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Chavez

Lettre bernoise n° 50

Par Gabriel Galice •  • Samedi 16/03/2013 • 0 commentaires  • Lu 1795 fois • Version imprimable


Cher François,

Les obsèques d’Hugo Chavez l’attestent : les (sous-) continents  appartiennent à des mondes différents. Les Nord-Américains, les Européens dénigrent le défunt, les Sud-Américains, les Africains le pleurent, les autres balancent. La mondialisation n’est décidément pas ce qu’on croit.

La vision suisse s’avère modérée. Le Tages-Anzeiger, de Zurich, note que le Venezuela « a perdu un leader charismatique, qui a montré une réelle proximité avec les gens et qui s’est battu contre la pauvreté», avant de relever sa dérive autoritaire. La Liberté, de Fribourg, tire également un bilan contrasté. «Hugo Chavez n’était ni un dictateur ni un leader rouge à ranger dans le musée des horreurs à côté de Mao et de Staline. Mais il avait une conception très étroite de la démocratie. » Dans son filon mercantile, outre-Manche, l’insulaire The Economist, lui, titre « Hugo Chávez’s rotten legacy » (l’héritage pourri d’Hugo Chavez).

Le cas de ton beau pays de France est singulier, cher François. La droite éreinte la dépouille, la gauche germanopratine fait la moue, les socialistes révolutionnaires déplorent. La déchirure va se nicher dans le gouvernement même. Le ministre des Outre-Mer, sieur Victorin Lurel, qui a représenté la France aux obsèques, a louangé le trépassé : «Le monde gagnerait à avoir beaucoup de dictateurs comme Hugo Chavez puisqu’on prétend que c’était un dictateur. Il a jusqu’ici et pendant quatorze ans respecté les droits de l’homme. Toutes choses égales par ailleurs, Chavez, c’est de Gaulle plus Léon Blum. De Gaulle parce qu’il a changé fondamentalement les institutions,  et puis Léon Blum, c’est-à-dire le Front populaire, parce qu’il lutte contre les injustices. » Quel tollé dans la bien-pensance ! La guindée ministre Marisol Touraine, fille du sociologue célèbre, se démarque dans la nuance : « Je n’aurais pas employé ces termes-là. Le bilan sur les droits de l’homme est contrasté, faire de Chavez une figure de référence internationale n’a pas de sens, mais oublier son charisme et ce qu’il a fait pour les plus pauvres serait également une faute. » Peu enclin à la solidarité ministérielle, moins encore à la révolution, Manuel Valls, le ministre rose pâle des gens d’armes, renvoie les protagonistes dos-à-dos.

Pour couronner le tout, sans craindre de franchir les bornes de son office, la jacassière présidente des négociants de France, dame Parisot, se pique de trouver « très choquante » la proclamation du ministre Lurel. Votre commère devrait s’aviser que les marchands qu’elle représente supposément font fructueux négoce avec cette nation et que la France dégage même un excédent commercial avec le Venezuela. Les prochaines élections dans sa corporation, où elle risque sa tête, expliquent sans doute la prolifération verbale aggravée de la péroreuse. Je t’épargne, cher François, d’autres commentaires navrants.

M’est avis que l’origine guadeloupéenne du ministre français explique tant soit peu sa sensibilité aux affres du Sud de la planète. En leur temps, on l’oublie, Blum et de Gaulle furent vilipendés par les Seigneuries. « Plutôt Hitler que le Front Populaire » clamait le bourgeois de France. Faute d’avoir été physiquement liquidé par l’OAS, de Gaulle fut politiquement soldé par ses successeurs, jusqu’au retour de la France normalisée au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN.

Au vrai, les clivages continentaux concernent les officialités. On trouve quand même des appréciations louangeuses dans les pays bien dotés. Témoin le site étasunien « Truthout » qui titre « Why Chavez Chose Social Safety Net Over Skyscrapers » (Pourquoi Chavez a préféré le filet social aux gratte-ciels.) http://truth-out.org/opinion/item/15060-why-chavez-chose-social-safety-net-over-skyscrapers Et de citer The Guardian, britannique gazette : sous Chavez, le chômage est passé de 15% à 7,6% et la pauvreté de 23,4% à 8,5%. Détails, sans doute. No comment.

Peu friands de populace, les princes des nations nanties, ceux de l’Union européenne singulièrement, ont boudé les obsèques du président vénézuélien, cédant la place et l’horizon médiatique aux sulfureux émissaires d’Iran et de Biélorussie. Aux obsèques de ce chef d’Etat-là, les puissants se sont fait représenter par des subalternes, voire des sous-fifres. La République française a dépêché un ministre métis pour célébrer de populacières funérailles en un pays métèque. Leurs Excellences Hollande, Ayraud et Fabius avaient mieux à faire que de ternir leur image policée aux côtés du cadavre d’un trublion. Victorin Lurel, ému, en a (sauvagement ? sagement ?) profité. Pour ma part, cher François, à tout prendre, prisant les positions franches, je soupèse le sieur Lurel moins infréquentable que ses compagnons, les socialistes mondains qui estiment séant de se dissocier de lui. Quant à ses virulents adversaires patentés, vantés par Le Figaro, je n’ai, tout bonnement, rien à en dire.

A Berne, selon le protocole, le drapeau suisse flottant sur l’aile ouest du Palais fédéral a été hissé à mi-hauteur, en signe de deuil d’un chef d’Etat en exercice.


 

Ton Guillaume tel que tu le lis : circonspect.

 

Berne, le 15 mars 2013


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