En France, dans l'espace public civil, les femmes ont le droit de porter la coiffe de leur choix ou de n'en pas porter, et elles ont le droit de s'habiller comme elles l'entendent (dans le respect des lois générales d'ordre public).
 

On peut naturellement estimer, à tort ou à raison, que le voile a une signification religieuse et qu'il est aliénant. Mais interdire le port du voile dans l'espace public serait une atteinte intolérable aux droits des femmes et à la laïcité. Evidemment toute agression à l'encontre d'une femme voilée pour lui arracher son voile est attentatoire au droit des femmes et au droit public.

Autre question plus précise : faut-il, lors de voyages scolaires, interdire le port du voile à toute accompagnatrice, comme l'a formulé à nouveau, dans un projet de loi, un certain député Ciotti, qui se présente comme un laïque intransigeant, intransigeance qui se manifeste aussitôt que surgit la moindre question pouvant être connotée à l'islam, mais bien sûr muette sur le statut d'Alsace-Moselle et sur le financement public de l'enseignement catholique ?

A propos de ce sujet, il faut revenir, en référence à la loi de 1905, sur les termes « espace public » et « espace privé »
 
Espace public et espace privé.
 

La laïcité implique la distinction de l'espace public civil et de la sphère publique officielle de l'Etat. 

Il convient de distinguer trois espaces :
 
- l'espace privé
- l'espace des institutions publiques et du service public
- l'espace public ou espace commun partagé.

La laïcité exige la neutralité de l'Etat et des services publics, mais l'espace public n'a pas à être neutralisé : elle rejette une neutralité imposée aux personnes au sein de l'espace public. Elle s'applique aux institutions, et non aux personnes.
 

 La religion, qui doit être une affaire privée, doit-elle de ce fait  être strictement limitée à l'espace privé ? En fait, quand on dit que la religion est une « affaire privée », il ne faut pas commettre une confusion entre deux sens possibles. 

La loi de 1905 abolit tout caractère officiel de la religion, qui ne doit être en rien affaire de l'Etat ; la religion est un choix personnel d'ordre strictement privé.

Mais cela ne signifie pas que la religion devrait être circonscrite à la « sphère privée », à la « sphère intime » et aux lieux de culte, et qu'elle ne pourrait apparaître et s'exprimer dans l'espace public. Ce serait contraire à la loi de 1905 et à la jurisprudence qui a suivi : elles n’interdisent pas les pratiques, manifestations, expressions religieuses dans « l’espace public ». Elles élargissent même, par rapport au Concordat, la liberté de faire des processions sur la voie publique. 

Autre question précise qui fut discutée en 1905 lors des débats parlementaires sur la loi de séparation :le port de la soutane doit-il être, dans l'espace public, interdit ou autorisé ? 

A propos du port de la soutane.  

Le député radical-socialiste de la Drôme, Charles Chabert, a déposé l'amendement suivant : « Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l'exercice de leur fonction » 

Il visait ainsi le port de la soutane, et il développa tout une longue argumentation pour son interdiction dans l'espace public, avec la conclusion suivante :

En « habillant [le prêtre] comme tout le monde », faisons de « cet adversaire des idées modernes, […] un serviteur du progrès. De ce serf, de cet esclave,faisons un homme ».

Briand lui répondit que ce serait encourir le reproche d' « intolérance » que de vouloir, par la loi, imposer aux prêtres de « modifier la coupe de leurs vêtements ». Avec la séparation, la question de l'habit ecclésiastique ne se pose plus : « Ce costume n'existe plus […] avec son caractère officiel. […] La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme les autres, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non.» L'amendement Chabert fut massivement repoussé par 391 voix contre 184.

Rappelons que la loi de 1905 n'est pas une loi contre les religions. A ce sujet, on peut rappeler en bref ce que fut le débat Allard – Briand
 
Le débat Allard-Briand.

Sur la nature et les principes de la séparation entre l'Etat et les Eglises, il y a eu débat en 1905 au sein de la Libre Pensée, comme d’ailleurs au sein du Parti Radical et du Parti Socialiste, et aussi du Grand Orient de France. Mais sur quoi portait-il ?
 

Fallait-il s’en tenir à la neutralité de l’Etat en matière religieuse ? Ou bien l’Etat devait-il promouvoir l’éradication de la religion au sein de la société ? Le débat portait donc sur le caractère de l’Etat par rapport aux religions : République laïque ou République athée ? neutralité de l’Etat ou athéisme d’Etat ? 

Ainsi, lors du débat parlementaire, le socialiste Maurice Allard déclare :

« (…) Quelle est la séparation que nous voulons ? Ce ne peut être que celle qui amènera la diminution de la malfaisance de l’Eglise et des religions . » (…) 

En prônant la déchristianisation par l’Etat et un athéisme d’Etat, n’entre-t-on en contradiction avec la laïcité de l’Etat, fondée sur le principe de neutralité ? Le recul et la disparition des religions et de toutes les superstitions pourraient-elles résulter de lois et de décrets les condamnant ? 

Briand répondra à Allard dans les termes suivants : 

« S’il fallait donner un nom au projet de M. Allard, je crois qu’on pourrait justement l’appeler un projet de suppression des Eglises par l’Etat. (…)

Au lieu de compter, pour atteindre ce but, sur le seul effort de la propagande, sur la seule puissance de la raison et de la vérité, M. Allard, dans sa hâte d’en finir avec la religion, se tourne vers l’Etat et l’appelle au secours de la libre pensée ; il lui demande de mettre l’Eglise dans l’impossibilité de se défendre ; il le somme de commettre, au service de la libre pensée, la même faute qu’il a commise au service de l’Eglise et que nous n’avons jamais cessé, nous libres penseurs, de lui reprocher ».
Tels étaient les termes du débat entre les libres penseurs Allard et Briand. Rien à voir donc avec un débat sur « l’ouverture » de la laïcité, pour justifier l’immixtion dans l’Ecole et dans l’Etat des représentants des Eglises et des religions et le financement public des écoles confessionnelles et des lieux de culte !

 Un rappel même sommaire du débat Allard-Briand permet de souligner que la laïcité n'est pas une arme contre la religion et qu'elle ne prône pas un athéisme plus ou moins déguisé. La laïcité s'oppose au cléricalisme, c'est-à-dire à la volonté d'une Eglise, d'une religion, d'un culte de s'immiscer dans ce qui ne doit relever que de l'Etat et à leur recherche d'établir contrôle et domination dans les affaires publiques.
 

De ce point de vue, la séparation entre Etat et Eglises telle qu'elle est définie par la loi de 1905 ne se réduit pas à une singularité française due à une histoire et à un contexte particuliers. Est-ce que l' établissement pour l'Etat d' une totale neutralité par rapport à toutes les croyances religieuses et à toutes les convictions philosophiques – ce qui permet à tous de « vivre ensemble » - n'a pas une portée et une valeur universelles ?    […]

 

Alain Chicouard – 29 avril 2019.

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