Ainsi la première phase de la révolution tunisienne vient-elle de s’achever avec la fuite du dictateur Ben Ali, chef d’une clique mafieuse qui gouvernait la Tunisie depuis 1987, après avoir déposé Bourguiba « pour sénilité »… Régime apparemment stable, chéri par les puissances occidentales, le régime tunisien – si caractéristiques des régimes autoritaires qui dominent le monde arabo-musulman – s’est effondré en quelques jours sous la poussée populaire. «Ben Ali, dégage!» exigeaient les manifestants les 13 et 14 janvier. Les revendications sociales, exacerbées par la crise économique et la hausse des prix des produits de première nécessité se sont tout naturellement combinées aux revendications politiques démocratiques. Pour tenter d’enrayer le mouvement, le parti au pouvoir a décidé de faire comme si de rien n’était et Mohamed Ghannouchi, le premier ministre se présente comme le président par intérim « temporaire » de Ben Ali. C’est dire que de nouveaux développements sont à attendre. L’armée se déploie dans toutes les grandes villes. Le régime mafioso-militariste tente de survivre au coup qu’il vient de recevoir. Mais il risque de radicaliser la revendication démocratique.
Mais la Tunisie n’est que le point le plus avancé d’un mouvement qui peut embraser toute la région. Les manifestations et les émeutes en Algérie ont montré la fragilité du régime du FLN, une bureaucratie corrompue, qui exploite honteusement les immenses richesses du pays, confrontée à la révolte d’une jeunesse nombreuse, instruite et souvent rebelle. Bien qu’une partie de la gauche ait encore pour le régime de Bouteflika d’étranges complaisances – le soutien critique qu’il reçoit du PT de Louisa Hannoun, un parti « frère » du POI français, ne manque pas d’étonner – ce régime est lui aussi à bout de souffle. Certes, Bouteflika n’est pas Ben Ali et les libertés démocratiques de base sont un peu moins étouffées en Algérie qu’en Tunisie, mais les ingrédients de la crise sont les mêmes : un appareil d’État bureaucratique parasitaire, une crise économique liée à l’insertion du pays dans la mondialisation, à quoi il faut ajouter dans le cas algérien les revendications nationales et notamment le sourd irrédentisme kabyle. S’il paraît plus fort, le régime marocain du fils de « notre ami le roi » pourrait bien être confronté plus rapidement qu’on ne le croit aux mêmes tensions. En Jordanie, face à la hausse des produits alimentaires et du fuel, des manifestations souvent violentes se sont déroulées le 14 janvier.
Notons que les mêmes qui considèrent que les « droits de l’homme » sont des instruments des impérialistes pour étendre leur hégémonie, soutiennent, et c’est très bien, les droits de l’homme en Tunisie. Espérons qu’ils comprendront que ce qui vaut à Tunis vaut à Alger, mais aussi à Cuba ou au Tibet.
« Pain et liberté » : voilà le très ancien cocktail explosif des révolutions populaires. D’Alger et Amman en passant par Tunis, aujourd’hui. Et demain ailleurs. S’il n’y a pas de liberté pour les ventres affamés comme le répétaient et le répètent encore tous les défenseurs des régimes autoritaires et dictatoriaux prétendument « socialistes », les peuples expérimentent durement qu’il n’y a pas de pain sans liberté ! La démocratie n’est pas un luxe pour les riches, mais, comme l’a bien montré Amartya Sen, la condition même de la vie et du développement.
En haut on peut plus, en bas on ne veut plus…C’est bien un début de révolution que connaît la Tunisie. Le reste n’est inscrit nulle part bien entendu, mais son peuple écrit l’histoire et l’écrit bien cette histoire qui est loin d’être terminée.
Cela ne fait que souligner le caractère inadmissible du communiqué du PT algérien. Les similitudes l’emportent sur les différences entre les situations algérienne et tunisienne, la police qui tire sur les jeunes en révolte le démontre tragiquement.