Jean Baubérot distingue le multiculturalisme à la canadienne de la laïcité à la française. Pays d’immigration par nécessité, comme le Canada, les Etats-Unis n’adoptent pas pour autant la posture multiculturaliste. Baubérot m’instruit sans me convaincre toutefois. Un peu relativiste à mon goût. La cour suprême canadienne a fini par admettre que les Sikhs portent leur turban dans la police montée, à la place du large chapeau rouge traditionnel. Le propre d’un uniforme est son uniformité, le multiculturalisme en décide autrement. La police britannique admet aussi quelques accommodements avec l’uniforme multiculturalisme oblige. Tout se passe comme si le symbole proprement politique n’avait plus lieu d’être. Le politique (sa visée, sa teneur, ses symboles) est ainsi pris en tenailles entre les marchands et les cultures, elles-mêmes généralement adossées à des religions. Habits de marque et vêtements traditionnels se partagent l’habillement des corps et le formatage des esprits. Il en découle un mélange de bazar marchand et de culture folklorique, au détriment de la culture politique. Les Allemands ont escamoté la notion de « culture allemande directrice » (deutsche Leitkultur) et les Français se disputent sur le contenu de la laïcité. Politologue allemand d’origine syrienne, Bassam Tibi, favorable à la diversité culturelle mais opposé au multiculturalisme, avait, par la notion de culture allemande directrice, ouvert un débat boudé par les bobos.
Cette incivique vision des choses me conduit à faire largement mien le commentaire de Slavoj Žižek :
« Le multiculturalisme, naturellement, est la forme idéale de l’idéologie de ce capitalisme planétaire, l’attitude qui, d’une sorte de position globale vide, traite chaque culture locale à la manière du colon traitant une population colonisée – comme des « indigènes » dont les mœurs doivent être précautionneusement étudiés ou « respectés ». (…) La tolérance libérale du multiculturalisme tolère l’Autre tant qu’il n’est pas le VRAI Autre (clitoridectomie, voile…) » (Plaidoyer en faveur de l’intolérance, climats, 2007, p.72) Un Autre aseptisé, apprivoisé, rendu compatible avec les exigences ou tolérances du capitalisme planétaire. Des rayons exotiques de supermarché, comme des gondoles de produits bio. A noter, dans ce registre marchand, que le tueur Breivik était gérant d’une ferme biologique : rien n’est simple ; certaines victimes auraient pu être clients, finançant le massacre à leur insu.
Pour ma part, je tiens qu’une nation est autre chose qu’un supermarché folklorique saturé de superfluités et de superstitions.