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C'est la chute finale ?

ou Le stade Dubaï du capitalisme( 1)

Par jpf • Internationale • Vendredi 27/11/2009 • 0 commentaires  • Lu 2004 fois • Version imprimable


Depuis le début de cette semaine le petit monde médiatique s'agite et les experts en économie du monde entier s'interrogent en ayant l'air surpris de la faillite financière qui frappe ce petit émirat pourtant symbole triomphant du capitalisme le plus sauvage. Personne n'a rien vu venir disent-ils en choeur , aucun institut d'economie, aucune agence de notation ( celles-ci pourtant si promptes habituellement à dénoncer les dettes des pays pauvres) , aucun investisseur!!!! Allons-donc, cela fait plusieurs années que la crise couve et que la bulle menace d'éclater.
Dubaï est pourtant le lieu où se concentrent le plus de fantasmes en lévitation , un étrange paradis. 1,5 million d'habitants et le plus grand chantier du monde- 1 grue sur trois dans le monde opère  ici- : berceau d'un monde enchanté entièrement dédié à la consommation la plus ostentatoire, et aux modes de vie " hyper haut de gamme". Cet ancien village de pêcheurs et de contrebandiers était bien placé pour devenir l'une des capitales mondiales du XXIème siècle. Parcequ'elle préfère les vrais diamants au strass, Dubaï a surpassé Las Vegas, cette autre vitrine désertique du désir capitaliste dans la débauche spectaculaire et la surconsommation d'eau et d'électricité.
Des dizaines de projets extravagants - l'Ile-Monde en forme de palmier, le plus haut gratte-ciel du monde, un hôtel de luxe sous-marin, un domaine skiable enneigé réprésentant la moitié de celui de Val d'Isère en plein désert et un "giga" centre commercial de luxe avec bien sûr les phares de l'ostentation( LVMH, Rolex, Mauboussin, Cartier etc....) et de vastes concessions automobiles appartenant à Ferrari, Rolls-Royce, Aston Martin, Daimler-Benz , j'en passe et des meilleurs.
Fantasme d'un homme, l'émir-PDG Cheikh Mohammed El Maktoum gérant les pétro-dollars du Golfe et à qui les banques européennes ont confié près de $14 milliards à des taux ridicules de 3% (2). Les plus grands groupes de travaux publics et de construction de la planète ( Bouygues, Lafarge, Saint Gobain et la sinistre Halliburton en tête) sont présents sur tous les chantiers en cours.Mégalomanie architecturale , triomphe du capitalisme le plus cynique, car officiellement à Dubaï la misère n'existe pas, mieux encore les droits de l'homme sont respectés........Regardons cela de plus près.

Une majorité de serfs invisibles
Comme les émirats voisins , Dubaï a atteint la perfection dans l'art d'exploiter les travailleurs. Dans un pays qui n'a aboli l'esclavage qu'en 1963, les syndicats, les grèves et les agitateurs sont hors-la-loi et 99% des salariés du secteur privé expulsables sur-le-champ.La grande masse de la population y est constituée de travailleurs sous contrat venus d'Asie du Sud, étroitement dépendants d'un unique employeur et soumis à un contrôle social de type totalitaire.Une myriade de domestiques philippines, skrilankaises et indiennes veillent au bien-être fastueux des élites locales et occidentales, tandis que le boom immobilier repose sur une armée de Pakistanais et d'Indiens sous-payés, travaillant douze heures par jour, six jours et demi par semaine, par des températures infernales. A l'instar de ses voisins, Dubaï viole systématiquement les règles de l'OIT et refuse de signer la Convention des Nations Unies sur les droits des travailleurs migrants.Les travailleurs asiatiques qui débarquent dans les Emirats sont obligés de se soumettre par contrat à une forme d'esclavage virtuel. Leurs droits s"évanouissent à leur arrivée à l'aéroport lorsque les recruteurs confisquent leur passeport et leur visa (3).ET les sordides baraquements de la périphérie où ils s'entassent à six,huit , voire douze dans une seule pièce, souvent sans climatisation ni toilettes décentes, sont inconnus des circuits touristiques officiels qui vantent une oasis de luxe  sans pauvreté ni bidonvilles(4).

Le prophète de la modernité
El Maktoum, qui se verrait bien en prophète de la modernité arabo-persique et en parangon du néo-libéralisme le plus triomphant, adore impressionner ses invités avec des proverbes subtils et des aphorismes lourdement signifiants. Citons l'une de ses maximes favorites: "Quiconque n'essaie pas de transformer le futur restera prisonnier du passé". Mais le futur qu'il construit à Dubaï, ou plutôt qu'ils construisent car il faut y ajouter les applaudissements des milliardaires et des multinationales du monde entier s'apparente plutôt à un cauchemar émergé du passé : la rencontre d'Albert Speer et de Walt Disney.

Alors oui la question se pose: Dubaï représente-t-elle la chute finale d'un système qui agonise et se fissure de toutes parts et dont les acteurs   comme le disait Jacques Cotta dans un récent papier n'ont toujours rien compris et continueront à fonder des fantasmes boursiers et financiers qui aboutiront dans les murs de la désolation sociale.

Jean-Pierre Falies

(1): Titre du livre de Mike Davis "Le Stade Dubaï du Capitalisme" ed. Prairies ordinaires, 2007
(2): Financial Time du 4 février 2006
(3): The Independant , 1er mars 2005
(4): BBC News , 10 février 2005: "Migrants Woes in Dubaï Worker Camp"


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