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Benchicou : 49 procès, jamais le bon !

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Samedi 16/05/2009 • 1 commentaire  • Lu 1887 fois • Version imprimable


Toulouse, Librairie de la Renaissance, 14 mai. Une voix posée, précise, une argumentation étayée sur la chasse faite à un livre. Mohammed Benchicou, journaliste algérien, dissèque les évolutions d’une « république simulacre ». Il peut prendre un détail, l’obtention de l’ISBN à la Bibliothèque nationale pour éditer un livre, et en arriver à une vue globale de l’histoire (la BN devenant une officine policière délivrant l’imprimatur), sans jamais céder aux généralités porteuses de clichés. Ses propos simples susciteront un débat d’une extraordinaire franchise. Une jeune femme lui demandera directement : « Mais pourquoi vous ont-ils relâché vu qu’ils savaient que vous ne baisseriez pas les bras ? »

 

Contre « la république du simulacre »

Mohammed a fait deux ans de prison en Algérie sous un faux prétexte de délinquance économique, un faux prétexte qui aurait pu en appeler un autre afin d’étouffer cette voix sans haine et sans héroïsme, mais si ferme et si tendre. La première solidarité salvatrice qui en même temps l’a totalement changé, ce fut celle de ses co-détenus de droits communs : jusqu’au dernier jour ils le portèrent pour le sauver de son calvaire l’incitant au cours des derniers instants à faire un peu de sport pour sortir en forme. Souvent illettrés, ils n’ont jamais tourné les pages de ses livres ou du quotidien qu’il animait, Le Matin, mais lui ont permis de toucher du doigt la réalité authentique. Depuis, chaque fois que la vanité du journaliste lui tend les bras, il repense à tel ou tel détenu qui le rappelle au réel, celui des êtres simples qui ne font jamais la une des journaux. Ce journaliste ignominieusement frappé a aussi été soutenu par divers comités qui alertèrent plusieurs autorités, et Benchicou mentionne en particulier le président du Parlement européen dont les interventions furent importantes pour faire céder Bouteflika.

Il aurait dû sortir de prison, brisé, il en est sorti définitivement poète. Brisé il aurait pu être car il n’a même pas eu droit au procès qu’il attendait, un procès sur le contenu de son livre : Bouteflika : une imposture algérienne. Parmi les questions, un homme osera se faire l’écho d’une rumeur d’Alger : « Pour ce livre, n’avez vous pas été soutenu par un clan du pouvoir, puis lâché ? » Et Benchicou de répondre : « Vous ne me croirez pas mais ce livre c’est le cri déraisonnable que tout journaliste doit pousser un jour, c’est un écrit en toute indépendance pour sortir du mensonge. » L’auditoire le sent, Benchicou ne témoigne pas seulement par sa voix mais tout autant par le prix payé pour ses actes.

Pour la démocratie

En conclusion, l’écrivain se montre optimiste et c’est seulement à écrire ce compte-rendu que je comprends mieux son optimisme. Un optimisme laïque fait de lucidité. Appuyant les observations d’un participant, il ne sous-estime pas le développement de la corruption de masse, de ce délitement généralisé de la société, mais malgré le silence des médias il sait que des luttes sociales se développent, marquent des points et créent déjà un autre visage au pays. Dans la fracture entre les autocrates et la société, la société garde des billes pour en venir à la démocratie. Une question a justement porté sur les médias : « Entre la presse tunisienne et celle d’Algérie, comme apprécier la différence ? » Benchicou s’était montré très critique vis à vis, y compris de l’opposition algérienne qui pour une bonne part est membre du simulacre, payée parfois pour jouer la pièce commandée par les autocrates, mais il précise qu’il ne faut pas tomber « dans le nihilisme ». Il rappelle qui lui aussi a été amené à travailler dans la presse de parti unique style celle de Tunisie et qu’en conséquence, si l’indépendance de l’actuelle presse algérienne a ses limites, elle a aussi ses mérites à faire connaître. La veille, Le Soir d’Algérie publiait un très beau texte poétique de Benchicou au sujet de la fermeture de la Librairie des Beaux Arts.

Pouvait-on parler de l’Algérie sans parler des islamistes ? La question surgira… par celle sur la démocratie ! Et vous allez comprendre comment on peut en revenir au simulacre qui entre par la fenêtre quand on le chasse par la porte. A vouloir la démocratie, dit un intervenant, il fallait laisser décider les Algériens qui souhaitaient en 91-92 l’arrivée au pouvoir du FIS or, Benchicou et d’autres, ont été favorables à l’arrêt par l’armée de ce processus électoral ! A vouloir la démocratie, dit un autre intervenant, pourquoi prendre le modèle occidental qui a conduit nos pays à la faillite plutôt que d’inventer une démocratie propre à nos pays ? Deux questions de personnes peu attentives aux propos du journaliste. Loin de toute référence à un modèle français de démocratie, comme un chirurgien minutieux, il ouvrit le corps de la démocratie française pour rappeler comment elle se faisait, sous diverses formes, le soutien des dictatures en place au grand désespoir des démocrates qui luttent en Algérie… et avec des conséquences graves pour l’Europe elle-même que sont l’immigration clandestine et le terrorisme. Sur l’immigration clandestine Benchicou a eu des propos que je partage depuis longtemps. Il ne s’agit pas fondamentalement d’une immigration économique mais d’une soif de liberté. Ils sont des millions en Afrique à vouloir sortir de la misère mais ceux qui franchissent le pas les poussant vers la folie de la mer, sont portés par une autre folie inhérente à l’homme lui-même qui s’appelle la liberté. En France, nous nous plaignons des régressions constantes en la matière, et nous risquons parfois de perdre le sens des nuances : notre situation reste paradisiaque par rapport à celles de l’Afrique et, désolé d’insister pour certains, ce n’est pas qu’une illusion !

Quant à la démocratie par les islamistes qui affichaient en 1991 « qui ne vote pas FIS ira en enfer » rappelle Benchicou qui nie aux maîtres de la religion le droit de se servir ce leur rôle pour diriger la politique, l’histoire depuis 1991 a largement démontré qu’ils sont l’autre face de la même république du simulacre. Le troisième mandat de Bouteflika sera celui de la réconciliation achevée, entre le pouvoir et les islamistes, et ça sur le dos des droits fondamentaux indispensables à la démocratie, à savoir, en premier lieu, la liberté de la presse qui fut en 1992 et 1993 si géniale. Sur ce point comme sur d’autres l’Algérie continue une fonction de laboratoire : laboratoire colonial dès 1830, laboratoire de l’indépendance, laboratoire du socialisme appliqué au Maghreb, laboratoire de la montée e l’islamisme, laboratoire du modèle « médiéval » (terme de Benchicou) qui s’annonce. Il faut lire Benchicou qui a mal à l’Algérie, un pays qui enfanta des géants comme Kateb Yacine et qui aujourd’hui pratique la plus minable censure !

16-05-2009 Jean-Paul Damaggio

 

 

 

Livres disponibles de Benchicou :

Journal d’un homme libre, Riveneuve, 2009

Les geôles d’Alger, Riveneuve, 2007

Bouteflika, une imposture algérienne, 2004


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Commentaires

par Serge_Gomond le Dimanche 17/05/2009 à 08:24

Il est écrit : « …En France, nous nous plaignons des régressions constantes en la matière, et nous risquons parfois de perdre le sens des nuances : notre situation reste paradisiaque par rapport à celles de l’Afrique et, désolé d’insister pour certains, ce n’est pas qu’une illusion ! … »

 

En France il y a la lettre de cachet réinventée par Sarkozy/Alliot-Marie, et Coupat ainsi que tous ses co-détenus pourront dire combien il fait bon vivre dans cette France paradisiaque (toutes les prisons du monde se ressemblent, il y a des matons, des prisonniers, les suicides (ou les morts déguisées en… etc.)

Lire de Marcel Gay "Le coup de Tarnac" florent massot



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